Dr Falilou Ba raconte le ‘’harcèlement social’’ subi
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Inhospitalité, stigmatisation, harcèlement social, vindicte populaire : le Dr Falilou Ba en a vu de toutes les couleurs, depuis son retour de la France et durant le confinement auquel il s’est astreint, depuis son arrivée le 18 mars dernier. Il raconte à ‘’EnQuête’’ comment il vit ce retour frustrant au bercail.
Le 18 mars 2020 à 20 h 55 mn, l’avion de la compagnie Brussels Airlines, dans lequel avait embarqué le docteur en communication de changement d’attitudes et de comportements, Falilou Ba, depuis Orly à Paris, a atterri à l’aéroport Blaise Diagne de Dakar. Ce voyage du retour au pays natal, à cette période et dans ce contexte, a été diversement apprécié par des Sénégalais divisés sur le sujet. En face des pro-retour solidaires, légitimement craintifs de voir des membres de leur famille infectés dans ces pays infestés, il se dresse les anti-retour énergiques, légitimement craintifs d’une possible propagation du coronavirus par ces potentiels porteurs.
Mais là, à ses yeux, ce débat a vécu pour laisser place à un autre aujourd’hui plus décisif dans la lutte contre la pandémie du coronavirus : l’(ir) responsabilité des voyageurs qui sont entrés au Sénégal dans ce contexte de propagation de la Covid-19. Autrement dit, quel doit être aujourd’hui le comportement du voyageur entrant en ce moment de pandémie pour contribuer à freiner son expansion. En tant que voyageur entrant, le protocole qu’il a suivi du 18 mars 2020 au 1er avril 2020, correspondant à sa période de confinement, est le prétexte qu’il a trouvé pour faire part aux voyageurs entrants comme lui de la démarche à suivre. Mais aussi pour raconter ‘’les rapports tantôt adroits, tantôt maladroits qu’il a vécus avec le personnel soignant et les populations, autour et au détour de lui’’.
‘’Dès le premier jour de mon arrivée au Sénégal, confie-t-il, sur conseil de l’Infirmier-chef de poste (ICP) de Malika, j’ai su que contact doit être pris par le voyageur entrant avec le personnel soignant, en charge du suivi de la pandémie dans la zone. Aussi, la cheffe du centre de santé de Guédiawaye a été contactée, par mes soins, dès le jeudi 19 mars. Après m’avoir rappelé les règles de confinement à suivre et les gestes barrières à adopter, elle m’a fait subir une consultation, à distance, portant sur les signes visibles et ressentis sur mon corps. Une fois plus ou moins rassurée, elle m’a alors recommandé de lui transmettre tous les jours la température de mon corps le matin avant 11 h et le soir avant 19 h’’. Il devait aussi indiquer, en même temps, les signes cliniques visibles et ressentis relatifs à des maux de gorge, de tête, d’écoulement nasal, de sensations de courbatures.
‘’Dans un souci de triangulation, l’ICP de Hamo IV a été aussi associée au personnel de santé à qui je devais communiquer ma situation sanitaire journalière. Alors qu’au cours de cette période de confinement, une complicité inattendue se tisse avec le personnel soignant dont la rigueur et la bienveillance finissent par être rassurantes. Au même moment, le filet de complicité naturelle qui reliait le voyageur entrant avec son voisinage immédiat se casse. Sur l’autel de l’incompréhension mutuelle, de la peur du frère resté au bercail d’un côté et de la révolte du frère revenu de l’étranger de l’autre côté, est sacrifiée la relation fratricide’’, poursuit-il.
Cette inhospitalité inhabituelle des voisins
Ainsi, poursuit le docteur en communication de changement d’attitudes et de comportements, si le personnel soignant a été bienveillant et s’est comporté en vrai partenaire dans cette solitude du confinement, il n’en a pas toujours été de même pour le voisinage. Il raconte : ‘’Pourtant, naguère aimant et fier de cet immigré venu du pays des mirages, il s’est montré brusquement méfiant, fuyant, ‘délationniste’et même, dans certains cas, agressif. Cette inhospitalité inhabituelle a alimenté la stigmatisation du voyageur entrant qui a été indexé de toute part.’’
De ce fait, poursuit-il, le migrant ou voyageur de retour, ‘’face à ce harcèlement social, se cache de la vindicte populaire et dissimule, du coup, son statut de voyageur entrant potentiel infecté’’. Avec toutes les conséquences que cela peut entraîner dans la propagation du virus, le cas échéant.
‘’Est-ce que ce virus, en sus de détruire notre système immunitaire, n’est-il pas aussi en même temps en train de détruire notre système de résilience sociale, qui fait la particularité du Sénégal et a assuré à notre pays une garantie de survie face à tous les chocs endogènes et exogènes subis ? Difficile de répondre non, si on va, au Sénégal, jusqu’à ce que l’hospitalité, qui est notre devise et notre règle de vie qu’on accorde indistinctement et naturellement aux étrangers qui débarquent chez nous, semble aujourd’hui être refusée aux fils prodigues qui rentrent chez eux’’, se questionne l’enseignant-chercheur à l’Esea (ex-Enea).
Pour qui, en remettant à l’endroit des valeurs sociales sénégalaises et communautaires à l’envers, voilà le grand bénéfice qu’on obtiendrait dans la lutte contre la propagation du coronavirus.
Ainsi, selon lui, schématisé : le voyageur entrant, qui ne se sentirait pas mis en quarantaine sous forme de rejet par les autres, ressentira la nécessité morale de se mettre en quarantaine pour les autres. ‘’Ce qui donnera comme solution à l’équation du voyageur entrant qui se pose à notre pays, le résultat suivant : 20/20 de signalement de tous les voyageurs qui sont entrés dans le territoire au plus tard ce 20 mars, date officielle de fermeture de toutes les frontières du Sénégal. Le combat contre le coronavirus se gagnera aussi par une opération d’addition et non de soustraction des Sénégalais de la diaspora avec les Sénégalais résidents au bercail. Chacun suivant son statut et selon ses aptitudes, apportant les moyens de riposte à sa disposition’’, termine Dr Falilou Ba.
CHEIKH THIAM