La remise de toutes les convoitises
Creusant le déficit public, renflouant les caisses des entreprises bénéficiaires, la remise de dettes fiscales aux entreprises impactées par la pandémie fait l’objet de toutes les attentions. Les acteurs attendent l’arrêté du ministre des Finances qui doit en préciser les contours.
En plus de payer ses dettes, d’accorder des financements, le gouvernement a aussi décidé une remise partielle de la dette fiscale, arrêtée, à la date du 31 décembre 2019, à un montant de 200 milliards de F CFA. Rappelant que la dette fiscale s’entend ici d’une créance fiscale de l’Etat certaine, liquide et exigible en attente ou en cours de paiement à la date du 31 décembre 2019, le spécialiste des questions fiscales, Ibrahima Bèye, précise : ‘’Les personnes concernées sont les particuliers et entreprises qui déclarent et paient leurs impôts, y compris l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu dont les déclarations interviendront au plus tard le 30 avril 2020.’’
Afin de préciser les conditions pour bénéficier de la remise de dette, éclaire-t-il, l’ordonnance n°002-2020 relative aux mesures fiscales en soutien aux entreprises, dans le cadre de la pandémie de la Covid-19, a été prise par le président de la République le 23 avril 2020. ‘’A la faveur de cette ordonnance, le Code général des impôts a été modifié et l’article 706 bis a été introduit. Ledit article, qui précise les personnes physiques ou morales devant bénéficier de la remise de la dette, nous renseigne que seuls les contribuables dont l’activité est directement impactée par la crise liée à la pandémie du Covid-19 peuvent bénéficier d’une remise partielle de leur dette fiscale constatée au 31 décembre 2019, suivant les modalités définies par arrêté du ministre en charge des Finances’’, indique le technicien.
En attendant que cet arrêté soit pris par le ministre, informe M. Bèye, ‘’nous mettons l’emphase sur la nécessité d’établir des modalités basées sur la transparence et l’équité, afin que la remise partielle de dette ne s’apparente pas, pour certains, comme une prime à l’illégalité ou à la fraude fiscale, au regard des conséquences économiques et budgétaires importantes de cette mesure’’. Celle-ci, fait remarquer le directeur juridique et fiscal de Togo Invest Corporation, ‘’implique une facilité de trésorerie accordée aux entreprises et aux particuliers qui en bénéficient ; mais aussi elle creuse le déficit budgétaire de l’Etat sénégalais, dans la mesure où elle induit une perte de recettes fiscales pour un montant de 200 milliards’’.
Selon lui, tous les secteurs économiques et tous les agents économiques sont touchés par cette pandémie, mais il y en a qui en souffrent le plus. ‘’Je pense au secteur touristique, à l’hôtellerie, au transport, à la presse, etc. Les acteurs de ces secteurs doivent forcément être concernés par la remise partielle de dette. J’insiste sur la nécessité de la transparence pour éviter toute déviation de cette manne financière à laquelle l’Etat a renoncé pour soutenir l’économie’’.
Du pilotage à vue Dans tous les cas, l’après crise, c’est maintenant qu’il faut le préparer, selon les spécialistes. Les 1 000 milliards de francs CFA, pense Bassirou Bèye, c’est juste pour faire supporter le choc aux entreprises. ‘’Après, arrivera l’heure de la relance économique. Là, il faudra se concentrer sur la création d’emplois, l’appui à des entreprises en difficulté, celles qui sont en faillite ou en voie de l’être… La relance devra se faire avec des fonds remboursables’’. Selon l’économiste, les ressources publiques ne doivent pas servir à enrichir des patrons, mais de maintenir les emplois. ‘’Il faut même penser, dans certaines situations, à la nationalisation de certaines grandes entreprises. Quand on en a eu le plus besoin d’eux, ils n’ont pas réagi comme il le fallait’’, plaide-t-il, non sans déplorer l’absence d’une politique claire de l’Etat. ‘’Les gens s’enferment entre quatre murs et définissent des stratégies qui ne reposent pas sur des réalités économiques intangibles. En atteste le pilotage à vue dans le choix des bénéficiaires. On donne l’argent à ceux qui savent gronder les plus. Ce n’est pas comme ça qu’on pourra relever le défi d’après-Covid. Pourtant, en se référant aux données disponibles de l’ANSD et du fisc, on aurait pu savoir exactement qui a le plus souffert de cette crise, en vue de mieux penser et la résilience et la relance’’. |
Mor AMAR