Publié le 11 Jul 2017 - 04:58
DOCTEUR JOSEPH MENDY (VICE-PRESIDENT/SECRETAIRE GENERAL DE L’ORDRE NATIONAL DES MEDECINS DU SENEGAL)

‘’Un médecin qui allie privé et public est dans l’incompatibilité de l’exercice’’ 

 

Les cliniques et les cabinets privés font foison dans la sphère médicale, au point qu’il est difficile de ne pas le constater. Dans cet entretien,  le vice-président de l’Ordre National des Médecins du Sénégal, Docteur Joseph Mendy, donne les raisons de  leur existence. Il explique aussi les procédures d’ouverture et de façon détaillée, éclaire les lanternes.

 

Qu’est-ce qui peut amener un médecin à sentir le besoin d’ouvrir une clinique ou un cabinet ?

Après les études médicales, il y a deux options fondamentales. Soit le médecin veut travailler pour l’Etat, et dans ce cadre, il faut déposer une demande au ministère de la Fonction publique et celui-ci vous recrute.  L’autre option du médecin est de faire une expérience dans le privé et dans ce cas, il peut ouvrir soit un cabinet médical soit une clinique. Parce que la Santé est divisée en deux secteurs, le privé et le public. Le secteur public regroupe tous les points de prestations de soins de santé qui relèvent de l’Etat ; et le privé regroupe les cliniques, les pharmacies, les cabinets, mais également les structures de santé relevant des organisations non gouvernementales ou des ordres religieux qui, dans le cadre de leur plan social, ouvrent des dispensaires et hôpitaux pour aider les populations. C’est ce qu’on appelle le secteur privé non lucratif. Il y a aussi le fait que certains médecins, après quelques années de pratique dans le public, sont totalement découragés du fait du traitement dont ils font l’objet par les pouvoirs publics. Ils décident de créer leurs structures privées pour s’autofinancer et mener une vie plus descente.

Donc c’est l’insatisfaction dans le traitement dans le public qui pousse certains médecins à ouvrir des cliniques ?

C’est la motivation qui fait que certains médecins décident d’aller dans le privé alors qu’au départ leur ambition était de travailler pour l’Etat. La motivation ne se résume pas en termes financiers. Cela compte beaucoup évidement, mais quelquefois, c’est le respect qu’on vous doit et qu’on ne vous donne pas. Cela peut être aussi les difficultés inhérentes à la pratique qui font qu’à un certain moment, le médecin ne peut plus accepter la situation. C’est cette situation de révolte qui fait que les médecins décident de partir ou d’aller dans le privé. On a bien vu que dans les cliniques, une radiologie ou un scanner fonctionne toujours, alors que dans l’hôpital, ces machines fonctionnent un mois sur deux. Vous voulez opérer un malade, vous n’avez pas de quoi pour le faire. Il n’y a pas de matériel, les radios tombent souvent en panne, les laboratoires ne font pas telle ou telle analyse. En fin de compte,  vous n’avez pas une satisfaction morale ; en plus de cela, il y a le traitement salarial.

Tous ces facteurs font que les médecins décident d’aller tenter l’expérience ailleurs où ils auront beaucoup plus de moyens pour travailler. Ils sont beaucoup plus tranquilles et sont quittes avec leur conscience pour  travailler. Mais tout le monde ne peut pas aller dans le privé parce que le niveau économique du pays est à un stade où toute la population ne peut pas accéder à ce secteur, vu les difficultés de financement. Il faut qu’il y ait des gens dans le public pour essayer d’entretenir et de développer le secteur public.

Quelle est la procédure d’ouverture d’une clinique ou d’un cabinet ?

La procédure n’est pas compliquée. Il  y a un certain nombre de papiers exigés. Il s’agit des diplômes du médecin et ceux du personnel, le certificat de salubrité, l’avis du médecin chef de district, les contrats et la liste des prestations de service et leurs tarifs. Il faut aussi adresser une demande au ministre de la Santé et de l’Action sociale qui, après réception, va saisir l’Ordre national des médecins pour demander son avis par rapport à l’honorabilité du requérant.  L’Ordre va examiner, et si toutes les conditions sont réunies, s’il n’y a pas de procédure judiciaire, si le médecin jouit d’une bonne honorabilité, l’Ordre va donner un avis favorable. Si le médecin ne remplit pas ces conditions ou si son dossier est litigieux entre autres, l’avis sera défavorable. Ce sont des papiers qui jugent la qualité et la crédibilité de la personne qui demande à ouvrir une clinique ou un cabinet. Mais à l’état actuel de la loi, n’importe qui peut ouvrir une clinique pourvu que le responsable technique soit un médecin. Cette disposition est en voie d’être révisée. Après l’examen de l’Ordre, le dossier repart au ministère avec l’avis favorable et de là, le ministre prend un arrêté autorisant à ouvrir une clinique. C’est la même procédure en pharmacie et en laboratoire d’analyse médicale.

Dans ce cas, tout médecin a le droit et la possibilité d’ouvrir une clinique ou un cabinet ?

Exactement ! Tout médecin a le droit d’ouvrir une structure privée à condition qu’il soit de bonne moralité. C’est un avis qui lie le ministre. L’avis ne lie pas l’autorité, mais si le conseil déclare le collègue comme quelqu’un qui ne jouit pas d’une bonne moralité, le ministre ne peut faire autrement que de rejeter ce dossier.

 Est-ce qu’il est arrivé que des cliniques ou des cabinets soient fermés ou que leur ouverture soit refusée ?

Depuis qu’on est là, il y a beaucoup de dossiers de clinique qui ont été rejetés. Dès qu’on juge que les conditions de sécurité d’ouverture de la clinique ne sont pas réunies, le Conseil donne un avis défavorable. Même si on est dans une situation où l’avis ne lie pas l’autorité. Mais depuis une dizaine d’années que je suis là, je n’ai jamais vu un dossier frappé d’un avis défavorable auquel le ministre a donné l’autorisation. Le ministre respecte l’avis de l’Ordre. En  2014, on a étudié 44 dossiers, 40 ont eu l’avis favorable et 4 non favorable. L’année 2015, nous avons étudié 37 dossiers dont trois ont été frappés d’un avis non favorable et 34 favorable. S’agissant de la fermeture, cela concerne les cabinets, mais  pas encore les cliniques. Beaucoup de cabinets ont été fermés. Parce que la personne qui déclare le cabinet peut aller en formation. Au bout de six mois, si la personne ne revient pas, on ferme le cabinet. Parce que le remplacement, c’est au bout de six mois. On ferme jusqu’à ce que la  personne revienne.

Quel est le nombre de cliniques actuellement au Sénégal ?

Je ne peux pas savoir le nombre de cliniques. Mais entre 2014 et 2015, il y a eu 70 nouvelles créations de structures privées.

Comment un agent de l’Etat peut-il allier public et privé ?

C’est incompatible. Ce n’est pas une réglementation propre au secteur de la médecine. C’est l’incompatibilité d’exercice. Vous ne pouvez pas servir l’Etat et servir le privé en même temps. Il y avait eu dans l’histoire de l’Ordre quelques incompréhensions, notamment les médecins relevant du cadre universitaire. Il leur a été dit qu’ils devaient bénéficier pour le décret 63 qui stipulait que les enseignants hospitalo-universitaires pouvaient conserver deux après-midis pour leur consultation privée.

Cette disposition a été révisée par le décret 75 qui a supprimé cela dans les capitales régionales. Si on se tient au texte, dans les capitales régionales, aucun médecin n’a la prérogative d’aller faire le privé étant agent de l’Etat. C’est une interprétation un peu décalée qui a fait en sorte que certains médecins ont ouvert des cabinets, parce qu’ils pensaient que du fait qu’on leur avait permis d’aller faire deux après-midis en privé, cela voulait dire ouvrir des structures privées.  Mais la lecture juridique des textes a permis aux médecins de comprendre que ce n’était pas le cas.

Depuis que nous avons pris les commandes de l’Ordre, nous avons développé une vigilance telle qu’aucun dossier ne peut passer si vous êtes dans la Fonction publique. Avant de faire quoi que ce soit, on mène d’abord une petite enquête pour voir si le médecin est dans la Fonction publique. Même si vous êtes contractuel du service public, on vous demande de décider. Soit vous continuez, le dossier reçoit l’avis défavorable ; ou vous arrêtez et vous ouvrez votre structure. Mais on sait également qu’il y a des prête-noms. Il y a des bailleurs qui ont de l’argent et utilisent des médecins pour ouvrir des cabinets. Nous sommes en train de changer les dispositions et faire en sorte que ceci ne soit plus possible. Le médecin qui veut ouvrir une clinique doit pouvoir justifier les fonds et les moyens dont il dispose avant qu’on le lui autorise. Nous pensons que d’ici quelque temps, cette question sera réglée.

Les coûts des soins sont généralement jugés élevés ; quelles sont les explications ?

La tarification fait aussi l’objet d’une autre interprétation. Dès l’instant qu’on dit que c’est une profession libérale, l’autre compréhension est de dire qu’on ne peut pas imposer les tarifs. Ce n’est pas la bonne interprétation. La bonne interprétation est de réglementer. Nous sommes dans un Etat de droit, et tout le monde doit rester vigilant par rapport aux textes et lois. Tout le monde doit être soumis aux lois et règlements. Il faut que les pouvoirs publics prennent les dispositions pour réglementer les honoraires de consultation. De la même façon que l’Etat a réglementé les honoraires dans les structures publiques, il doit, en relation avec les syndicats, les Ordres, pouvoir fixer les honoraires  pour qu’il n’y ait pas d’abus. Il n’y a pas encore un texte aujourd’hui légal ou réglementaire qui impose un tarif aux médecins. C’est pour cela que certains sont en train d’en abuser. Il n’y a pas de barème fixé par l’Ordre ou un autre organe. La fixation des tarifs n’est pas dans la prérogative de l’Ordre, même si celui-ci va donner son avis. C’est à la fois une concertation pour une bonne entente et une bonne stabilité du secteur. Il faut que le ministère de la Santé en assure le leadership ; autour de lui vont graviter les Ordres.

Les médecins sont souvent accusés de privilégier le côté commercial. Y-a-t-il une part de vérité ?

Vous savez, dans une société, on dit souvent que les faits sont sacrés et le commentaire est libre. On ne peut pas opposer à tout le monde la même vision. Le médecin est un praticien assermenté, il a prêté serment d’être au service du patient, du malade. Il prête, à travers le serment d’Hippocrate qui dit : je n’ajouterai pas un payement au-dessus de mon salaire et mon état ne servira pas à corrompre les mœurs. En tant qu’Ordre, nous veillons à ce principe de moralité d’exercice et surtout d’exiger un paiement à la hauteur des services et non pas plus. Certains y voient un aspect commercial. Mais il faut se dire qu’un médecin, en consultant, en utilisant son matériel, il faudrait qu’il reçoive quelque chose en retour pour continuer à fonctionner. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas d’abus. Comme toute profession, il y a toujours des bons et des mauvais. La santé est tellement sensible ! Si jamais il vous arrive quelque chose, vous êtes victime d’un comportement qui est un peu en déphasage avec la bonne pratique, on a tendance à dire que tout le monde est comme ça. Il faut vous assurer que l’écrasante majorité des médecins sont animés de bonne volonté et l’effet commercial les intéresse très peu.

On sait que tous les médecins ne sont pas inscrits à l’Ordre et la prolifération de cliniques et cabinets continuent. Est-ce que cela signifie qu’il y en a qui ouvrent sans faire partie de l’Ordre ?

C’est là notre raison d’être. C’est-à-dire de traquer les faussaires. Ce sont des irréguliers ; et malheureusement, il y en a. Le système est tel qu’aujourd’hui, on ne peut pas dire que ce sont les médecins qui le font. Si vous n’êtes pas médecin, vous ne pouvez pas le savoir. L’infirmier ou un autre agent de santé qui ouvre une structure en banlieue et se fait appeler docteur, la population le fréquente en pensant que c’est un vrai médecin. Mais quand vous venez à l’Ordre, vous ne trouverez pas son nom. C’est ça l’exercice illégal qui est en train de déstabiliser notre système. Dans certains coins, on ne peut plus faire la différence entre médecin et non-médecin. Tout le monde se déclare médecin, les charlatans, il y a du tout. Notre souci, c’est le combat de l’exercice illégal pour assainir la profession et mettre en sécurité la population.

Est-ce qu’il y a des sanctions prévues pour ces cas ?

La loi 66-69 du 4 juillet 1966 portant exercice de la médecine et de l’Ordre national des médecins sanctionne l’exercice illégal de la médecine, d’une peine de trois mois à deux ans de prison ferme. On a eu des condamnations qui ne sont pas trop sévères. Cela nous encourage vraiment à lutter contre l’exercice illégal dans le souci de protéger la profession, mais également la population contre ces prédateurs. Aujourd’hui, ces gens font beaucoup plus attention parce qu’ils entendent parler de l’Ordre. Ils savent que d’un moment à l’autre, on peut les visiter. C’est vrai que nous sommes un peu démunis, on n’a pas encore les moyens de se déplacer à tout moment, mais nous sommes en train de réunir les conditions. Une fois qu’elles seront réunies, l’Ordre pourra se déplacer pour visiter ces clandestins, et ceux qui seront pris en flagrant délit seront arrêtés. 

VIVIANE DIATTA

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