Mohamed Morsi, frère modèle devenu président
Il incarne à lui seul l'aboutissement de quatre-vingt-quatre ans d'efforts collectifs, d'oppression et de sacrifices. Près d'un siècle de pensée politique et religieuse tendue vers la conquête du pouvoir et l'instauration d'un Etat islamique moderne par les Frères musulmans égyptiens, enfin arrivés au pouvoir par le truchement de Mohamed Morsi.
On aurait pourtant peine à trouver quoi que ce soit de flamboyant dans cet homme poupin qui, de conférences de presse en réunions politiques, manie avec insistance la langue de bois impénétrable et ambiguë à laquelle souscrivent la plupart de ses compagnons. Figure peu charismatique projetée par accident dans un costume de président, Mohamed Morsi n'est ni un animal politique ni un idéologue. Plutôt un cadre de parti discret sachant adopter un profil bas pour mieux servir ses idéaux.
Rien à voir avec son adversaire du second tour, Ahmed Chafik, ancien pilote de chasse, athlétique, nommé premier ministre par Hosni Moubarak avant son éviction, tout en élégance sport-chic. Cette candidature improbable a même donné un temps de faux espoirs aux partisans de l'ancien régime, convaincus que leur champion pourrait l'emporter sur le fil contre un homme qui n'avait l'air de rien.
ABNÉGATION DU MILITANT
Mais en accédant à la présidence de l'Egypte, dimanche 24 juin, le terne islamiste consacre le triomphe d'une stratégie payante : celle qui a conduit les Frères musulmans à renoncer à la violence et à attendre leur heure jusqu'à être portés au pouvoir par la volonté du peuple, récoltant ainsi les fruits de décennies de prosélytisme. Attendre, endurer, négocier, se soumettre, résister, ruser : autant de valeurs que Mohamed Morsi porte en lui avec l'abnégation du militant.
Nul ne s'y trompe : avant d'être le président du Parti de la justice et de la liberté fondé par les Frères musulmans qui étaient jusqu'alors privés de vitrine politique légale, au lendemain de la révolution, il est d'abord le rouage d'une machine restée dans les mains du guide suprême de la confrérie. Et le remplaçant accidentel d'un autre homme apparemment plus taillé que lui pour la fonction suprême. Khairat Chater, millionnaire et célèbre ancien prisonnier politique, était le grand favori de cette élection présidentielle avant de se faire éliminer de la course pour cause de casier judiciaire, sans doute à l'instigation des militaires. Il règne d'ailleurs toujours en maître sur l'organisation des Frères.