Publié le 26 Nov 2020 - 00:12
EMIGRATION CLANDESTINE - DRAMES EN MER

Le gouvernement se dédouane

 

Face à la presse, hier, le gouvernement du Sénégal a plaidé pour une analyse holistique des causes de l’émigration clandestine. Les ministres soumis à ce premier exercice du ‘’Gouvernement face à la presse’’ ont refusé d’endosser seuls la responsabilité de ces départs massifs pour l’Europe. Ils soutiennent que plusieurs efforts ont été faits en faveur de l’épanouissement de la jeunesse sénégalaise.  

 

‘’L’objectif du gouvernement n’est pas de dénombrer des morts, mais plutôt de chercher des solutions contre l’émigration clandestine’’. Par cette déclaration, le ministre de l’Intérieur a été on ne peut plus clair et répond sans ambiguïté à l’une des doléances du collectif 480.

Selon Antoine Félix Diome, face à un phénomène clandestin, il est difficile d’avoir des chiffres exacts. Ainsi, la priorité, pour le gouvernement, est de renforcer la sécurité coordonnée en mer pour empêcher ces voyages. A en croire l’autorité, c’est le cas depuis plusieurs années avec la police espagnole.

Au chapitre de ces drames en mer, s’est ajouté un accord de pêche entre le Sénégal et l’Union européenne qui alimente encore la polémique. Pendant cinq ans, les navires de cette partie du monde auront droit à environ 10 000 tonnes de thon et 1 750 tonnes de merlu dans les eaux sénégalaises. Pour les acteurs, c’est une mort programmée d’un secteur déjà essoufflé qui va, en outre, accentuer les départs irréguliers pour l’Europe.

Mais hier, face à la presse, la tutelle a su se laver à grande eau : ‘’Ce protocole d’accord existe depuis 1979. Il a juste évolué dans le temps. Il concerne des espèces que nos acteurs locaux, y compris les industriels, n’attaquent pratiquement pas. Auparavant, ces accords s’attaquaient aux poissons de notre pêche artisanale. Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. On est plus sévère, parce qu’avant, c’était 80 000 tonnes de thon, 20 000 tonnes de merlu. Et actuellement où la quantité a baissé, l’Union européenne paie plus cher. Donc, pourquoi dire que cet accord vient vider nos mers et accentuer l’émigration clandestine ? Cet accord n’a rien à voir avec la disponibilité du poisson. Il serait très hasardeux de tirer ces conclusions.’’

Le ministre des Pêches affirme que la transparence a été de mise dans la signature du protocole qui s’est faite en présence de scientifiques et d’observateurs sénégalais. Alioune Ndoye invite, par ailleurs, les Sénégalais à prendre connaissance du document disponible en ligne. ‘’C’est un accord axé sur la gestion durable des ressources halieutiques. Sur la gestion, il y a néanmoins des éléments confidentiels qui sont contenus dans cet accord concernant les pays tiers. J’aimerais rappeler qu’au Sénégal, les licences ne peuvent être données que dans le cadre d’une réglementation stricte. Nous rassurons, en disant que tout ce qui est fait l’est dans le cadre d’une transparence et une réglementation stricte de la loi sénégalaise’’, ajoute-t-il.

Sur les 10 000 tonnes de poissons attribuées, chaque pays de l’Union européenne bénéficie d’un quota précis. A chaque prise d’espèce, la quantité est prélevée sur ledit quota jusqu’à épuisement. L’accord de pêche exige que 25 % du personnel soit sénégalais ainsi que la présence d’observateurs. Plus de 2 800 Sénégalais travaillent actuellement sur ces navires, d’après la tutelle.

‘’Nous ne vendons pas de licences’’

La flotte intervenant dans les eaux sénégalaises compte, à ce jour, 129 navires dont 31 européens (10 français et 21 espagnols) et un navire du Cap-Vert. Selon le ministre, les licences de pêche portent principalement sur les pêches en haute mer. Donc, difficile d’accès pour les acteurs locaux. ‘’Nous ne vendons pas de licences ; il n’y a aucune licence particulière délivrée. Pour les espèces de ‘yaboye’ (sardinelle) et ‘dièy’ (chinchard), les attributions de licences datent de 2006. Et depuis cette date, un arrêté ministériel interdit des licences supplémentaires sur ces espèces. Je veux vraiment recadrer cette perception que les gens ont. La pêche artisanale assure au minimum 80 % des débarquements au Sénégal et en moyenne, nous sommes à 500 000 tonnes de débarquements au Sénégal’’, insiste Alioune Ndoye.

Il plaide pour une collaboration entre les pays de la sous-région, pour la préservation des stocks disponibles, surtout que le poisson migre. Cette mutualisation des efforts doit prendre aussi en compte la surveillance et le sauvetage en mer.

‘’Les causes sont beaucoup plus profondes et multiformes’’

‘’La question de l’emploi est une cause de l’émigration irrégulière ; mais elle n’est pas la seule. Les causes sont beaucoup plus profondes et multiformes. Si seule la question de l’emploi était la cause de l’émigration irrégulière, on aurait moins de départs, ces temps-ci’’, estime pour sa part le ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle et technique.

Il en veut pour preuve, le bond observé dans la création d’emplois formels, de 2012 à aujourd’hui. En effet, de 37 114, le Sénégal est passé à 65 404 emplois formels. En termes de formation professionnelle, on compte 100 000 apprenants contre 24 000 en 2012. De 84 structures de formation en 2012, le pays est passé à 120.

Selon Dame Diop, toutes ces augmentations entrent dans le cadre du renforcement du dispositif de formation professionnelle et technique, tant au niveau financier que matériel. ‘’Nous avons fait un bond qualitatif pour permettre à bon nombre de jeunes Sénégalais de se former. En 2012, 24 milliards de francs CFA ont été attribués à la formation professionnelle et technique. Aujourd’hui, toutes ressources confondues, en 2020, nous consacrons près de 80 milliards de francs CFA. Tous ces efforts devront servir à améliorer le taux de qualification des jeunes Sénégalais, pour leur permettre d’accéder à l’emploi. L’employabilité est un facteur préalable pour l’obtention d’un emploi décent. Ce qui explique un changement de paradigme dans les curricula de formation qui vont intégrer systématiquement la notion d’entrepreneuriat. Si on veut régler la question de l’emploi, nous devons le faire à partir de l’entrepreneuriat’’, détaille le ministre.

Selon qui l’équation de l’émigration clandestine concerne toutes les couches du Sénégal qui doivent sensibiliser les jeunes, en faisant comprendre qu’il est possible de réussir dans ce pays. Et Dame Diop de poursuivre : ‘’Au regard de ces avancées, je dis que la formation professionnelle et technique au Sénégal est gratuite. Il était question de régler le problème de la qualification des jeunes Sénégalais, parce toutes les statistiques avaient montré que, sur une population en âge de travailler d’environ sept à huit millions de Sénégalais, seuls 6 % ont une qualification. L’enveloppe de 20 milliards de la contribution des entreprises, une vieille doléance du patronat et du système éducatif, a été reversée dans la formation professionnelle.   Cette somme a permis à la rendre plus accessible, même dans les coins les plus reculés du Sénégal. C’est grâce à cette contribution que l’Etat paie leur formation. On assiste également à une diversification des offres de formation professionnelle.’’

‘’On a vendu à la jeunesse ce fameux eldorado’’

Au Sénégal, 80 % des acteurs du secteur informel se tournent vers l’émigration, qu’elle soit régulière ou irrégulière. Toutefois, ce phénomène n’est pas lié à une absence ou une mauvaise politique en faveur des jeunes, précise-t-on du côté du ministère de la Jeunesse.

Les causes sont fortement sociales, de l’avis du ministre Néné Fatoumata Tall. ‘’On a vendu à la jeunesse ce fameux eldorado. Au Sénégal, les jeunes vivent une pression sociale énorme inqualifiable dans les maisons, dans les quartiers et dans les lieux de travail. J’en appelle au sens des responsabilités des parents, mais également des familles, parce que mettre la pression sur des jeunes ne développe pas un pays. Un jeune qui, tous les jours, entend : ‘Tel a construit un immeuble pour ses parents, pourtant, il n’est pas mieux que toi’ ou ‘Tel personne a acheté des bijoux pour ses parents’ est mis sous pression. Ces mots reviennent souvent dans les familles. C’est une situation insupportable pour les jeunes’’, soutient-elle.

De son point de vue, la rumeur sur la régularisation des papiers des migrants établis en Europe a accentué le phénomène de l’émigration clandestine. ‘’C’est totalement faux. La preuve, beaucoup de jeunes aujourd’hui sont en train d’être rapatriés’’, renchérit la ministre.

A l’en croire, son département a opté pour une politique axée sur la formation, le financement et l’emploi. Une enveloppe de 57,8 milliards de la Délégation à l’entrepreneuriat rapide (Der) a ‘’changé la vie de bien de jeunes’’.

Elle annonce que 95 000 jeunes ont bénéficié de financements directs et 105 000 de financements indirects. En outre, certains programmes de l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi des jeunes (Anpej) œuvrent pour la lutte contre l’émigration irrégulière. C’est le cas du programme ‘’Réussir au Sénégal’’ d’un montant de 6 milliards, qui vise à renforcer les capacités des jeunes dans les domaines de l’élevage, de l’agriculture et des nouvelles technologies. De l’avis de Fatoumata Tall, ‘’quand on parle des problèmes de la jeunesse du Sénégal, il faut prendre en compte son poids démographique. La responsabilité de l’Etat vis-à-vis des jeunes ne sera jamais dégagée. Il continuera à accompagner les jeunes. Nous avons déclenché le processus d’accompagnement des jeunes migrants de retour. On a recensé 800, pour le moment. La Der et l’Anpej vont assurer leur accompagnement en formation et en financements. Il s’agira de soutenir financièrement ceux qui ont déjà un métier et de formation gratuite pour ceux qui n’en ont pas’’.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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