Publié le 22 Aug 2019 - 21:13
EN PROFONDEUR - LE SORT DES CORPS NON IDENTIFIES

De la réception à la morgue à la livraison au cimetière

 

Saviez-vous qu’il existe des corps qui font près de six mois dans les morgues des hôpitaux ? On les appelle les ‘’corps non identifiés’’. Non identifiables parce que leurs noms sont inconnus ou parce que leurs familles ne se sont jamais présentées pour les récupérer. Comment ces corps arrivent dans les morgues ? Sont-ils utilisés à d’autres fins ou s’ils sont inhumés ? Qui l’autorise et dans quelles conditions le sont-ils ? ‘’EnQuête’’ a essayé de creuser.

 

Les cadavres inconnus, ce sont le plus souvent des errants, des malades mentaux, des accidentés admis vivants ou après leur décès au niveau des hôpitaux, par le biais des sapeurs-pompiers. Parfois ramassés avec leurs pièces d’identité, parfois non, ils sont déclarés ‘‘inconnus’’ par les responsables des morgues, si aucun membre de leurs familles ne s’est présenté, durant tout le temps légal de conservation des restes mortels.

Passé ce délai, une procédure juridique est lancée pour les fins d’inhumation.

Le procédé reste presque le même dans les hôpitaux de Dakar, lorsqu’il est admis qu’un corps est inconnu, après un dépôt ‘‘de par la loi’’. A l’hôpital Général de Grand-Yoff (Hoggy), quatre services coordonnent, de la réception à la livraison du mort, selon M. Diakité, le responsable de la morgue. ‘‘Dès que nous recevons le corps, nous prenons des clichés à chaud. Les photos seront envoyées au service de la communication. Passé le délai légal sans qu’une famille se présente, le service judiciaire entre en jeu. A la fin de la procédure, c’est le service d’hygiène qui se charge de l’inhumation’’.

En termes plus clairs, le Service social et de la communication de Hoggy se charge des communiqués de presse et de l’enquête sociale pour retrouver la famille du décédé. Passé le délai légal qui est de 45 jours, selon le chargé des affaires juridiques de l’hôpital, Mountaga Ndiaye, une lettre pour autorisation d’inhumation signée par le directeur est adressée au procureur de la République. ‘‘Nous saisissons  le procureur de la République d’une lettre pour des fins d’inhumation. Celui-ci donne son autorisation, après s’être assuré de l’exactitude matérielle des faits, ce qu’on appelle les justificatifs nécessaires, c’est-à-dire l’autopsie, le certificat de genre de mort ou la réquisition de la police’’. Il ajoute que l’hôpital prévoit un budget pour les besoins du linceul, quand il s’agit des corps inconnus.

C’est donc à la suite de ce décaissement, par une procédure interne, que le service d’hygiène intervient. Mamadou Ndiaye, Chef de division de sécurité de l’hôpital, confirme que son personnel, aidé par le représentant de l’imam, s’occupe du rituel funéraire des corps inconnus jusqu’à leur livraison au cimetière musulman de Yoff par une ambulance de l’hôpital.

 

Des bénévoles au secours des hôpitaux… ignorés par l’autorité judiciaire

A l’hôpital Principal de Dakar, en plus des communiqués par voie de presse, les agents de renseignement font des investigations pour retrouver les familles. La demande d’inhumation est faite au quatrième mois de conservation des corps à la morgue. Quant à leur prise en charge par l’hôpital, le responsable de la morgue, Coumba Ndoffène, apprend qu’‘‘antérieurement, il y avait des archives de paiement, mais depuis que l’association est là, elle prend en charge tous les frais (logistique, linceul). Elle vient en appoint avec ses propres moyens et ça nous soulage’’.

Le major de la morgue du centre hospitalier universitaire de Fann abonde dans le même sens que son collègue : ‘‘Depuis que j’ai pris fonction (depuis cinq mois) l’Association pour la solidarité et la perfection s’en charge bénévolement. Elle vient avec ses véhicules et son matériel pour l’inhumation des corps.’’

Ladite association créée en 2012, sous l’autorisation de l’ex-procureur de la République Ousmane Diagne, a pour but de s’occuper de la toilette et de la prière mortuaires, et de l’enterrement des cadavres non-identifiés au Sénégal.

Un statut que remet en cause l’actuel procureur de la République Serigne Bassirou Guèye, qui déclare ne pas être informé de l’existence d’une telle association à Dakar, depuis sa prise de fonction en 2013.

Si les différents hôpitaux, à Dakar, soutiennent prévoir un budget consacré à la prise en charge des dépouilles admises dans leur morgue, même avant l’arrivée de l’association, on ne pourrait pas dire de même pour les hôpitaux régionaux. Différentes sources révèlent qu’avant l’existence de l’association, c’étaient les responsables de morgue qui usaient de leurs propres moyens pour louer des voitures et engager de la main-d’œuvre pour l’enterrement. Ceci, face à la petite somme décaissée par l’administration de l’hôpital, la léthargie du service d’hygiène et les plaintes du personnel sanitaire quant à l’utilisation des ambulances pour acheminer des corps parfois putréfiés.

Ibrahima Diassé, gestionnaire du cimetière musulman de Yoff : ‘‘Les fosses communes sont légales.’’

Interpellés sur les conditions d’inhumation, devant les révélations de l’Association pour la solidarité et la perfection sur l’existence de fosses communes (voir interview), les responsables des morgues des hôpitaux s’accordent sur la même réponse : ‘‘La dignité humaine est respectée jusqu’au bout.’’

Quand Mountaga Ndiaye de Hoggy s’assure de recevoir ‘‘les immatriculations des corps enterrés pour remplir le dossier qui comportera et le numéro et l’endroit’’, Coumba Ndoffène de l’hôpital Principal atteste que les tombes sont individuelles, puisqu’il assiste aux inhumations. Mais il insiste sur un fait : ‘‘Je ne gère pas les cimetières. Quand je livre les corps, après la délivrance des permis d’inhumation par la mairie, j’y assiste uniquement pour vérifier que le nombre de corps que j’ai envoyés ont été bien enterrés. C’est pour le Pv de compte rendu adressé au procureur.  Sinon, sur comment ils sont enterrés, ça ne relève pas de mon ressort.’’

En effet, normalement, c’est de la responsabilité d’Ibrahima Diassé, le gestionnaire du cimetière musulman de Yoff, où une parcelle est réservée aux non-identifiés. Mais lui aussi est tranché : ‘‘En tant que gestionnaire du cimetière, la seule chose que je vérifie, c’est le permis d’inhumation délivré par un officier d’état civil. Si la prière ou la toilette mortuaire ont été faites ou même si je vois un nom chrétien, ce n’est pas mon problème.’’ Selon lui, ‘‘les fosses communes sont légales et existent depuis 1974. Ce qui a changé avec l’association, c’est que nous avons convenu de mettre deux corps par tombe. Sinon, mettre 10 à 15 corps dans un même trou n’est point interdit’’. Il met tout sur le compte de l’entendement humain et les normes islamiques qui peuvent faire que certains soient choqués.

Des propos que le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye a infirmé, après s’en être offusqué. ‘‘C’est quoi une fosse commune ? Le fait de mettre plusieurs corps dans un trou… Non ! Parce que cela existe au Sénégal ? Il n’y a aucune loi qui l’autorise, en ma connaissance, et je n’ai jamais été informé de ça’’.

SERIGNE BASSIROU GUEYE SUR L’AUTORISATION D’UTILISATION DES CORPS PAR LA MEDECINE

 

‘‘Que ceux qui disent que c’est le procureur montrent des preuves’’

Dans la gestion des corps inconnus, il y a un autre aspect qui peut heurter les consciences : c’est l’utilisation des cadavres par les étudiants en médecine. Trois médecins à qui nous avons parlé affirment que ces pratiques existaient avec les ainés, mais qu’elles ne se font plus, pour des raisons d’éthique. Un autre médecin confie avoir lui-même fait de la pratique en anatomie avec un cadavre inconnu. C’était en 2009 et c’est le procureur qui avait donné l’autorisation. Mais il précise que le délai de conservation était bien respecté.

Cependant, le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye juge l’acte illégal et parle d’une procédure interne entre les médecins, ce qui n’implique en rien la loi. ‘‘Que ceux qui disent que c’est le procureur qui autorise l’utilisation de ces corps par la médecine, montrent des preuves. C’est leur manège et c’est trop facile’’.

A l’hôpital universitaire de Fann, le responsable de la morgue affirme, dans la même veine, qu’‘‘aucun cadavre n’a été donné à une quelconque personne pour ces genres de pratique’’.

Quoi qu’il en soit, le sort des cadavres inconnus reste un sujet sensible aux dessous non encore dévoilés.

Les délais de conservation

Si les différents hôpitaux interpellés s’entendent sur une procédure théorique, qu’en est-il de son application ? A commencer par l’efficacité des communiqués de presse pour la recherche des familles. Car, si certains des responsables de morgue ont pu montrer des exemplaires de communiqués dans les journaux (‘’Sud quotidien’’ et l’’’As’’ datant de 2018) d’autres  sont moins incisifs. Il y a aussi le temps légal de conservation qui diffère d’une morgue à l’autre, même si la loi ne fixe pas un délai précis, selon le procureur Serigne Bassirou Guèye.

Ce dernier nous apprend qu’il ‘‘renvoie aux hôpitaux leurs demandes d’autorisation d’inhumation, si le délai est encore court et donc l’autorisation trop tôt’’.

Et puis, enfin, les conditions d’inhumation. L’existence des fosses communes qui serait ignorée par les juridictions sénégalaises. En tout cas, s’ils ne tergiversent pas sur ces questions de fond, les responsables de morgue engagent la responsabilité de l’association qui n’est que bénévole et, pourrions-nous dire, juridiquement désuète, puisque méconnue par l’actuelle autorité.

Sur la question de savoir comment les corps inconnus étaient inhumés dans le passé, la réponse reste unanime chez les concernés : ‘‘Je ne sais pas. Je n’ai aucune information là-dessus.’’


La majorité des corps sont des mort-nés…

A l’hôpital Principal de Dakar, depuis 2018, ils ont recensé 40 cadavres non-identifiés dont 23 fœtus. C’est le même constat à l’hôpital Général de Grand-Yoff où sur 7 corps, 5 sont des mort-nés. Certains de ces bébés sont ramassés dans les dépotoirs comme Mbeubeuss ou sortis des fosses par les sapeurs-pompiers qui les acheminent au niveau des hôpitaux. Mais, parfois - et c’est le plus fréquent - ils sont abandonnés par leurs mères à l’hôpital, après accouchement.

Dans certains hôpitaux, faute de quoi payer les frais d’hospitalisation, leurs mères s’enfuient.

Mais, à l’hôpital Principal, M. Niang du service de la communication nous révèle que ‘‘les mamans laissent délibérément leurs bébés mort-nés à la maternité. On est donc tenu de les inhumer pour respecter la dignité humaine’’.

FATMA MBACKÉ (STAGIAIRE)

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