Les attentes de la société civile
Après une élection historique et l'installation d'un nouveau gouvernement au Sénégal, les yeux du peuple sont tournés vers les promesses de changement et les actions à venir. Dans un pays où les défis économiques, sociaux et environnementaux sont nombreux, les attentes envers les dirigeants fraîchement élus sont grandes. ‘’EnQuête’’ donne la parole à certains membres de la société civile pour explorer les principales attentes du peuple.
En tête des préoccupations des Sénégalais figurent la relance économique et la création d'emplois. Le chômage, en particulier chez les jeunes, reste un défi majeur. Le nouveau gouvernement est donc attendu sur ses engagements à mettre en œuvre des politiques économiques efficaces et inclusives qui favorisent la croissance économique et génèrent des opportunités d'emploi pour tous les segments de la société.
Pour Babacar Ndiaye de West African Think Tank (Wathi), aussi bien sur la forme et sur le fond, c’est à saluer. Il estime que le nombre est raisonnable : 25 ministres et cinq secrétaires d’État. ‘’On constate que ce sont des hommes d’expérience qui ont un parcours riche. Cette question de qualité intéresse le duo Diomaye-Sonko. Le mélange est intéressant. Dans l’ensemble, le casting est réussi. Il est évident que ces gens seront jugés sur leur qualité de travail et que les Sénégalais puissent rapidement voir les résultats du travail qu’ils vont opérer. La petite faiblesse, c’est la sous-représentativité des femmes. Mais les Sénégalais ont salué dans leur ensemble cet attelage gouvernemental’’.
Pour Boubacar Ba, président du Forum du justiciable, et Elimane Kane, connus pour leur engagement, c'est la même opinion qu'ils ont de ce gouvernement piloté par Ousmane Sonko : "C’est un bon casting. Je trouve les profils choisis excellents. La compétence a été mise en avant. Je pense que c’est un gouvernement qui peut réussir sa mission et pourra répondre aux attentes et aux difficultés des Sénégalais. Il suffit maintenant que les Sénégalais soient patients et s’unissent autour d’eux afin d’atteindre leurs objectifs", suggère Boubacar Ba.
Pour sa part, Elimane Kane va sur la même lancée, avec quelques nuances. S’il loue, d’une part, les compétences des différents profils, d’autre part, il appelle à plus de modération. Il souligne qu’il y a un préjugé favorable aux profils. Certains ont une présomption en matière d’intégrité et de morale. ‘’On verra à l’œuvre si ces différentes sommités pourront mettre en œuvre les souhaits attendus par les Sénégalais. Il y a beaucoup d’experts. Mais c’est la confiance qu’il faudra essayer de restaurer entre les citoyens et ces ministres. Il y va de l’orientation du président et du Premier ministre d’avoir des capacités solides de coordination. Au cas contraire, il risque d’y avoir une confrontation d’ego qui pourra plomber le projet. À cet effet, il faut beaucoup d’humilité, une approche inclusive pour réussir ces différentes politiques publiques et en faire adhérer les citoyens.’’
Face à l’urgence, Elimane Kane, membre de la plateforme Aar Sunu Election (sauvegardons notre élection) et très actif dans le processus électoral, pense que ‘’le nouveau gouvernement hérite d’un pays avec beaucoup d’urgences liées aux conditions de vie des Sénégalais de plus en plus difficiles, marqués par un coût de la vie très chère. Cette situation nécessite des aménagements pas faciles à faire. Le gouvernement devra tenir compte des équilibres macroéconomiques et penser aux investissements sur les secteurs sociaux de base, sur l’environnement pour favoriser la baisse des coûts des denrées de première nécessité et l’énergie et l’habitat’’.
D’autres défis : c’est l’emploi des jeunes. Le gouvernement de Macky Sall avait un bilan mitigé sur cette question.
Toujours selon Babacar Ndiaye, directeur de recherche, les premiers défis restent le panier de la ménagère : ‘’Le pouvoir d’achat, le coût de la vie sont des sujets préoccupants. Il faut rapidement trouver des solutions pour attaquer cette question de la vie chère afin de réduire le prix des denrées alimentaires.’’
Boubacar Ba : ‘’L'instauration d’un juge de la détention et des libertés spécialement chargé de statuer sur la mise en détention provisoire.’’
D’autres défis structurels liés à la gouvernance sont aussi à prendre en compte pour avoir un système de gouvernance. Dans cette logique, le président Diomaye Faye a annoncé, lors de son discours de la Nation, le mercredi 3 avril 2024, son souhait de l’inscription sur le fichier électoral concomitamment à la délivrance de la carte nationale d’identité, la rationalisation du nombre de partis politiques ainsi que leur financement, la mise en place d’une Commission électorale nationale indépendante (Ceni) avec un renforcement de ses moyens de fonctionnement et ses prérogatives, et une réforme du système judiciaire à travers de larges concertations.
Dans cette perspective, Boubacar Ba va plus loin avec un chapelet de recommandations pour réformer l'un des secteurs les plus critiqués durant le magistère de Macky Sall. Il milite pour ‘’l'instauration d’un juge de la détention et des libertés spécialement chargé de statuer sur la mise en détention provisoire et sur les demandes de mise en liberté, afin de rationaliser les mandats de dépôt’’.
Sur ce point, il est d’avis qu’il faut ‘’un encadrement de la détention provisoire en matière criminelle, pour en limiter la durée à deux ans. Et, enfin, l'Exécutif dit conférer aux membres du Conseil supérieur de la magistrature le pouvoir de proposition, dans le cadre des nominations et des mutations des magistrats, sans oublier l'éradication du surpeuplement carcéral’’.
Dans la foulée, le Collectif des organisations de la société civile pour les élections (Cosce) salue également la ‘’volonté de mettre en place une autorité indépendante d’organisation, de supervision et de contrôle du processus électoral’’. Le Cosce annonce organiser, dans les semaines à venir, des ‘’ateliers régionaux d’évaluation du processus électoral et une table-ronde au niveau national avec l’ensemble des parties prenantes au processus, afin de finaliser son recueil de recommandations et bonnes pratiques en soutien aux projets de réformes électorales proposées’’.
Elimane Kane : ‘’C’est un gouvernement qui n’aura pas le temps de prendre des vacances pendant longtemps’’
Au regard de ces défis immatériels, Elimane Kane porte son analyse sous un prisme beaucoup plus axial, en souhaitant une inclusion des citoyens. ‘’Nous avons des défis structurels liés à la gouvernance. Même si l’on a des textes et des institutions intéressants, ils demeurent inefficaces. Il faut renforcer ces conditions de transparence : loi sur l'accès à l'information et outiller les citoyens pour qu’ils puissent interroger les pouvoirs publics et avoir un système de redevabilité permanente en étroite collaboration avec les organisations citoyennes...’’.
Sur le déficit macroéconomique, il souligne qu'il y a différents aménagements à faire avec les différents partenaires bilatéraux et multilatéraux pour alléger le coût de la dette très exagérée lié aux problèmes de trésorerie.
Par ailleurs, il ‘’faut mettre en place une politique économique et monétaire pour sortir de ces restrictions en créant de la monnaie et avoir une option économique qui réduit nos dépendances stratégiques, c’est-à-dire une économie endogène et solidaire. Je pense que l'attelage gouvernemental est dans ce sillage, si l’on voit les différents ministères mis en place. C’est un gouvernement qui n’aura pas le temps de prendre des vacances pendant longtemps’’, assure le patron de Legs-Africa.
Amadou Camara Gueye