Publié le 1 Feb 2023 - 22:06
INDICE DE PERCEPTION DE LA CORRUPTION 2022

Le Sénégal stagne dans la zone rouge 

 

Transparency International a publié, hier, l’Indice de perception de la corruption 2022 (IPC). Avec un score de 43/100, le Sénégal n’atteint pas la moyenne et se classe 72e au plan mondial.  

 

D’un léger mieux, le Sénégal renoue avec la pérennité des mauvaises pratiques dans la lutte contre la corruption. L’Indice de perception de la corruption 2022 (IPC) publié hier par Transparency International en atteste. En un an, il n’y a pas eu de progrès notable pour le pays qui stagne avec un score de 43/100, le maintenant à la 72e place sur 180 pays.

Depuis 2012, le Sénégal a connu une hausse de son score, passant de 36/100 à 45/100 en 2016. Toutefois, cette note est restée sur place jusqu’en 2022, avant de dégringoler en 2021 et en 2022.

L’IPC classe 180 pays et territoires sur une échelle qui va de zéro (0 = forte corruption) à cent (100 = aucune corruption), en fonction du degré de perception de la corruption dans le secteur public.

Selon Birahime Seck, Coordonnateur du Forum civil/Section sénégalaise de Transparency International, avec ce score, ‘’le Sénégal stagne dangereusement dans la zone rouge’’. Dans un communiqué du Forum civil, l’on précise même que ‘’cette note de 43/100 n’est pas en soi une surprise, car, depuis le départ de Mme Nafy Ngom Keita de l’Ofnac, le Sénégal a perdu plus de six ans dans la lutte efficace contre la corruption. De plus, aucune réforme, allant dans le sens de promouvoir l’indépendance de la justice, n’a été faite, sans compter l’opacité constatée dans la régulation et la gestion des marchés publics’’.

Ce classement est publié alors que le Sénégal connaît de nombreux scandales liés à la corruption dont l’un des plus récents est le rapport de la Cour des Comptes sur les fonds destinés à la lutte contre la pandémie de Covid-19. Aucune des informations judiciaires recommandées par la Cour des Comptes au ministre de la Justice n’a été officialisée jusqu’ici, malgré les promesses faites par le gouvernement à la société civile et aux partenaires techniques et financiers sur la reddition des comptes, dans le cadre de cette affaire.

Demande d’explication

L’enquête de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) fut un autre scandale. Selon le regroupement de journalistes internationaux spécialisés sur la corruption et le crime, le ministère de l’Environnement a signé, début 2022, un contrat de 77 millions de dollars (45 milliards de francs CFA) pour l’achat de fusils d’assaut, de pistolets semi-automatiques et de munitions. Le contrat couvre aussi un large éventail de matériels et de services, intégrant des bateaux, des camionnettes et voitures, en passant par des uniformes et des cours de formation au pilotage de drones. L’article ajoute que le fournisseur et signataire, Lavie Commercial Brokers, est une société quasiment inconnue sur le marché, créée quelques semaines avant que l’accord soit conclu.

Il n'y a eu aucun appel d'offres pour ce contrat d'armement qui n'a pas été rendu public, tout en impliquant un fournisseur pour le moins douteux, souligne le rapport du réseau de journalistes OCCRP. Le fournisseur, Lavie Commercial Brokers, est une société créée pour l'occasion par un Nigérien, Aboubakar Hima dit ‘’Petit Boubé’’, déjà mis en cause dans des affaires de détournement et de corruption liées à des centaines de millions de dollars de contrats d'armement au Nigeria et au Niger où il était au cœur d'un audit sur un achat d'armes en 2020.

Devant la gravité des faits révélés, le Forum civil avait déclaré ‘’inacceptable que le Sénégal, au vu de sa stature et de son image internationales, soit cité dans ce type de relations contractuelles impliquant ses plus hautes autorités, sans apporter des explications claires et exhaustives’’.

Invitant le président de la République, Macky Sall, à demander à ses ex-ministres de s’expliquer sur cette affaire, l’organe de la société civile invitait également le procureur de la République à ‘’s’autosaisir de cette affaire qui pourrait affecter gravement l’image du pays, en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux de financement du terrorisme’’. Rien de cela n’a été suivi par les autorités sénégalaises.

‘Secret défense’

Dans ses explications, le porte-parole du gouvernement, Abdou Karim Fofana, a soutenu que ‘’le contrat dont il est question a été passé conformément à la réglementation en vigueur. Il a été approuvé par les services compétents de l’État, sous le sceau du ‘Secret défense’, conformément aux dispositions du décret 2020-876 du 25 mars 2020 complétant l’article 3 du décret 2014 -1212 du 22 septembre 2014 portant Code des marchés publics modifié par le décret 2022-22 du 7 janvier 2020 qui exclut du champ d’application du Code des marchés publics les travaux, fournitures, prestation de services et équipements réalisés pour la défense et la sécurité du Sénégal et classé ’Secret défense’ qui sont incompatibles avec les mesures de publicité exigées par le Code des marchés publics’’.

D’autres dossiers opaques concernent les autoroutes Thiès - Touba, Dakar - Diamniadio, Mbour – Kaolack, le Pôle industriel de Diamniadio, la réfection du Building administratif, le Centre international de Diamniadio, l’Unidak 2 de Diamniadio, l’attribution du port de Bargny Sindou, les concessions de Necotrans, la gestion opaque du King Fahd Palace, la nature et le contenu des contrats relatifs au Train express régional (TER) et au Bus Rapid Transit (BRT), etc. Sans oublier les rapports des institutions qui n’ont pas donné de suites concernant les sanctions demandées par les vérificateurs.

‘’Un immobilisme chronique en matière de lutte institutionnelle contre la corruption’’

Autant de faits qui font relever au Forum civil ‘’un immobilisme chronique en matière de lutte institutionnelle contre la corruption, exacerbée par les dossiers mis sous le coude par Monsieur le Président de la République Macky Sall’’. La note ajoute qu’au niveau de la prévention, ce laisser-aller se manifeste par ‘’l’absence de loi sur l’accès à l’information, par l’absence de texte sur l’encadrement des financements de campagnes électorales et le financement des partis politiques, par l’obsolescence des textes sur la déclaration de patrimoine et par le fait que le Sénégal s’éternise sur la liste grise en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux’’.

Pour le Forum civil, l’adoption d´une stratégie nationale de lutte contre la corruption (SNLCC) en 2020 n’a pas été, jusque-là, d'un grand apport dans la lutte contre la corruption, en termes d’efficacité et de mise en œuvre. Dans le rapport d’activité 2021 de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) il est relevé les difficultés majeures rencontrées dans l’exécution de la SNLCC : ‘’L’absence d’une ligne de financement dédiée exclusivement à la mise en œuvre de la SNLCC ; la non-prise en compte, par les ministères, des activités qui leur incombent au titre de la SNLCC ; les contraintes liées à la collecte de l’information auprès de certains départements ; l’inexistence d’un cadre formel de concertation entre les acteurs de la prévention et de la lutte contre la corruption ; et l’absence de conventions entre l’Ofnac et les partenaires d’exécution pour une mise en œuvre efficiente des actions planifiées.’’

Afin d’améliorer la situation, des recommandations ont été rappelées au président de la République par la Section sénégalaise de Transparency International.  En plus d’enlever son ‘’coude (sur) les dossiers qui lui sont transmis par les corps de contrôle’’, le Forum civil demande à Macky Sall de ‘’prendre des mesures pour faire cesser l’impunité dans la mauvaise gestion des ressources publiques’’. Mais aussi d’accorder des ressources conséquentes à la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) et à l’Ofnac pour la mise en œuvre effective de la Stratégie nationale de lutte contre le blanchiment de capitaux et de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption, entre autres recommandations.

Au ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération, il suggère d’être transparent dans la négociation et la conclusion des conventions de financement en les publiant.

Lamine Diouf

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