Publié le 1 May 2020 - 03:34
INTERDICTION DE RASSEMBLEMENTS

Un ramadan de chômage pour les prêcheurs

 

Le mois béni de ramadan est une période de repentance, de pardon et de grâce. Généralement, il était rythmé, à Dakar et dans le reste du pays, par des conférences religieuses. Pour cette édition 2020, la pandémie de la Covid-19 a complément bouleversé l’agenda habituellement surchargé des prêcheurs qui se retrouvent ‘’au chômage’’.  

 

Après avoir bouleversé le carême et les fêtes de Pâques, la Covid-19 est en train de chambouler les habitudes des musulmans, pendant le mois de ramadan.

En effet, la fermeture des mosquées, l’instauration d’un couvre-feu et l’interdiction des rassemblements ont eu comme conséquence directe la suspension de nombreuses activités habituellement tenues à cette période de l’année. C’est le cas pour les prières nocturnes ou ‘’nafilas’’ collectifs, mais aussi les conférences religieuses d’habitude très fréquentées en ce mois béni.  Ce qui met les imams et autres prêcheurs dans une sorte de chômage technique.

En effet, habituellement fort sollicités en cette période pour l’animation des conférences, les prêcheurs ont vu leur calendrier de ramadan complément chamboulé. Ce qui ne va pas sans conséquence sur leurs revenus financiers, puisque la plupart de ces rencontres religieuses étaient rémunérées et les fidèles en profitaient aussi pour faire des dons aux imams.

Des ‘’oustaz’’ joints par ‘’EnQuête’’ décrivent un ramadan pas comme les autres.  Le prêcheur Oustaz Mor Thiam regrette son incapacité de communier et d’échanger avec la population, comme il le faisait en pareille période. Au-delà de l’aspect financier, renseigne-t-il, les conférences religieuses en période de ramadan lui permettaient de  partager son savoir avec la population et de collecter des fonds pour soutenir les nécessiteux. ‘’Quand on parle des conférences, les gens pensent à l’aspect économique, alors que c’est ce qui intéresse le moins les ‘oustaz’. Ce qui nous manque, c’est surtout l’enseignement qu’on dispensait à la population. On ne peut plus partager notre savoir avec elle. À pareil moment, on était dans les conférences et les mosquées pour enseigner le Coran et mieux faire connaître la religion. Tout cela est aujourd’hui impossible. On se sent comme orphelins, parce qu’on ne peut plus partager la lumière divine avec les autres. Diriger la prière du vendredi et me tenir debout sur le minaret pour sensibiliser les fidèles est la chose qui me manque le plus aujourd’hui’’, dit sur un ton nostalgique l’animateur au Groupe futurs médias (RFM).  

‘’C’est un grand manque à gagner’’

Toutefois, pour combler ce vide, le prêcheur a recours aux réseaux sociaux pour continuer à échanger avec les fidèles. Pour cela, il fait des vidéos sur des thèmes en relation avec le mois béni, qu’il partage sur ses pages Facebook et Instagram pour les internautes.

‘’Dans le Coran, il est dit que le Seigneur ne ferme pas les portes et les fenêtres à la fois.  Dans la sourate 29, verset 60, le Seigneur dit : ‘Je donne les pistes à celui qui me suit.’  C’est dire qu’on ne peut plus sensibiliser la population via les conférences, mais on peut atteindre notre cible à travers les réseaux sociaux. On peut faire de petites vidéos de sensibilisation et les publier sur  nos comptes Facebook ou Instagram ou bien les partager dans des groupes WhatsApp. On ne peut pas faire des téléconférences, parce que la connexion n’est pas accessible à tout le monde’’, souligne l’imam.

 En outre, Oustaz Thiam reconnait que les fonds collectés lors des conférences de ramadan permettaient aux ‘’oustaz’’ de subvenir à leurs besoins, mais surtout de venir en aide aux populations démunies. ‘’C’est vrai que les conférences nous permettaient de collecter  de l’argent pour subvenir à nos besoins et surtout aider les pauvres. Par exemple, les collectes de fonds, lors de ces rencontres, servaient parfois à des achats de vivres pour les populations démunies. L’année passée, j’ai organisé des séances de collecte de fonds pour distribuer des kits alimentaires à 173 ménagers pour le ramadan. Mais, cette année, je ne peux pas le faire. C’est donc un grand manque à gagner. Il faut  savoir  que l’interdiction des conférences affecte plus les personnes démunies qui bénéficiaient des fonds.  Mais malgré tout cela, on doit accepter la volonté divine’’, a-t-il ajouté.

Taïb Socé : ‘’C’est le meilleur ramadan.’’

Même son de cloche chez Oustaz Taïb Socé de la RFM. Pour ce prêcheur, les conférences religieuses en période de ramadan étaient des occasions, pour les religieux, d’user de leur notoriété pour venir en aide aux nécessiteux. Il partageait également sa rémunération avec  ces personnes. ‘’Beaucoup de gens pensent que les conférences permettent aux prêcheurs de gagner de l’argent et ils croient que nous sommes actuellement au chômage. Il faut savoir que les rencontres du  mois de ramadan sont juste des occasions pour nous de servir la religion. Je ne regrette qu’une chose : c’est que beaucoup de personnes démunies seront affectées par l’interdiction de tenue de ces conférences. Personnellement, j’invitais  les malvoyants  à mes conférences et je demandais aux gens de les aider. Je prenais aussi de l’argent collecté lors des conférences pour les aider, en achetant des kits de ‘ndogou’ pour eux. On ne gagnait pas de l’argent pendant ce mois béni. Tout ce qu’on collectait, on le remettait aux musulmans démunis’’, affirme-t-il. Avant de poursuivre : ‘’J’ai d’ailleurs construit une maison pour un malvoyant et sa famille grâce à ces dons. Il faut reconnaitre qu’on n’anime pas les conférences pour après mettre l’argent dans nos poches. On le fait suivant les recommandations d’Allah. C’est pourquoi les gens ne sont pas au courant et tout le monde croit que l’argent collecté va dans nos poches.’’

Ainsi, comme Oustaz Mor Thiam, le seul regret de Taïb Socé est qu’il ne peut plus apporter son aide financière à  toutes ces personnes démunies.  Sinon, l’édition 2020 du ramadan est pour lui la meilleure de toutes.  Pour cause, son calendrier est plus allégé et il en profite pour se reposer et communier avec sa famille. ‘’On se repose. D’habitude, j’étais très fatigué pendant le ramadan, parce que j’étais à la radio du lundi au vendredi pour les ‘tafsir’ (traduction et interprétation du Coran). Et les vendredis et jeudis, c’était toujours des conférences. On était très fatigué. Comme cette année, il n’y a pas de conférence, on récupère le weekend auprès de la famille. Personnellement, je considère que c’est le meilleur ramadan’’, partage-t-il.

Oustaz Mor Thiam sur le ‘’nafila’’ online

‘’Je ne dirai ni oui ni non’’

Mosquées fermées, appels à la prière changés, conférences interdites, ‘’ndogou’’ partagé banni, le ramadan 2020 reste bien exceptionnel. La pandémie de la Covid-19 oblige les musulmans à s’adapter à cette situation inédite.  Toutefois, certains imams proposent des solutions pour mieux concilier ces restrictions et les recommandations de l’islam.

C’est à cet effet que l’appel à la prière a été changé dans toutes les mosquées. Ainsi, au lieu d’appeler les fidèles à venir prier à la mosquée, on les invite à le faire chez eux. Cependant, si cette mesure fait l’unanimité chez les imams, celui d’organiser des ‘’nafila’’ online pour le ramadan reste, lui, controversé. Pour le guide religieux Ahmet Khalifa Niass, c’est bien possible d’effectuer des ‘’nafila’’ online, puisque ces prières sont facultatives et non obligatoires. Une position battue en brèche par l’imam de la mosquée du Point E.

‘’EnQuête’’ a profité de son entretien avec le prêcheur Oustaz Mor Thiam pour recueillir son avis sur cette question source de controverse. Ainsi, contrairement à certains religieux qui ont des positions tranchées, l’imam Thiam reste, pour sa part, prudent sur la question.  ‘’La question des ‘nafila’ en ligne est actuellement source d’une grande discussion entre les savants. On ne peut pas dire aujourd’hui que c’est interdit ou c’est impossible. Mais c’est quelque chose de nouveau. Il n’a jamais été appliqué. Si on le fait aussi, ce sera une nouveauté dans la religion.  

La première fois que j’ai dit à la radio qu’on pouvait faire l’appel à la prière et demander aux gens de prier chez eux, beaucoup de gens m’ont interpellé pour demander des renseignements, parce que tout le monde n’est pas au même niveau. Mais concernant le ‘nafila’ online, les plus grands savants sont en train d’étudier la question, mais ils n’ont pas encore trouvé de consensus.

Il y en a qui sont d’accord, mais ceux qui sont contre sont beaucoup plus nombreux. Maintenant, comme le ‘nafila’ individuel est possible, je crois qu’il ne faut pas instaurer des ‘nafila’ en ligne, car il nous est permis de prier individuellement. En tout cas, personnellement, je ne dirais pas oui ou non pour le ‘nafila’ en ligne. Je pense qu’il faut respecter les recommandations divines et pour cela, on a le ‘nafila’ individuel qui est admis’’, renseigne-t-il.

ABBA BA

 

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