Publié le 12 Jan 2015 - 12:24
ITW PAPE KALY NIANG (CRIMINOLOGUE)

‘’Entre liberté et sécurité, il faut choisir la dernière’’

 

Le dénouement des attaques terroristes en France n’a pas fini de faire couler de l’encre. Le patron de l’agence de sécurité et de proximité (ASP) par ailleurs criminologue lève un coin du voile sur des questions essentielles comme l’attaque de l’hebdomadaire Charlie hebdo, le système de surveillance à adopter ainsi que les implications de l’attaque du désormais 7 janvier.

 

Quel commentaire faites-vous de l’attaque de Charlie hebdo ?

Le constat est unanime pour tout le monde. Le monde est bouleversé par le terrorisme, le radicalisme. Ce qui est dommage, c’est que l’anticipation n’a pas été faite aussitôt pour éviter que le drame se produise. On a toujours pensé que le terrorisme concernait exclusivement les occidentaux, alors qu’il se déplace. On peut cibler un pays, mais, au-delà, c’est tout le monde qui est visé. Si le terrorisme est présent en France, cela veut dire que les autres pays sont exposés.

D’où l’intérêt pour tous les pays du monde de coordonner les moyens afin de lutter contre le phénomène. Il faudra éviter de parler exclusivement de lutte puisque la meilleure manière de faire face à ce phénomène, c’est l’anticipation, la sensibilisation. Malheureusement, on ne porte pas assez les moyens sur ces deux aspects. On a toujours voulu lutter avec des dispositifs importants alors que ce n’est pas là où on peut atteindre les terroristes. Le fait de défiler tout un dispositif sécuritaire pour trois individus prête à réfléchir sur la manière de procéder

Les assaillants sont français, comment faire une bonne prévention avec la nature multiforme de la menace terroriste?

Il faut déjà quantifier le phénomène. Dans nos pays, nous nous sommes toujours appuyés sur la Police, les forces de sécurité et de défense ; alors que la question devient scientifique. Si les gens ne sont pas formés, les problèmes vont persister. Le développement de la cybercriminalité est favorisé par internet. Si on n’arrive pas à avoir des policiers experts en la matière, capables de pouvoir capter tous ces signaux, on sera toujours surpris. Ce qui a le plus attiré mon attention, c’est que les trois terroristes qui ont fait le massacre ont traversé tout Paris sans qu’on puisse trouver des signalisations fortes. Et tout, cela relève du fait que le côté technologique n’a pas été maîtrisé.

Dans un pays comme la France, si on arrive à travailler sur les systèmes de télé surveillance, on peut donner des éléments d’identification juste après l’attaque. Cela n’a pas été fait et c’est un grand point d’interrogation. Comment les gens ont attaqué Charlie hebdo et faire tout ce tour pendant 48 heures sans être pris par la télé surveillance privée ou publique ? D’où l’importance de mettre en place ce dispositif. Mais quand ce problème a été posé en France, à un certain moment, les gens ont agité le problème des libertés individuelles…

En filigrane, c’est une question de privations des libertés qui se pose donc?

Oui, mais entre les deux, il faut choisir la sécurité. C’est l’option à prendre. En 1995 on a tenu une conférence à Rio de Janeiro sur la criminalité informatique. Personne ne pensait qu’en 2015 on allait être dans cette impasse. Quand on en parlait, les gens pensaient que c’était de la rigolade. Face à la criminalité informatique, virtuelle, on doit lutter avec des moyens virtuels, électroniques. Un autre paramètre est que la sensibilisation au troisième niveau de sécurité est importante. Le terrorisme, c’est les gros moyens alors que la présence humaine est là. La sensibilisation consiste à faire du citoyen un policier. Aujourd’hui, on est dans le cadre de la sécurité humaine et citoyenne. Si cette forme de sécurité est ignorée, on ne parviendra pas à vaincre le terrorisme.

Au Sénégal, on a lancé le concept de gouvernance sécuritaire de proximité, la sécurité fondée sur la citoyenneté  avec l’ASP. Les gens ignorent à quel point la présence d’une personne en tenue peut être dissuasive. Cela devrait être réfléchi dans les pays occidentaux pour créer un troisième niveau de protection des personnes et des biens. Mais pour suivre un terroriste, il faut 20 policiers derrière, ce qui signifie qu’on ne peut pas filer les terroristes.

Craignez-vous des représailles contre la communauté musulmane de France ?

J’ai vécu en France pendant longtemps. Je sais que les Français ont essayé d’éviter de stigmatiser les musulmans. Par contre, il faut que le traitement passionnel de cette affaire cesse. Il faut affirmer fermement que cela n’a rien à voir avec l’islam ou les musulmans. Ce qui importe, c’est de dire aux gens que le terrorisme, c’est à la limite un système de secte, de radicalisation. Les terroristes frappent aveuglément. La preuve, c’est qu’ils ont aussi fait des victimes de confession musulmane. La réaction positive de l’une des familles de la victime (Ahmed Merabet) est à saluer.

Pour éviter la persistance des amalgames, il faut tenir un discours clair, dire qu’il y a des gens qui sont contre la société. Et ces individus sont des terroristes. Prendre aussi des mesures fermes contre le racisme. Il faut lutter sur les deux fronts. A défaut, le radicalisme s’en trouvera renforcé. Il faudra trouver l’équilibre entre combattre le terrorisme et ne pas stigmatiser les musulmans. Si on légifère exclusivement pour renforcer les mécanismes de lutte contre le terrorisme, ca risque de poser problème. Il faudra également donner la place à cette jeunesse française.

Nicolas Sarkozy l’avait fait avec les jeunes de banlieue en créant les adjoints de sécurité sans tenir compte de leur casier judiciaire. Si on intègre ces jeunes dans un dispositif citoyen, cela ne peut être que bénéfique pour la lutte contre le terrorisme. S’ils sont ignorés, ils deviennent vulnérables à un type de discours et par rapport à certains qui ont des moyens. Les 1 500 individus qui sont allés en Syrie pour se faire former, c’est un gros problème. Il faut localiser les secteurs où les départs sont massifs pour les canaliser. L’objet, c’est de ne pas restreindre la liberté de voyager, mais il faut que toutes les destinations vers ces pays soient contrôlées. On ne peut  pas laisser ces jeunes partir subir une formation comme ils veulent, rentrer comme ils veulent et s’attaquer aux gens comme ils veulent.

Une marche dite républicaine a été organisée hier à Paris avec la présence de nombreux dirigeants du monde entier. Est ce un message explicite pour contenir l’avancée fulgurante du terrorisme ?

C’est plutôt une marche de solidarité. C’est une réaction spontanée, passionnelle. Je serais à Paris, j’aurais participé à ce rassemblement. C’est tout à fait normal. Mais ce n’est pas un dispositif qui anéantit ou qui est dissuasif. Ce n’est pas dans le but de véhiculer un sentiment défaitiste à la face de ces terroristes que cette marche s’est tenue.

Maintenant on attend la riposte. Elle doit être très claire, très nette. Ce qui est arrivé en France peut arriver à tout le monde. Je pense à plus près de chez nous, au Nigeria. Il y a lieu d’anticiper et de sensibiliser les gens sur ces questions. Il urge de  filtrer les entrées, de quantifier la délinquance, d’intégrer la société civile, les délégués de quartier. Il faut un système d’identification solide aux frontières, la télé surveillance peut y aider. Les moyens technologiques doivent suivre l’évolution de la délinquance. Voilà ce qu’il faudra faire pour diminuer au moins les risques car le risque zéro n’existe pas.

 

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