Le Sénégal et ses 165 000 aveugles et plus de 550 000 malvoyants
La Journée mondiale de la vue a été, hier, l'occasion pour la ministre de la Santé et de l'Action sociale (MSAS) de faire le point sur la lutte contre cette maladie. Docteure Marie Khémesse Ngom Ndiaye a évoqué les avancées, les perspectives et les défis.
L'hôpital régional de Fatick a abrité, hier, la cérémonie officielle de la Journée mondiale de vue. La ministre de la Santé et de l’Action sociale (MSAS) a profité de l’occasion pour rappeler que la cécité et les déficiences visuelles sont responsables d’un handicap visuel chez plus de 253 millions de personnes dans le monde, tandis que 124 millions présentent des vices de réfraction non corrigés (myopie, hypermétropie ou astigmatisme), selon les dernières estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Docteure Marie Khémesse Ngom Ndiaye renseigne, aussi, que 90 % des aveugles recensés à travers le monde vivent dans les pays en développement. Dans les régions à revenu faible ou intermédiaire situées dans l’ouest et l’est de l’Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, le taux de cécité, poursuit-elle, est huit fois supérieur à celui des pays à revenu élevé.
La cécité est donc, à ses yeux, un véritable problème mondial de santé publique.
D’ailleurs, souligne-t-elle, cette situation est à l’origine d'énormes souffrances pour les personnes touchées (dépendance, mendicité, mauvaise qualité de vie, mortalité prématurée, etc.), leurs familles (enfants guides, déperdition scolaire, dislocation, etc.) et la société (baisse de la productivité, augmentation des charges sociales, appauvrissement de la communauté, etc.).
Pour rappel, les principales causes de cécité dans le monde sont : les défauts de réfraction non corrigés, la cataracte, la dégénérescence maculaire liée à l’âge, le glaucome, la rétinopathie diabétique, l’opacité cornéenne et le trachome. Leur incidence est malheureusement plus élevée chez les femmes, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, renseigne la ministre.
"Pourtant, dans huit cas sur dix, la cécité est évitable ou guérissable. Les interventions destinées à prévenir et traiter la perte de l'acuité visuelle figurent parmi les plus efficaces par rapport à leur coût et celles qui réussissent le mieux : opération de la cataracte, prévention du trachome, distribution d'ivermectine pour le traitement de la cécité des rivières, vaccination anti-rougeoleuse, distribution de vitamine A pour prévenir la cécité infantile et la fourniture de lunettes. Ces interventions permettent d’éviter jusqu’à 80 % des cas de cécité, soit parce qu'ils résultent d'affections évitables (20 %), soit parce qu'ils sont guérissables (60 %). Pour gagner ce pari, il faudra maintenir et renforcer l’engagement politique de nos États, une implication de la population, un appui accru des partenaires techniques et financiers, etc.’’.
Elle ajoute : ‘’ Au Sénégal, la cécité et les déficiences visuelles sont des problèmes majeurs de santé de par leur ampleur et leur gravité. En effet, avec une prévalence estimée à 1,42 %, on dénombrerait près de 165 000 aveugles et plus de 550 000 malvoyants. Cette prévalence serait construite autour des causes dominantes que sont la cataracte (0,31 %), le trachome (0, 26 %), les cécités d’origine cornéenne (0,40 %), le glaucome (0,16 %) etc.".
"De 5 112 cas opérés en 2000, nous sommes passés à plus de 22 000 cas opérés en moyenne ces deux dernières années"
Ainsi, à l’instar de la communauté internationale, le Sénégal s’est inscrit dans la dynamique d’éliminer les cécités évitables. D’où la mise en place du Programme national de promotion de la santé oculaire (PNPSO) pour rendre les soins oculaires disponibles et accessibles par la prise en charge curative et préventive des affections oculaires cécitantes par des soins de qualité à un coût compatible avec le niveau de développement du pays. Il y a aussi la promotion de la santé oculaire par l’information et la sensibilisation des populations.
Pour y parvenir, renseigne la tutelle, plusieurs plans stratégiques ont été mis en œuvre s’appuyant sur le développement des ressources, des infrastructures et des équipements pour lutter contre les affections les plus cécitantes que sont : la cataracte, le trachome, les vices de réfraction et les cécités de l’enfant. Dans la mesure où la ministre demeure convaincue qu’assurer un meilleur accès aux soins oculaires à ses populations permettrait de lutter et de contrôler de façon durable les causes de cécité et malvoyances dans notre pays.
L’exécution des différents plans stratégiques a permis d’enregistrer d’importants progrès, note-t-elle. Elle en veut pour preuve les résultats obtenus dans la lutte contre le trachome qui est la deuxième cause de cécité dans notre pays. Il est en phase d’être éliminé en tant que problème de santé publique, note-t-elle.
D’ailleurs, renseigne la ministre de la Santé, les districts de la région de Fatick font partie des 67 qui ont éliminé le trachome sur les 79 que compte le pays, d'après elle.
En effet, explique-t-elle, des actions stratégiques ont permis de réduire très sensiblement la prévalence du trachome folliculaire et de trichiasis trachomateux. Ainsi, l’ambition est d’éliminer cette cause de cécité évitable en tant que problème de santé publique, d’ici fin 2024. "La prévention primaire est possible pour le trachome et passe par la lutte contre l’insalubrité et la promotion de l’hygiène individuelle et collective. Cette stratégie fait donc naturellement appel à la lutte multisectorielle avec les autres secteurs comme l’eau, l’assainissement, l’éducation, etc.’’.
S’agissant de la cataracte, qui est la première cause de cécité au Sénégal, avec près de 35 à 50 000 cas par an, d’importantes avancées ont été enregistrées, révèle Marie Khémesse Ngom Ndiaye. ‘’De 5 112 cas opérés en 2000, nous sommes passés à plus de 22 000 cas opérés en moyenne ces deux dernières années. De plus, avec 75 centres de soins oculaires recensés en fin 2022, aujourd’hui, chaque région administrative du Sénégal présente au moins une unité de chirurgie de la cataracte et des unités simples de soins oculaires, et des régions comme Diourbel, Fatick, Louga, Saint-Louis, Tambacounda et Ziguinchor disposent d’au moins trois à quatre unités de chirurgie de la cataracte. Dans cette perspective de lutte contre la cécité due à la cataracte, plus de 18 000 cas ont été pris en charge, ces deux dernières années", renseigne la ministre de la Santé.
Lancement du projet d’élimination de la cécité causée par la cataracte
En outre, hier, la célébration nationale de la Journée mondiale de la vue a servi de prétexte pour lancer le projet d’élimination de la cécité causée par la cataracte dans la région de Fatick, en partenariat avec la fondation GX.
Selon la ministre, ce projet va permettre à son département de programmer près de 6 000 opérations gratuites de la cataracte au cours des deux prochaines années à Fatick. Ces interventions chirurgicales seront réalisées par des équipes médicales mixtes, sénégalaises et chinoises.
Déjà, la région de Fatick a quatre unités de chirurgie oculaire mises en place à l’hôpital et au centre de santé de Fatick, et dans les centres de santé de Gossas et de Sokone. Au niveau des centres de Foundiougne et de Dioffior, deux unités de soins oculaires sont installées et sont fonctionnelles.
En appoint à ces actions de l’État, elle a invité la population à renforcer le recours précoce aux services de santé de base (postes et centres de santé) en cas d’affection oculaire. Ainsi, elle pourra bénéficier d’une référence auprès des spécialistes, en cas de besoin.
"La cérémonie qui nous réunit ce matin est également un moment de communication en faveur de la promotion de la santé oculaire. En effet, elle donne l’occasion d’attirer l'attention sur l'importance du dépistage primaire des vices de réfraction dans les écoles et les daaras pour les cibles enfants et jeunes, et dans les lieux de travail pour la cible adulte. C’est donc le lieu d’encourager les employeurs à prendre des initiatives en matière de santé oculaire et à promouvoir des habitudes de santé oculaire qui bénéficieront au bien-être, à la sécurité et à la productivité des employés’’, a exhorté la ministre.
Elle a profité de l’occasion pour révéler les efforts faits en matière de formation d’ophtalmologistes. Ainsi, le Sénégal a atteint aujourd’hui un ratio d’un ophtalmologiste pour 241 927 habitants (contre 1/250 000 préconisé par l’OMS). Compte non tenu de la quinzaine d’ophtalmologistes qui sont présentement dans la filière de formation.
‘’À côté de ces progrès remarquables, des défis persistent et sont la rétention du personnel qualifié en périphérie, la recherche active et la cure des derniers cas de trichiasis, le dépistage précoce des cas de glaucome et des vices de réfraction’’, souligne toutefois Dr Ndiaye. La ministre engage ainsi tous ses services à relever ces défis. Elle invite aussi les collectivités territoriales, les acteurs communautaires, la société civile et les partenaires au développement à y contribuer de façon significative et soutenue.
CHEIKH THIAM