Publié le 7 Jan 2025 - 13:08
LA GESTION DES GRANDS PROJETS EN AFRIQUE

Perspectives pour le sénégal à l’ère de la rupture systémique

 

L’Afrique, continent à fort potentiel de développement, est confronté à de multiples contraintes qui l’empêchent de jouer pleinement son rôle dans le monde actuel. La plupart des pays africains, indépendants depuis plus d’un demi-siècle, sont en construction permanente pour résorber les nombreux déficits infrastructurels et satisfaire les besoins sociaux de base de leur population.

Toutefois, force est de constater que ces pays peinent à se mettre sur la bonne voie de développement après des années d’indépendance. Selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), en 2022, plus de la moitié (54,8 %) des personnes vivant dans la pauvreté réside en Afrique, ce qui positionne le continent africain encore loin derrière le reste du monde en matière de bien être individuel ou collectif.

C’est pourquoi, il est normal de se poser la question de la nécessaire appropriation par les africains de leur développement.

Notre histoire renseigne à suffisance que nous sommes les seuls à pouvoir hisser nos pays dans les voies de l’émergence, à être des acteurs à part entière de ce processus, grâce à des actions quotidiennes dans le domaine économique, social et culturel.

Ces actions de construction visent à la mise sur pied d’initiatives capables de prendre à bras le corps les différentes problématiques de développement du continent africain. Dans ce présent article, nous nous intéresserons à la gestion des grands projets d’infrastructures initiés au Sénégal, ainsi que les défis et contraintes de leur mise en œuvre dans le contexte de la rupture systémique ?.

Enjeux des grands projets en Afrique

La mise en œuvre des mégaprojets est d’une très grande complexité dans nos pays. Au-delà des contraintes classiques de la gestion de projet (coût, temps et qualité), les projets d’envergure évoluent dans des écosystèmes turbulents difficiles à maîtriser. Ils sont, en effet, confrontés à d’énormes défis de gestion qui peuvent compromettre leurs chances de succès. Des études ont montré que la moitié des grands projets ne satisfait pas l’impact attendu et qu’un (1) projet de construction sur 2 révèle un dépassement de coûts de l’ordre de 40 à 200% du budget imparti (Ika Lavagnon 2014). Le succès d’un projet se mesure à travers 2 éléments à savoir : le succès de la gestion (processus) et le succès du livrable (produit ou service). A titre d’illustration, nous pouvons citer le Projet Pipeline Tchad

Cameroun réalisé par Exxon Mobil (1993-2003) d’un coût de 37 milliards de $ dollars américains qui a été livré dans le temps mais avec peu d’impact.

Comme mentionné plus haut, les projets d’infrastructures sont incontournables pour une nation en voie de développement. En Afrique, l’on note depuis quelques années une hausse de l’investissement dans les projets d’infrastructures qui se situe à hauteur de 3,5 % du produit national brut en 2000 et dont les prévisions pour 2025 avancent un chiffre de 4,5%. L’Afrique est loin derrière les pays comme la Chine (7,7%) et l’Inde (5,2 %) en termes de taux d’investissement (McKinsey C Company 2020). L’actuel pipeline des projets d’infrastructures d’initiatives, à compléter d’ici 2025, se chiffre à environ 2,5 milliards de dollars américains.

En termes de stratégies pour booster les infrastructures en Afrique, nous pouvons noter entre autres, Infrastructure Consortium for Africa (ICA) et le Programme d’Infrastructure pour le Développement de l’Afrique (PIDA) mis en place par l’Union Africaine. Toutefois, le taux d’échec des projets d’envergure reste élevé en Afrique compte tenu des énormes contraintes auxquelles ils sont soumis notamment :

  1. Bon nombre de projets d’infrastructures ne dépassent pas l’étape du montage financier (environ 90%)
  2. 80% des projets échappent au stade des études de faisabilité
  3. Faible présence de l’expertise locale dans la mise en œuvre des projets d’infrastructures car 85% sont réalisés par des firmes étrangères
  4. 50% des projets de transport routier sont sujet à des dépassements de délais de plus de 12 mois
  5. Plus de 50% des projets d’infrastructures ne livrent pas les résultats escomptés
  6. Une conception des projets peu élaborée qui entraîne des performances moindres pour les projets d’infrastructures
  7. Complexité organisationnelle liée à des ressources humaines souvent peu qualifiées et une communication orientée vers une multitude d’acteurs prenantes
  8. Réalités culturelles relatives entre autres à la gestion de la contrainte de temps dans les projets qui constituent un frein à la réussite des projets
  9. Faiblesse dans la gouvernance : cet aspect de la gestion des grands projets se pose avec acuité en ce sens que les meilleures compétences ne sont pas toujours valorisées
  10. Système de contrôle des performances très timide dans la mesure  il ne constitue souvent pas une priorité pour les acteurs
  11. Faible transparence et une redevabilité inefficace car les africains n’ont pas le réflexe de l’obligation de rendre des comptes surtout en ce qui concerne l’utilisation des deniers publics
  1. Incertitudes politiques qui impactent véritablement la gestion des mégaprojets et peuvent être source de rallonge ou d’arrêt de l’initiative
  2. Niveau élevé de corruption car les grands projets, du fait la mobilisation des ressources humaines et financières qu’ils suscitent sont une porte ouverte pour des détournements de fonds
  3. Timidité de la recherche en ce qui concerne les mégaprojets en Afrique, en moyenne trois (3) articles sont produits par an.

Perspectives pour le Sénégal à l’ère de la rupture systémique

Pour ce qui est du Sénégal, des outils de promotion de l’investissement ont été créés avec la première alternance en 2000 avec la création de l’Agence de Promotion de l’Investissement et des Grands Travaux (APIX). Elle est chargée de promouvoir les investissements nationaux et étrangers et de faciliter la mise en œuvre de grands projets d’infrastructures dans le pays. Plusieurs projets de grande envergure ont été réalisés par cette agence, notamment des infrastructures routières, ferroviaires, sportifs et vestiges culturels depuis sa création. Mais malheureusement, ces différentes initiatives, au-delà de leur objectif de développement affiché, répondent souvent à une commande politique plus préoccupée par un bilan matériel que par des priorités nationales. Les mégaprojets au Sénégal, financés pour la plupart selon le modèle de Partenariat Public Privé (PPP), sont victimes de pratiques de corruption, ce qui entraîne leur faible performance et un dépassement de leurs coûts réels.

En effet, l’obstacle majeur des grands projets demeure la collusion et la corruption. C’est un phénomène qu’il faut éradiquer si l’on veut assurer une réussite de nos initiatives de développement.

L’arrivée de ce nouveau régime au Sénégal qui prône la rupture vient à point nommé pour venir à bout de ce fléau qui inhibe toutes nos actions de développement. Il nous faut un changement de paradigmes permettant de repenser notre développement. La meilleure façon de pouvoir matérialiser cette rupture est d’arriver à nous approprier davantage notre développement, que les citoyens que nous sommes se sentent au cœur de la démarche, engagés sur la voie de la transformation systémique de notre pays.

Dans cette perspective, nous pouvons d’ores et déjà dégager quelques pistes de solutions pour une plus grande réussite des projets de grande envergure au Sénégal :

© Transparence dans les procédures de passation de marchés : les dispositifs de contrôle existent mais encore faudrait-il que les lois et règlements soient respectés

pour mieux lutter contre la corruption. Il faut donc travailler à mettre en place un dispositif de gouvernance participative.

© Développement de l’expertise locale en formant une masse critique de professionnels en Gestion de projet capables de piloter les différents projets et programmes

© Financement de la recherche en gestion de projet compte tenu du portefeuille de projets qui se déploient au Sénégal. La gestion d’un projet doit toujours être contextualisée, pour éviter l’erreur de certains bailleurs de fonds qui pensent qu’un même modèle peut être reconduit partout. Pour ce faire, le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation pourra y participer à travers son Fonds d’Impulsion de la Recherche Scientifique et Technique (FIRST).

© Instauration d’une culture de l’évaluation : Elle peut paraître un exercice difficile au regard des préjugés qui l’entoure. L’évaluation constitue une étape importante dans le cycle de vie du projet mais parfois, les protagonistes sont moins enclins à dresser un tableau fidèle de la performance du projet par peur de représailles. Généralement, les évaluations d’impact qui se font des années après l’intervention sont souvent occultées. Ce qui ne permet pas de pouvoir juger des retombées du projet sur le long terme et de la capitalisation d’expériences par la même occasion.

© Création d’un Observatoire des Grands Projets : Cet outil pourrait poursuivre les objectifs suivants : 1) analyser, évaluer et mesurer la gestion de l’exécution des Mégaprojets, 2) Créer la connaissance dans la gestion des grands projets au Sénégal, 3) jouer un rôle de conseil auprès des institutions étatiques, 4) renforcer les capacités des professionnels en Gestion de projet, 5) faciliter le partage d’expériences avec les pays frères africains, 6) impulser la recherche en gestion de projet.

 

 

Aïssatou Diallo Camara, 

MGP Experte en Gestion de projet

aichadc@gmail.com

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