Les Sénégalais ne s’y retrouvent pas encore
Takkou Souf, Taraa et Bara Yeggou. Voici de nouveaux concepts que l’on retrouve de plus en plus dans les ménages sénégalais. Si premier est bien connu des Sénégalais et renvoie au mariage en cachette, les deux derniers sont moins populaires et semblent étrangers à la société. Ce qui fait que nombre de Sénégalais interpelés sur ces pratiques affirment ne pas s’y reconnaitre et les condamnent.
Bien que la législation sénégalaise autorise la polygamie, certains hommes éprouvent d’énormes difficultés pour exercer librement ce droit. Ainsi, pour convoler en secondes noces, ils le font dans la plus grande discrétion à l’insu de tout le monde, et plus particulièrement de leur première épouse. Cette pratique, appelée, dans le langage courant ‘’Takkou Souf’’ a tendance à gagner du terrain, au point que des chefs religieux, à l’image du le Khalife général des Tidianes, en rappellent à la responsabilité des hommes. En effet, Serigne Babacar Sy Mansour a profité de son discours, lors du Gamou, pour fustiger cette nouvelle tendance des femmes qui se pointent après la mort d’un homme pour déclarer que c’était leur mari. Le marabout a également dénoncé le phénomène de Taraa ou 5éme femme qui est en train d’émerger au Sénégal et qui n’a rien avoir avec la religion, selon lui.
Ce cri d’alarme du Khalife renseigne sur l’ampleur de ces pratiques dans la société sénégalaise. Pourtant, nombre de Sénégalais interpelés sur la question trouvent abject ce phénomène, même s’il reste une réalité. Aussi, rares sont les femmes prêtes à s’engager dans de telles aventures. Assis sur un banc en train de contrôler le départ de ces véhicules, Amadou Diakha, la quarantaine révolue, régulateur (rabatteur) au terminus des bus de la ligne 71 à Fann Hock, ne peut admettre qu’un homme puisse convoler en secondes noces à l’insu de sa famille ou de sa première femme. Cette pratique, considère-t-il, est tout simplement inadmissible et bannie par les religions musulmane et chrétienne. Pour ce rabatteur, le Takkou Souf, tout comme le tara (5éme épouse) sont des réalités étrangères à la société sénégalaise. ‘’Si en tant que musulmans, nous nous referons au prophète Mohamed (Psl), nous ne devons pas nous adonner à ces pratiques. Les hommes qui le font se laissent gouverner par leur passion ou pulsion. Mais, au fond d’eux, ils savent très bien que le Takkou Souf est une fornication, de même que la taraa, car l’islam n’autorise à l’homme que 4 épouses’’, affirme le rabatteur de manière catégorique. Pire, il considère le Takkou Souf est une affaire de franc-maçon.
Quant au concept de ‘Bara Yeggo’ qui consiste à divorcer plus de trois fois une femme et collabore avec un autre homme qui l’épouse ensuite la répudie pour que l’ancien mari puisse se réconcilier. Le régulateur considère cela comme un manque de respect total pour la femme. Ainsi pour Amadou Diakha, ‘’le principal problème des Sénégalais est qu’ils confondent souvent l’amour et l’estime de la personne. L’amour est sacré. Si on aime vraiment une femme, on ne veut pas se séparer d’elle une seule seconde, à plus forte raison la répudier plus de trois fois’’, pense-t-il.
‘’Le Takkou Souf n’est pas bon et il faut penser aux mauvaises conséquences qui peuvent en découler pour s’en rendre compte. Imaginer des enfants de même père qui se rencontrent ailleurs et tombent amoureux, sans connaitre leur lien de parenté.
Un homme responsable ne doit pas procéder de la sorte’’, renchérit sa collègue, receveuse, Khadija Seydi, habitante de Keur Massar. Cette jeune dame divorcée dit toutefois comprendre les hommes qui font recours à telle pratique pour convoler en secondes noces. Selon elle, tout dépend de la situation que l’homme vit avec sa première épouse. Parfois, estime-t-elle, certains hommes font le Takkou Souf pour protéger leur famille.
‘’L’homme peut être en mauvais terme avec sa première épouse et décide de prendre une deuxième, sans que personne ne le sache. Loin d’être un manque de respect pour son épouse, c’est plutôt pour protéger ses enfants ou bien son épouse même. C’est pourquoi, il ne faut pas trop juger les gens qui le font, même si on sait que c’est un manque de courage et de responsabilité’’, considère-t-elle.
Cette autre dame rencontrée au niveau du marché à meuble du canal 4 de Gueule Tapé n’est pas du même avis. Drapée dans un grand boubou Khartoum multicolore, assise sur l’un des nombreux fauteuils en vente sur cette avenue, mère Beug Fallou, comme elle se présente, parle du sujet avec sérénité, l’air très expérimentée en ce qui concerne les ménages sénégalais, vu son âge qui avoisine la soixantaine. De son avis, rien ne doit pousser un homme à se marier en cachette ou à l’insu de sa première femme. Pour éviter une telle pratique, elle considère qu’il faut adopter une bonne communication, le fondement de tout couple.
‘’La peur de la réaction de l’autre ne doit pas nous pousser à commettre certaines choses. Le Takkou Souf est banni par notre société et nos religions. Donc, rien ne doit pousser un homme à opter de telle union’’, estime-t-elle. Avant d’ajouter : ‘’avec une bonne communication, on peut convaincre sa femme sur n’importe quel sujet sans créer de problème. On peut même opter pour la monogamie et après convaincre sa femme pour prendre une autre épouse. Tout est une question de communication’’. D’ailleurs, pour elle, le mariage en cachette est devenu aujourd’hui impossible au Sénégal, car, ‘’les Sénégalais ne peuvent pas garder des secrets longtemps’’.
Quant au concept de Taraa ou cinquième femme, nos interlocuteurs trouvent cette pratique inadmissible et relevant purement de la manœuvre d’hommes qui ne pensent qu’à la satisfaction de leur pulsion. D’ailleurs, pour mère Beug Fallou, toute femme qui accepte de devenir Taraa perd sa dignité et se réduit en esclave. Toutefois, elle souligne que plusieurs femmes sont parfois dans cette situation, sans en être au courant, car les hommes ne disent pas toujours la vérité sur leurs statuts matrimoniaux. Certaines femmes sont donc d’innocentes victimes.
ABBA BA