Publié le 23 Feb 2023 - 12:31
MALI - SITUATION POLITIQUE, SÉCURITÉ, DROITS HUMAINS…

Les préoccupations d’Alioune Tine

 

L'expert indépendant sur la situation des Droits de l'homme au Mali, Alioune Tine, a partagé, hier, les conclusions de sa visite dans le pays du 6 au 17 février derniers. Il est profondément préoccupé par la situation dans le pays, notamment, sécuritaire, avec les attaques, les déplacements de populations et les fermetures d’écoles.

 

À l'invitation du gouvernement malien, Alioune Tine a effectué une visite officielle dans le pays, du 6 au 17 février derniers. À l’issue de son séjour, hier, l’expert indépendant sur la situation des Droits de l'homme au Mali a partagé ses conclusions.

D'abord, sur le plan politique, M. Tine indique que des progrès ont été réalisés dans le processus visant à restaurer l'ordre constitutionnel et le retour à un régime civil, avec  la mise en place d’une commission chargée de la finalisation du projet de Constitution en décembre 2022, l’installation dans leurs fonctions des membres du collège de l’AIGE en janvier 2023.

Cependant, note-t-il, certains partis politiques se sentent exclus du processus de transition et expriment leurs préoccupations sur le respect du chronogramme. ''J’invite les autorités à travailler avec plus d’inclusion et de consensus, de manière à garantir ensemble, pacifiquement, le succès de la transition'', indique le fondateur d'Afrikajom Center.

Par ailleurs, préoccupé par les défis liés depuis quelques mois à la mise en œuvre de l’Accord de paix d’Alger, Alioune Tine déclare : ‘‘Beaucoup d’acteurs que j’ai rencontrés ont exprimé leurs sérieuses préoccupations au sujet de signes avant-coureurs inquiétants et des développements politiques récents qui pourraient compromettre le processus de paix.''

Il s'agit de  la décision prise en décembre 2022 par les mouvements signataires de suspendre leur participation au processus de paix ; de la décision prise de fusionner en un seul mouvement en février 2023 les trois mouvements armés qui composent la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), à savoir : le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) et le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) ; et des  intentions qu’auraient certains acteurs de remettre en question l’accord de paix, après le discours d’un membre influent du Conseil national de transition au sujet d’une éventuelle reprise des hostilités par l’armée malienne pour la reconquête des régions du Nord.

 Ainsi, l'ancien secrétaire général de la Rencontre africaine pour la défense des Droits de l’homme (Raddho) invite tous les acteurs politiques maliens à la sagesse, à la retenue et au dialogue, pour ne pas mettre en péril l’accord de paix.

Plusieurs acteurs reconnaissent les efforts des autorités maliennes et notamment des forces de défense et de sécurité qui, avec l’acquisition de matériels militaires, ont gagné en efficacité dans la lutte contre le terrorisme.

Cependant, pour être efficaces, les autorités devraient en même temps consolider les victoires militaires contre le terrorisme par le maintien des troupes sur le terrain, la restauration de l’autorité de l’État et la fourniture des services sociaux de base, d'après Alioune Tine.

En effet, selon plusieurs témoignages qu'il aurait reçus, après le départ des forces de défense et de sécurité, ''les groupes extrémistes violents reviennent souvent dans les localités où elles exercent des représailles contre les populations qu’ils accusent d’avoir collaboré avec les forces de défense et de sécurité maliennes''.

Représailles contre les populations

La région du Centre et la zone des trois frontières qui jouxtent le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont été les plus affectées par l’insécurité, selon l'ancien président du Comité sénégalais des Droits de l'homme. Alioune Tine note que le reste du pays n’est pas non plus épargné. Pour lui, le Mali est confronté à de sérieux défis dont les indicateurs les plus évidents sont : l’augmentation récente du nombre des personnes déplacées internes, ainsi que l’état préoccupant de la dégradation de l’éducation au Mali, avec la fermeture des écoles en raison de l’insécurité.

''Depuis ma visite du 1er au 12 août 2022, le nombre des personnes déplacées internes et d’écoles fermées a augmenté respectivement de 3,90 %, allant de 396 904 au 31 juillet 2022, à 412 387 au 31 décembre 2022, tandis que celui des écoles fermées a augmenté de 7,05 %, passant de 1 829 écoles à 1958, affectant plus de 587 000 enfants, en particulier dans la région de Mopti'', alerte Alioune Tine.

Selon les chiffres les plus récents, les régions de Gao et de Mopti, qu'il a visitées, sont parmi les plus affectées avec le plus grand pourcentage de personnes déplacées, soit 15 % et 21 %. En décembre 2022, le nombre de personnes déplacées dans les régions de Mopti et de Gao a augmenté respectivement de 16 %, 23 %, comparé à la même période de 2021.

Situation des droits humains

Alioune Tine se réjouit du fait que le nombre de violations et d'atteintes aux droits humains documentées par la Minusma ait  baissé de 7,46 % au cours du dernier trimestre de 2022. Il note également des avancées en matière de droits humains, avec l’adoption, le 23 novembre 2022, d’un décret d’application de la loi fixant les règles générales relatives à la réparation des préjudices causés par les violations graves des Droits de l’homme ; la condamnation de l’auteur d’une attaque contre cinq Casques bleus par la Cour d’assises de Bamako siégeant en matière de terrorisme le 24 janvier 2023 ; l’adoption, le 1er février, d’un projet de texte relatif à la création d’une Direction nationale des Droits de l’homme.

''Le ministre de la Justice et des Droits de l’homme a partagé avec moi des informations sur les efforts en cours pour organiser dans un avenir proche le procès d’une centaine d’individus impliqués dans des atteintes aux droits humains liés à l’esclavage par ascendance'', annonce l'ancien directeur régional d'Amnesty International.

 Tout en se réjouissant de ces efforts concrets, il invite les autorités maliennes à consolider ces acquis, en renforçant la lutte contre l’impunité. ''Je les encourage, en particulier, de mener à bien les enquêtes judiciaires ouvertes et de traduire devant la justice tous les auteurs de violations graves des Droits de l’homme et du droit international humanitaire et d’atteintes à ces droits, y compris les membres des groupes armés non étatiques, des milices et les membres des forces de défense et de sécurité'', dit Alioune Tine.

''Je suis cependant extrêmement préoccupé par les atteintes graves aux droits humains que continuent de commettre les groupes extrémistes violents, y compris des meurtres, enlèvements, menaces contre les populations civiles, le vol de bétail et les viols'', poursuit-il, donnant plusieurs exemples.

En dépit des défis complexes et multiformes, il existe quelques éclaircies dans le domaine du processus de transition, dans le renforcement des capacités des forces de défense et de sécurité maliennes et la lutte contre le terrorisme, d'après Alioune Tine. ''Tout cela semble être dissimulé par les effets d’une fracture géopolitique mondiale dont le Mali semble être l’épicentre en Afrique de l’Ouest, une situation qui génère tensions, polarisation, défiance généralisée et malsaine entre le Mali et une certaine partie de la communauté internationale et notamment la Minusma'', estime-t-il.

À ses yeux, évaluer et repenser les réponses sécuritaires au Mali et au Sahel sont un impératif pour les États africains et pour le Conseil de sécurité. ''Il faut vite prendre acte de l’inadaptation des réponses sécuritaires au Mali et au Sahel dont les effets sont une réelle menace pour toute la région'', recommande-t-il.

BABACAR SY SEYE

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