"Etre de gauche, ce n'est pas régulariser tous les sans-papiers"
Manuel Valls, ministre de l'intérieur, définit dans un entretien au Monde la politique migratoire qu'il entend mener. Il annonce plusieurs circulaires : une pour mettre fin à la rétention des familles ; une autre pour uniformiser et préciser les critères de régularisation ; une troisième, enfin, pour faciliter les naturalisations. Il annonce également l'adoption d'une loi pour créer notamment un nouveau titre de séjour de trois ans. Mais il entend rester "ferme" et ne pas procéder à des régularisations massives.
Il existe un très grand nombre de sans-papiers qui ne sont ni expulsables ni régularisables en l'état du droit. Donnerez-vous des consignes aux préfets pour sortir de cette impasse ?
Manuel Valls : Les régularisations doivent se faire en s'appuyant sur des critères précis, objectifs, compréhensibles, à la fois par ceux qui sont dans cette situation, ceux qui pourraient venir sur notre sol national, et nos compatriotes. Ces critères sont les années de présence en France, la situation par rapport au travail, les attaches familiales, la scolarisation des enfants. Ils ont été interprétés de manière beaucoup trop restrictive et n'ont pas été appliqués de manière uniforme sur l'ensemble du territoire par le précédent gouvernement.
Une circulaire pour les préciser est donc en préparation. Je veux mettre fin à l'arbitraire. Mais les personnes susceptibles d'être éloignées – et il y en aura – doivent être traitées dignement et être en mesure de faire valoir leurs droits.
La précision des critères pourrait-elle vous amener à un volet de régularisations plus ample que celui du gouvernement Fillon, qui était d'environ 30 000 par an ?
Non, je ne le crois pas. Aujourd'hui, la situation économique et sociale ne permet pas d'accueillir et de régulariser autant que certains le voudraient. C'est ma responsabilité de ministre de l'intérieur de le dire. Je l'assume.
Allez-vous revoir la politique des titres de séjour pour les étrangers en situation régulière ?
Le droit au séjour doit être rendu plus simple, plus lisible. Ce qui ne veut pas dire moins exigeant. Les difficultés à obtenir un titre de séjour sont des facteurs de fragilisation économique, psychologique, sociale, et donc des obstacles à l'intégration. Il nous faudrait essayer de légiférer cette année, et à ce titre, créer un titre de séjour intermédiaire d'une durée de trois ans qui permette de stabiliser ceux qui vivent et travaillent de manière régulière sur le sol national. J'ai, à ce propos, été révolté par le sort réservé à ces étrangers qui se retrouvent dans les files d'attente devant les préfectures pour renouveler leurs papiers pendant des heures, la nuit, ou dans le froid. Ça n'est pas ça, la France.
Concernant les naturalisations, desserrerez-vous l'étau mis en place par vos prédécesseurs ?
La naturalisation, c'est une réussite pour la France. Elle ne doit plus être pensée comme l'issue d'un parcours du combattant mais comme l'issue d'un processus d'intégration. Il faut redonner la totale possibilité de devenir français. Depuis deux ans, les naturalisations ont chuté de 40 %. C'est la conséquence de choix politiques délibérés, mais non écrits, non dits. Je veux inverser cette tendance. Dès cet été, une circulaire sera signée, en ce sens, avec des critères transparents.
Est-ce que vous ne risquez pas, avec ces annonces, d'apparaître comme le "monsieur Sarkozy" du gouvernement ?
Non. La politique de Nicolas Sarkozy a été marquée par des coups de menton et par l'idée que l'immigré était responsable des problèmes des Français. Revenir sur les symboles, ce n'est pas rien! Il est vrai qu'il n'y aura pas de régularisation massive des sans-papiers. Etre de gauche, ce n'est pas régulariser tout le monde et se retrouver dans une impasse. Il faut mener une politique républicaine, conforme aux valeurs de la France, tenir compte de la situation économique et sociale de notre pays et poser, effectivement, des critères. La politique que j'applique n'est pas celle de Manuel Valls, c'est celle du président de la République et du premier ministre.