Entre impatience et suspicions
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Comme promis, l’Etat a convoyé les vivres destinés aux populations les plus impactées par l’état d’urgence assorti d’un couvre-feu décrétés par le chef de l’Etat Macky Sall. Selon le ministre du Développement communautaire, Mansour Faye, qui a tenu un point de presse ce vendredi, 1 335 tonnes de vivres sont déjà acheminées à Matam. Une annonce faite au moment où les populations s’impatientent.
Les temps sont durs et cela s’est accentué depuis que le gouvernement a pris des mesures drastiques pour stopper la spirale de la pandémie de la Covid-19. Les marchés hebdomadaires sont fermés et les transports interurbains suspendus, en sus de l’interdiction de circuler de 20 h à 6 h du matin. Une batterie de mesures qui a fini par paralyser la très fragile économie de la région de Matam. L’argent se fait rare, pour la majorité des populations qui évolue dans le secteur informel.
Baba Lamine est un paysan sans revenu fixe. Il était secondé par son épouse qui tenait une petite gargote dans le quartier, près du garage de Bokidiawé. Depuis l’effectivité du couvre-feu, celle-ci est au chômage forcé. Ce qui rend difficile son quotidien. ‘’Qu’est-ce qu’ils attendent pour distribuer les vivres ? Le président Macky Sall a pourtant été très clair, en leur demandant de ramener les dons aux populations le plus rapidement, car des ménages sont en souffrance. Depuis que j’ai vu à la télé que les camions remplis de sacs de riz et autres denrées ont pris départ, chaque jour, je me rends à la mairie, mais je ne vois rien du tout. Nous avons tous vu que les camions ont quitté le samedi ; on ne va pas nous dire qu’ils sont toujours en route. Ils ne vont pas mettre 5 jours pour arriver à Matam ; ce n’est pas possible ! Nous avons besoin de ces vivres. Ou bien ils veulent attendre qu’on meurt de faim pour commencer la distribution’’, crie-t-il.
Il n’est pas le seul à s’impatienter. Une attente que ne comprennent pas les bénéficiaires identifiés et inscrits sur une liste. Certains d’entre eux commencent à craindre d’être évincés de la liste. D’aucuns soutiennent que tant qu’ils ne reçoivent pas les dons, ils ne dormiront que d’un seul œil, à l’image de Fama Sow, habitante du village de Sinthiou Diam Sioro. Son mari, alité, a bien été recensé, mais le doute subsiste toujours. ‘’Nous avons bien été inscrits sur la liste. Une équipe était venue dans ma maison. Elle a inscrit le nom de mon mari, mais depuis on est dans l’attente, dit-elle. Nous sommes une famille démunie et ils peuvent décider à tout moment de nous effacer de la liste des bénéficiaires. Alors, nous sommes dans l’incertitude. J’ai entendu tout à l’heure au marché les gens dire que les dons sont arrivés à Matam. En tout cas, nous du village de Diamdioro, qui sommes de la commune de Dabia, nous n’avons pas été appelés pour récupérer les vivres’’, informe-t-elle.
Plus de 30 mille ménages ciblés
Au total, ce sont 30 613 ménages qui ont été recensés pour recevoir ces aides d’urgence alimentaire, sur une population estimée à près de 655 000 habitants. Le nombre de bénéficiaires semble dérisoire, face à la grande masse laissée en rade. Mais c’est quasiment toute la population régionale qui attend de voir la couleur des dons. Par curiosité, pour la plupart.
La distribution n’a pas encore démarré, mais déjà, certains laissent transparaitre leur soupçon sur la transparence du partage. Cet acteur de la société civile, qui a gardé l’anonymat, enseignant de profession et résidant à Matam, est plus que sceptique. ‘’Je suis inquiet, car la distribution risque de souffrir de transparence et d’équité. La plupart des individus sur les listes ne sont pas connus dans les localités où ils ont été enregistrés. La liste des bénéficiaires doit être connue de tous les citoyens, si vraiment ils prônent la transparence’’, interpelle-t-il les gestionnaires de cette aide.
C’est quasiment le même son de cloche chez Souleymane, habitant de Thilogne, charretier de profession et père de 5 enfants : ‘’Je ne sais même pas où on doit s’inscrire et personne ne s’est présenté chez moi pour m’inscrire. Dans mon quartier, tout le monde connait ma situation de précarité. Je n’ai pas de bourse familiale et pourtant je connais des gens d’une bien meilleure situation que moi qui en sont bénéficiaires. C’est injuste. Pour ces dons, je risque d’être aussi oublié au profit des familles plus nanties.’’
L’insécurité alimentaire n’a vraiment jamais quitté la région nord-est du pays. Les trois départements - Matam, Kanel et Ranérou - sont fréquemment cités dans les rapports du Conseil national à la sécurité alimentaire (CNSA). La pluviométrie hasardeuse de ces dernières années a plongé un grand nombre de familles dans une crise alimentaire, notamment en période de soudure. Aujourd’hui, avec la crise sanitaire qui sévit dans le pays et son cortège de désagréments qui l’accompagne, le lot des ménages vulnérables a gonflé encore un peu plus. Dans le département de Matam et ses 10 communes, ils sont 14 630 à être ciblés par les aides du gouvernement dont les 6 047 spécifiquement impactés par la lutte contre la pandémie.
La commune de Bokidiawé s’est attribué la plus grande part, en présentant 2 442 ménages bénéficiaires de l’aide d’urgence. Le département de Kanel, qui compte 12 communes, a totalisé 11 908 bénéficiaires, soit un peu plus de 3 000 que le département de Matam. Ranérou, avec ses 4 075 ménages recensés, reste le département le moins touché par les aides alimentaires, selon les chiffres officiels, malgré son statut de zone fortement déshéritée.
Djibril Ba