Publié le 16 Jul 2018 - 20:15
PÉNURIE D’EAU À DAKAR

Facture salée

 

Depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, les Dakarois ont du mal à étancher leur soif, le bain étant devenu un luxe pour certains. En plus des factures de la SDE pour service non rendu, les citadins payent très cher la pénurie, avec l’achat et le transport d’eau, sans compter les nuits blanches et les lourdes charges à porter au deuxième, troisième ou quatrième étage. Le ministre de l’Hydraulique Mansour Faye s’est expliqué sur les raisons du déficit. Il a promis une amélioration substantielle de la fourniture le 20 juillet et la fin du calvaire en septembre.

 

CITE FADIA

Le manque d’eau, une tare congénitale . 

Si le manque d’eau est une tare congénitale à la cité Fadia, le déficit de production de la Sénégalaise des eaux, noté depuis plusieurs mois, plonge encore plus les populations dans un calvaire incommensurable.

L’eau, source de vie. Bien évidemment, quand elle est disponible en quantité et en qualité. Mais quand elle se raréfie et devient quasiment introuvable, elle est source de malheur et de désagréments. A la limite même, un supplice pour les populations qui ne dorment plus que d’un seul œil. A la cité Fadia, meurtries et assaillies par un manque d’eau chronique, les populations de cette contrée pourtant située en plein cœur de la capitale sénégalaise souffrent le martyre au quotidien. Ici, la dernière fois où l’eau a coulé régulièrement des robinets se conjugue dans un passé lointain. Plus d’un an que les populations vivent les perturbations notées dans la distribution du liquide précieux.

La cité Fadia victime de sa position géographique

Coincée entre la commune des Parcelles-Assainies et celle de Golf Sud, dans le département de Guédiawaye, la cité Fadia a toujours été confrontée à un réel problème d’accès à l’eau potable, du fait de sa position géographique. A la différence des autres contrées du département de Guédiawaye, elle est construite sur des dunes de sable. Ce qui fait que, depuis l’avènement des branchements sociaux en janvier 1994, la localité est toujours confrontée à un rationnement de l’eau. D’habitude, le liquide précieux n’y a jamais été disponible pendant la journée. Ce n’est que durant la nuit qu’elle coule des robinets, mais à des heures souvent assez tardives.

Mais, avec la pénurie d’eau globale qui frappe de plein fouet plusieurs localités du pays, la situation est devenue plus que compliquée. Les populations restent, en effet, des jours sans pour autant avoir une seule goutte d’eau.

Une situation qui a fini d’excéder bon nombre parmi elles qui ne savent plus à quel saint se vouer, dans un contexte de canicule où le besoin en eau devient de plus en plus pressant. ‘’Nous sommes fatigués. Depuis plus d’un an, si nous avons de l’eau un seul jour, nous restons trois mois sans en avoir’’, peste Fatou Sarr. La dame, la cinquantaine, vient puiser de l’eau dans un camion-citerne dépêché sur les lieux par la Sénégalaise des eaux qui déploie ainsi un plan d’urgence de distribution du liquide précieux dans les quartiers les plus touchés par la pénurie. Derrière une file d’attente, elle patiente tranquillement son tour. Mais, en attendant, elle rumine toute sa colère, lorsque approchée. ‘’Je voudrais que les autorités m’entendent. Je vis le martyre durant les 5 ans que je viens de passer dans cette cité. Nous passons la plupart de notre temps à faire des nuits blanches pour pouvoir puiser de l’eau. Ce n’est pas une vie. Je n’ai personne pour m’apporter les bouteilles que je puise. Je suis obligée de le faire moi-même, malgré mon âge. La dernière fois, je suis tombée dans mes escaliers et j’ai eu une entorse depuis lors. C’est vraiment malheureux’’, dénonce-t-elle.

A peine elle a fini de ruminer sa colère qu’un automobiliste, qui était de passage, lâche ouvertement : ‘’Le 20 juillet, si les autorités ne règlent pas le problème comme elles l’ont promis aux populations, nous allons descendre dans les rues. Nous allons marcher pour exprimer notre ras-le-bol de cette situation maudite’’, avertit Cheikh Sow.

Le gouvernement au banc des accusés

Même si sa position géographique y est en partie pour quelque chose, le déficit de production d’eau par la Sénégalaise des eaux a beaucoup aggravé la situation. Les populations riveraines, qui ne se sont jamais lassées d’alerter les gouvernants sur leur sort, n’ont jamais été entendues. Elles pointent, depuis lors, un doigt accusateur sur les tenants du pouvoir incapables, selon elles, de satisfaire leurs besoins même les plus élémentaires. ‘’Un gouvernement qui n’est pas capable d’assurer à ses populations une fourniture correcte en eau et en électricité n’en est pas un. Je me désole d’ailleurs du discours qu’il nous sert tout le temps, comme quoi la population dakaroise a évolué, entre-temps. S’ils sont incapables de prévoir et d’anticiper sur les évènements, cela veut dire qu’ils ont failli à leurs missions et qu’ils ne nous servent plus à rien du tout’’, fulmine Djiby Ka. Il appelle ainsi les populations à prendre leur destin en main en menant le combat qui vaille pour contraindre les autorités à trouver des solutions durables à ce problème. ‘’Il faut qu’on soit conscient des enjeux. Nous ne pouvons pas continuer à vivre cette situation sans rien dire. Il faut que les populations s’organisent pour mener ensemble le combat. Car seule la lutte libère’’, fulmine le jeune cadre.

Les femmes, la couche la plus touchée

Si les pénuries d’eau sont un calvaire pour toutes les couches des populations, elles touchent plus les femmes. Celles-ci sillonnent souvent les ruelles de la cité Fadia à la recherche du liquide précieux. Nafissatou Ndiaye, la trentaine, quitte chaque jour l’Unité 17 des Parcelles-Assainies pour venir chercher de l’eau jusqu’à la cité Fadia, chez un vendeur de paille qui a, dans ses installations, une pompe directement branchée à la nappe phréatique. Cette eau, pas du tout potable, est pourtant la seule alternative pour ces femmes, pour faire la vaisselle, le linge et les autres tâches ménagères. ‘’Nous sommes certes conscients du danger que représente cette eau, mais nous n’avons pas d’autres solutions. On n’a pas les moyens d’acheter tout le temps en quantité de l’eau de source. Et puis on ne peut pas faire le linge ou se laver tout le temps avec de l’eau de source qui coûte cher’’, déclare-t-elle.

Chez ce marchand d’eau, une bouteille de 10 l s’échange à 25 F Cfa et celui de 20 l à 50 F Cfa. Itou pour les bassines et les seaux d’eau. Pour y acheter de l’eau, il faut impérativement venir tôt le matin et faire la queue. ‘’Il m’arrive de venir ici à 6 h du matin pour avoir de l’eau à temps avant d’aller au boulot’’, confie Amadou Sarr, un jeune maçon de 25 ans.  

Le calvaire des populations, le bonheur des vendeurs d’eau

Si la pénurie d’eau est un calvaire pour les populations, elle est une aubaine pour ce vendeur. Il a vu ses recettes augmenter de manière vertigineuse, depuis un bon moment. Mais il refuse catégoriquement de s’épancher sur la question. ‘’Excusez-moi mon grand, mais je ne veux vraiment pas parler dans les médias. Je n’ai rien à vous dire’’, lâche-t-il. Mais plus loin, une sexagénaire nous confie qu’elle dépense une fortune tous les jours, depuis presque trois mois, pour couvrir ses besoins journaliers en eau. ‘’Chaque jour que Dieu fait, je dépense 2 000 F Cfa pour acheter de l’eau. Cela me revient à près de 30 000 F Cfa par mois, c’est-à-dire quatre fois plus que le montant habituel de mes factures. Cela n’empêche, à la fin de chaque mois, la Sde nous envoie des factures. Donc, nous sommes obligés d’acheter de l’eau et de payer des factures que nous ne consommons pas. En plus de cela, j’ai un loyer de 150 000 F Cfa à gérer par mois. C’est vraiment difficile’’, confie Mère Sow.  

Perchée du haut de son balcon, la dame, peulh bon teint, ne s’est pas fait prier pour ruminer sa colère. ‘’Vous êtes journaliste ?’’, questionne-t-elle tout d’abord. A peine qu’on lui répond par l’affirmative, elle embraye : ‘’Faites bien passer ce que je vais dire. Parce que je voudrais vraiment que les autorités m’entendent. Nous sommes fatigués, nous souffrons le martyre par leur faute. Nous n’avons rien contre le président Macky Sall. Au contraire, nous le soutenons, mais il doit solutionner ce problème le plus rapidement possible. Nous ne l’avons pas porté au pouvoir pour qu’il nous fasse souffrir. Si nous l’avons élu en 2012, c’est parce que nous avons confiance en lui. Avant de creuser des puits dans le monde rural avec le Pudc, il faut d’abord s’assurer une distribution correcte de l’eau dans la capitale sénégalaise’’, se lamente-t-elle.

Embouchant la même trompette, sa voisine d’en face rétorque : ‘’Macky Sall n’est pas au courant de ce qui se passe ici dans ce quartier. Il l’aurait su, je suis sûre et certaine qu’il y apporterait des solutions idoines, comme il l’a fait avec les étudiants. Je lui suggère simplement de ne pas faire comme Abdou Diouf en se cloitrant dans son palais jusqu’à être décalé de la réalité que vivent les Sénégalais. Je lui demande de descendre sur le terrain, de parler aux gens et de les rassurer’’, défend pour sa part Hadj Rokhoya Ndoye. Pour cette dernière, c’est tout à fait anormal de payer des factures à la fin du mois et d’acheter de l’eau au quotidien. Cette double dépense, selon elle, fragilise les ménages et affaiblit leurs pouvoirs d’achat. ‘’Il ne sert à rien de diminuer l’impôt sur les salaires ou les denrées de première nécessité, si on contraint parallèlement les ménages à acheter de l’eau au quotidien. Nous sommes complètement au bout de nos efforts et il faut que les gouvernants nous viennent en aide’’, soutient-elle.

Le festin des charretiers

Si les populations de la cité Fadia sont vraiment excédées par cette situation, c’est qu’elle engendre, en effet, beaucoup de dépenses auxquelles elles pouvaient pourtant se passer. En plus des fonds qu’elles déboursent pour acheter de l’eau, elles doivent également payer pour la transporter. Du coup, les charretiers qui se proposent à le faire ont augmenté leurs prix de manière drastique. ‘’Voyez-vous, j’habite à seulement une ruelle du vendeur d’eau. Mais pour qu’ils me transportent les bouteilles d’eau, ils me demandent 1 500 ou 2 000 F Cfa. C’est vraiment incroyable dans un pays où les spéculations s’effectuent à tous les niveaux’’, peste Ibrahima Ndiaye, un jeune marié de 30 ans.

Souvent, les charretiers travaillent en étroite collaboration avec les vendeurs d’eau de pompe. Parfois, ce sont eux-mêmes les propriétaires de ces charrettes qui rapportent beaucoup d’argent par ces temps qui courent.

AHMET TIDIANE MBENGUE, MEMBRE FONDATEUR ET CADRE DE L’APR

‘’Les populations ne vont pas être tendres avec nous en 2019’’

‘’Il faut reconnaitre qu’il y a un sérieux problème avec l’eau. Le rappel que je dois faire à notre président, c’est que les populations n’ont pas été tendres avec Abdoulaye Wade avec son plan Takkal qui n’a pas fonctionné. Malheureusement, c’est le mal qui nous guette, si des mesures énergiques et hardies ne sont pas prises.

Je pense que le président fera tout son possible pour régler ce problème avant le 20 juillet, comme on nous l’a promis. Cette situation ne nous arrange pas en tant que tenant du pouvoir. Chez moi, j’ai été obligé d’acheter un surpresseur avec un investissement de 300 000 F Cfa qui auraient pu me servir ailleurs. En tant que cadre, je peux me le permettre, mais ce n’est pas à la portée de tout monde. On peut manquer de tout, sauf de l’eau. Les populations ne vont pas être tendres avec nous, lors des élections. C’est un avertissement solennel que je lance à l’endroit de mes camarades de parti.’’

ASSANE MBAYE

 

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