Le spleen des patients asymptomatiques

Internés dans les centres de prise en charge du coronavirus, certains porteurs saints sont de plus en plus gagnés par le stress et en font voir de toutes les couleurs aux personnels soignants dans certains lieux de traitement. Poussant ainsi certains acteurs à remettre en cause la stratégie de prise en charge.
Trop d’émotion. Parfois moins de raison. De plus en plus, des voix s’élèvent pour fustiger la manière dont la pandémie est gérée au Sénégal. Si ce n’est des frictions entre une partie du ministère de la Santé et de l’Action sociale et le Pr. Seydi qui est mise en exergue, c’est tout simplement la mise à l’écart de certaines sommités dans le domaine de l’épidémiologie. Loin des conjectures et autres accusations autour d’Abdoulaye Diouf Sarr et de ses hommes, la tueuse invisible, elle, continue son petit bonhomme de chemin.
Jusque-là, toutes les personnes testées positives sont systématiquement hospitalisées et prises en charge gratuitement par l’Etat. En plus d’inonder les établissements de santé, cette stratégie, loin de ravir les patients, en irrite plus d’un. Aussi, est-elle, de plus en plus, remise en cause par des gens même au cœur du système de prise en charge. ‘’Je pense, informe cette source, que tout au début de la maladie, on a agi plus par peur. Mais après un mois, il faut évaluer la stratégie et corriger, s’il y a lieu. La vérité est que 95 % des cas que nous avons sont des cas simples. Est-il pertinent d’hospitaliser tous les cas positifs, même les cas asymptomatiques qui n’ont aucun signe de la maladie ? Je pense qu’on aurait pu les éduquer, leur donner des consignes afin qu’ils puissent se prendre en charge eux-mêmes, si les conditions sont réunies chez eux, bien évidemment’’, confie cette source médicale, craignant, avec l’accroissement du nombre de cas positifs, un déficit de lits.
Pour lui, ces cas simples étant des cas qui peuvent se guérir spontanément, l’essentiel est de sensibiliser les personnes de s’isoler, de porter des masques et d’éviter tout contact avec les autres, y compris leur entourage proche. Et, périodiquement, il va falloir faire le suivi à domicile. ‘’Nous avons commis l’erreur de vouloir hospitaliser tout le monde. Et si les malades simples envahissent les centres, le jour où on aura des cas graves, on risque de ne pas avoir où les mettre’’, insiste-t-il.
Dans des pays comme la France, jusqu’à un certain moment, ce schéma consistant à ne prendre en charge que les cas graves était encore en vigueur. Or, ce pays dispose de bien plus de capacités que le Sénégal qui voit, jour après jour, son nombre de cas augmenter de façon exponentielle. Leur hospitalisation devient de plus en plus problématique. En atteste cet audio fait par un patient interné à Touba et qui déplore avec vigueur leur détention dans un centre de traitement, alors qu’ils ne souffrent de rien. ‘’Nous sommes tous là. Et personne ne souffre. Nous sommes retenus ici contre notre gré’’, a-t-il partagé sur les réseaux sociaux.
‘’Le stress peut être plus dangereux’’
Une véritable bombe, si l’on se fie aux hommes de l’art, selon qui le mal-être de certains de ces porteurs saints ne cesse d’enfler dans les centres de traitement. Lors de sa tournée nationale, le professeur Moussa Seydi prévenait : ‘’J’ai vu des malades très correctement pris en charge, sur le plan symptomatique, mais aussi sur le plan psychologique. Et ça c’est très important. Parce que vous avez des patients qui, le plus souvent, ne sont pas gravement malades. S’ils doivent rester 10 jours dans un endroit non confortable et avec le stress, le stress lui-même peut devenir plus dangereux que la maladie.’’
Cela se vérifie déjà à Touba où certains patients en ont marre d’être gardés comme des prisonniers, contre leur volonté, alors même qu’ils ne se sentent pas malades. Certains, selon nos interlocuteurs, ne veulent même pas rester sur leur lit. ‘’Ils veulent constamment aller se dégourdir les jambes, rencontrer les autres malades… C’est un vrai problème. Chaque jour, il y en a qui viennent te demander : mais docteur, quand est-ce que je vais sortir ? Laissez-moi partir, je n’ai rien…’’. Et c’est généralement un casse-tête pour les personnels soignants.
‘’Parfois, on les comprend. Vous pouvez prendre exemple sur vous-même. On vous prend en pleine activité, on vous met dans une pièce où vous n’avez ni le droit de sortir, ni de voir votre famille. C’est un peu compliqué. C’est comme la prison, hein. La seule différence, c’est que nous sommes dans un hôpital’’, confie cette source, même si elle dit comprendre la préoccupation des autorités. ‘’C’est un peu délicat, puisque le risque, s’ils ne sont pas hospitalisés, c’est de les voir vaquer à leurs occupations et contaminer d’autres personnes. Mais je pense qu’on peut trouver des solutions meilleures, afin de libérer les lits pour la prise en charge des personnes vulnérables’’, analyse notre interlocuteur.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
PRISE EN CHARGE COVID-19
Des capacités d’accueil limitées
L’inquiétude est monté d’un cran, ces derniers jours, avec la multiplication des cas positifs de Covid-19, vu le nombre limité de lits disponibles.
Pendant ce temps, le nombre de malade continue d’augmenter, chaque jour, de façon exponentielle. Poussant certains à s’interroger encore sur le nombre de lits disponibles sur l’étendue du territoire. Mais difficile d’avoir un interlocuteur au niveau du Comité national de gestion de l’épidémie. ‘’EnQuête’’ a alors essayé de faire le point avec les médecins-chefs de région, pour avoir une idée du nombre de lits disponibles dans leur périmètre.
Joint par téléphone, le médecin-chef de la région médicale de Tamba confie : ‘’Nous n’avons pas, ici, de centre de traitement dédié, mais ce n’est pas le propre de Tambacounda. Comme partout, certains services ont été réaménagés pour prendre en charge correctement les personnes souffrant de la Covid-19. Ici, on a pris le bâtiment de la chirurgie de l’hôpital régional. Et si le nombre de lits s’épuise, on pourra transformer d’autres services pour la prise en charge des cas de Covid-19.’’
Au moment de notre entretien, le lieu de prise en charge disposait de 47 lits. Mais les autorités s’activaient déjà dans leur extension, pour parer à l’explosion des cas communautaires.
Pour Touba, au dernier décompte avec les autorités de la région médicale, il y avait 72 lits disponibles, dont 52 totalement occupés au centre Darou Marnane. Pour le nouveau centre érigé dans l’enceinte du nouvel hôpital, sur la route de Louga, la capacité est d’une trentaine de lits, dont 20 déjà disponibles. D’autres lits sont attendus par les responsables qui assurent que les capacités peuvent même être augmentées jusqu’à 50.
A Louga, le premier centre de traitement a été réceptionné le 14 avril 2020. Erigé dans l’enceinte de l’hôpital régional Amadou Sakhir Mbaye, il avait démarré avec 10 lits, mais disposait déjà, si l’on en croit les autorités sanitaires, d’une potentialité maximale de 53 lits. Auparavant, Louga acheminait ses malades à Saint-Louis et à Dakar. Dans la première région, les derniers chiffres dont nous disposons remontent au 31 mars et étaient de 26 lits avec 6 réservés aux cas graves. A l’époque, soutenaient les autorités, 2 infectiologues et 4 réanimateurs étaient en poste.
L’université Cheikh Anta Diop, une alternative
Dans la capitale, par contre, où l’on dénombre le maximum de patients atteints de Covid-19, 3 centres reçoivent des malades. Il s’agit de Fann, qui disposait d’une capacité de 36 lits, de Diamniadio, qui avait démarré avec 40 lits, mais avait, selon le ministère de la Santé, une potentialité de 100 lits. Par la suite, Dakar a renforcé ses capacités de prise en charge, en installant des lits à l’hôpital Dallal Jamm et d’autres sont annoncés à l’Hôpital général de Grand-Yoff et à Le Dantec.
Enfin, il y a Ziguinchor qui dispose également de son centre de traitement des malades de Covid-19, érigé à l’hôpital régional.
Dans tous les cas, le 3 avril dernier, Dr Bousso annonçait déjà une capacité de 500 lits disponibles sur toute l’étendue du territoire. Rappelons que, jusqu’à hier, le Sénégal comptait 736 cas déclarés positifs, dont 442 sous traitement. Cela dit, pour pallier un éventuel déficit de lits, certains médecins ont fait des propositions allant dans le sens d’utiliser l’université Cheikh Anta Diop comme lieu de prise en charge des cas simples. Déjà, soulignent-ils, il y a toute la logistique nécessaire dont des lits suffisants et des restaurants. Mieux, ils indiquent qu’on pourrait même y aménager des locaux où pourraient loger les personnels soignants.
MOR AMAR