La législation sénégalaise prise de court
Avantages ou pas, le débat sur Auchan lève un coin du voile sur le vide juridique dans le secteur de la distribution.
Les résolutions présidentielles sont peut-être passées inaperçues. En deux Conseils des ministres, Macky Sall a théorisé l’intérêt de combler le retard du Sénégal en matière de distribution. Un aveu officiel que jusque-là le pays ne disposait d’une législation dans ce domaine. Mercredi 27 juillet 2018, en réunion de Conseil des ministres, il urgeait le ministre du Commerce Alioune Sarr ‘‘d’engager une réforme du secteur de la distribution au Sénégal et de proposer, dans les meilleurs délais, les textes réglementaires appropriés’’.
Une semaine plus tard, toujours en Conseil des ministres, une autre diligence du président prévoyait un projet de décret réglementant les commerces de grande distribution au Sénégal. Il devrait déterminer une grande surface, soumettre à autorisation l’ouverture des grandes surfaces, déterminer la liste des produits agro-alimentaires et le niveau de conditionnement que les grandes surfaces peuvent ou ne peuvent pas faire, définir ou redéfinir les concepts de vente à perte, abus de position dominante… La loi n°94-63 du 22 août 1994 sur les prix, la concurrence et le contentieux économique semble être dépassée par les exigences et les enjeux actuels du marché actuel, et le seul filet de protection demeure le règlement communautaire.
D’ailleurs, depuis 2002, en matière de pratiques anticoncurrentielles, il y a l’exclusivité du droit communautaire (Uemoa) au détriment des lois nationales. Une disposition qui risque d’engorger la cour communautaire, estime le consultant en droit, spécialiste en contentieux des affaires, Me El Hadj Amath Thiam.
Sans prendre parti dans le débat, il estime toutefois que les actes posés par le géant français ne sont pas gratuits et qu’une législation nationale forte devrait être implémentée, qui soulagera le niveau communautaire, en cas de contentieux. Un filet de protection pour préserver le tissu économique local informel, en perspective de la mise en application des Accords de partenariat économique (Ape), ne serait pas superflu.
Des débats de la dernière session budgétaire, il est ressorti que certaines marques occidentales ont compris que les filières agricoles et industrielles nationales et sous-régionales sont totalement impréparées aux Ape qu’elles s’implantent localement avec comme but, pense le député Ousmane Sonko, de ‘‘contrôler toute l’activité économique’’.
Une inquiétude soulevée le dimanche 26 novembre 2017, lors du passage du ministre du Commerce, Alioune Sarr, pour le vote de son projet de budget à l’Hémicycle. ‘‘Les premiers contentieux que vous commencez à avoir avec Auchan ne sont que des prémices, parce que le petit et le gros commerce vont disparaitre’’, a pronostiqué le parlementaire. Ce dernier, qui a récemment réaffirmé l’option libérale du commerce sénégalais, a pris le contrepied du député, en soulignant les avantages que pourrait apporter la grande distribution. Il avait alors même esquissé l’hypothèse de la fin du maillon intermédiaire, le petit et le gros commerce, au profit de la production locale.
Pour le ministre du Commerce, l’arrivée de ces marques de la grande distribution est un bon débouché pour les agriculteurs dont la demande de leurs produits pourrait connaitre une hausse. ‘‘Le gouvernement du Sénégal, son chef d’Etat défendront sérieusement les intérêts du Sénégal. Effectivement, il faut faire en sorte que ces grandes surfaces achètent ; qu’il y ait un lien avec les producteurs locaux. Par exemple, pour tout le riz produit au Sénégal, les supermarchés se sont engagés à le vendre dans leurs rayons. Le gouvernement veillera à ce qu’il n’y ait pas de préférence de produits importés face aux produits locaux. C’est une discussion que nous allons engager. Mais nous avons besoin de moderniser tous les segments de commerce et d’améliorer la qualité des produits’’, a défendu Alioune Sarr.
Le consultant en droit, spécialiste en contentieux des affaires, Me El Hadj Amath Thiam, est d’avis que la nature intrinsèquement capitaliste de l’économie libérale exclut tout angélisme. ‘‘Dans la subconscience de tout opérateur économique, se cache une idée machiavélique de domination et de vouloir rayer de la carte économique ses potentiels concurrents et quoi que cela puisse leur coûter pour enfin régner’’.
Pas qu’Auchan dans la vie ! A tort ou à raison, la polémique sur l’implantation d’Auchan est énorme. Tellement prenante qu’on en oublierait que ce secteur du commerce mobilise d’autres enseignes plus anciennes ou contemporaines de la marque française. En attendant de voir les définitions du projet de décret présidentiel sur ce que sont grandes surfaces, magasins, supermarchés, supérettes… d’autres concurrents de moindre calibre sont présents dans la capitale sénégalaise principalement, mais aussi dans les localités de la Petite Côte. Super U, avec deux magasins à Mbour, un aux Parcelles-Assainies et un à Ouakam, Ngor et Yoff, tisse doucement sa toile. Les supermarchés Casino sont aussi dans des zones ‘‘hype’’ de Dakar comme le Sea Plazza, la route des Almadies, Saly, Sahm, Albert Sarraut et Liberté. Cette marque propose même une petite remise de 5 % tous les mercredis. Les hypermarchés Exclusive sur la Voie de dégagement nord (Vdn) et un récemment ouvert près de l’aéroport de Yoff, s’impose doucement. Comment oublier Leader Price aux Almadies et à Yoff ? Ces enseignes sont parmi les principaux lieux de convergence des clients auxquelles s’ajoutent des boutiques de moindre envergure. Les American Food Store près de la gendarmerie de la Foire de Dakar et un autre sur la route des Almadies sont courus. |