Un commerce en péril
Au Sénégal, un incendie de marché est en passe de devenir une banale affaire, tant les sinistres sont récurrents. Les causes, bien qu’identifiées depuis longtemps, restent toujours les mêmes. Du côté de l’Etat, on promet plus qu’on ne construit.
Thiaroye, Tilène (Zinguinchor), marché zinc de Kaolack et dernièrement Petersen. En l’espace de deux mois, le Sénégal a connu des incendies dans quatre grands marchés du pays. Ces sinistres notés dans trois grandes villes du pays sont assez révélateurs de la situation nationale. Dans le temps comme dans l’espace, le danger reste permanent et les mêmes causes produisent les mêmes effets, depuis des décennies. Ce qui s’est passé à Petersen, dans la nuit du mardi au mercredi, est le énième du genre. Le jeudi 23 août, le marché Zinc de Kaolack a été visité par les flammes. En avril 2017 déjà, soit plus d’un an plus tôt, ce même bazar avait pris feu, avec des dégâts énormes. L’on parlait à l’époque de 500 millions. L’homme d’affaires Serigne Mboup, mais surtout le maire de la ville Mariama Sarr, ainsi qu’Aminata Touré, l’envoyée spéciale du Président Macky Sall, s’étaient déplacés sur les lieux. L’ancienne Première ministre avait déclaré que le chef de l’Etat avait décidé de reconstruire les lieux pour en faire un marché sous régional. Les commerçants attendent toujours…
Cet exemple rappelle un autre cas, le plus emblématique d’ailleurs : Sandaga. Ce marché situé au centre ville de Dakar a pris feu dans la soirée du 26 octobre 2013, une semaine après avoir été fermé par le préfet de Dakar, Alioune Badara Diop à l’époque, pour des mesures de sécurité. La possibilité d’un acte criminel a d’ailleurs été agitée, puisque le sinistre est intervenu au moment où les commerçants étaient allés passer la fête de Tabaski en famille, notamment à l’intérieur du pays. L’opposition avait demandé une enquête pour situer les responsabilités. Il y a eu même des alliés qui ont défendu la thèse d’un acte volontaire. ‘’Il faut relever le préfet de ses fonctions et l’incriminer d’incendie involontaire, parce que cet incendie était sous sa responsabilité. C’est de cette manière seulement que le procureur de la République devait s’autosaisir pour ouvrir des enquêtes pour situer véritablement les commanditaires et les exécutants de cet incendie criminel’’, avait réagi Ibrahima Sène du Pit, parti de la mouvance présidentielle.
L’Etat avait recasé les marchands aux ‘’champs de courses’’ pour une durée de 6 mois. Ils étaient censés retrouver l’immeuble, une fois réhabilité. Ce semestre va devenir finalement une éternité, puisque dans un mois (octobre prochain), cela fera 5 ans, sans que les locaux ne soient réfectionnés. A l’image de Sandaga, pratiquement tous les grands marché du Sénégal ont déjà pris feu, ne serait-ce qu’une fois. A Dakar, Thiaroye et Hlm, le marché Zinc, celui de Grand-Dakar ainsi que le marché de Grand Yoff ont tous connu les flammes, sans compter le parc Lambaye.
Une trentaine d’incendies de marché par an
A Diourbel, l’incendie au marché Ndoumbé Diop s’est soldé par la mort d’un sapeur-pompier en juillet 2017. Le marché central de Thiès en 2016 et 2018, Moussanté dans la même ville en 2014, celui de Louga en mars 2018, les marchés Sor et Pikine de Saint-Louis, respectivement en janvier et mai de cette année viennent allonger la liste. Et à chaque fois, les mêmes causes sont avancées, à savoir les courts-circuits électriques, l’explosion des bonbonnes de gaz. Il s’y ajoute qu’il y a beaucoup de produits inflammables comme l’huile, les matelas, les cartons qui cohabitent avec toutes sortes de produits. Bref, tout un cocktail favorable au déclenchement ou à la propagation des flammes. Le tout assis sur l’impossibilité des sapeurs-pompiers d’accéder aux marchés et l’inexistence de bouches d’incendie. En octobre 2012, Mar Lo, directeur de la protection civile à l’époque, révélait que le Sénégal enregistre une trentaine d’incendies de marché par an, pour une perte estimée à 10 milliards F Cfa. Il préconisait la mise en place de 2 200 bouches et poteaux d’incendie.
Face à un tel tableau, se pose aujourd’hui plus que jamais la nécessité de moderniser les lieux de commerce. Au conseil des ministres du 11 juillet 2018, le Chef de l’Etat a déclaré que la restructuration et la modernisation des marchés est une priorité pour l’activité commerciale. ‘’A cet égard, le président de la République demande au gouvernement de prendre, sans délai, toutes les mesures nécessaires à l’actualisation de la réglementation sur la gestion de l’urbanisme commercial, afin d’optimiser le déploiement spatial, administratif et économique des commerces de proximité et de la grande distribution’’, lit-on dans le communiqué.
Le 13 août dernier, lorsque le marché de Tilène à Ziguinchor a pris feu, le Premier ministre Mahammed Dionne a engagé l’Etat à tout reprendre. ‘’Le marché sera entièrement reconstruit, dans les meilleurs délais. Sa construction va obéir aux normes de sécurité et de protection. Nous allons en faire un site commercial sous régional, en tenant compte de la spécificité géographique de la région de Ziguinchor, qui est proche de la Gambie, de la Guinée-Bissau et de la Guinée’’, a-t-il dit à l’attention des Ziguinchorois. Une promesse qui rappelle celle faite aux Kaolackois. En effet, au lendemain du sinistre d’avril 2017 au marché Zinc, Mimi Touré, l’envoyée spéciale du Chef de l’Etat, par ailleurs ancienne Première ministre, avait promis la reconstruction d’un lieu de commerce sous régional, eu égard à la position de la ville de Kaolack. A son tour, le ministre du Commerce, en déplacement sur les lieux, a élargi la perspective en parlant de réhabilitation des marchés centraux des 14 régions du pays.
PGD de Mimi Touré
Mais comme toujours, il y a plus de promesses que de réalisations. En effet, ce même Dionne avait promis aux Diourbellois la même chose, en juillet 2017, alors qu’il était en pleine campagne pour les Législatives. ‘’Pour que de pareilles catastrophes ne se reproduisent, disait-il, l’Etat a décidé de dégager une enveloppe de 5 milliards F CFA pour bâtir un marché à la dimension de celui qui est prévu à Kaolack’’. Pour Lambaye, les autorités avait promis une délocalisation. Mais aujourd’hui, le parc a presque fini de reprendre sa forme d’antan. A Sandaga, ce n’est qu’en juin dernier que le ministre du Commerce Alioune Sarr a annoncé la mise en place d’un comité chargé de réfléchir sur la réhabilitation du bâtiment. C’est dire donc si l’optimisme est vraiment permis.
Par ailleurs, au vu des récentes réactions des autorités, on peut penser qu’il y a enfin une prise de conscience du problème. Mais avec une petite recherche, on se rend compte que la question a toujours été agitée, sans suite. La déclaration de politique générale de l’ancienne Première ministre Aminata Touré a eu lieu le 28 octobre 2013, soit deux jours après que le marché Sandaga a été ravagé par les flammes. Interpellée par Modou Diagne Fada et Aïda Mbodji, Mimi Touré avait déclaré : ‘’Nous avons un programme de réhabilitation des marchés. Les conditions dans lesquelles se trouvent les marchés ne sont pas normales. Sans compter les branchements sauvages d'électricité qui créent un sentiment d'insécurité.’’
Du temps des socialistes, des conseils interministériels ont été tenus sur la problématique à la fin de la décennie 90. Au début des années 2000 aussi, le régime de Wade s’est penché sur la question. Mais en lieu et place de bâtiments modernes, les Sénégalais assistent de plus en plus à des incendies, dont certains sont couverts d’un voile de suspicion.
BABACAR WILLANE