Le gouvernement installe une cellule de crise
La situation reste tendue à Tunis, malgré des signes de soutien aux migrants de certaines organisations de la société civile.
Elle était attendue, elle est enfin arrivée. La réaction du ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur est désormais officielle. Dans un communiqué parvenu à ‘’EnQuête’’, les services d’Aïssata Tall Sall font savoir que l’ambassadeur du Sénégal en Tunisie a été instruit de ‘’mettre en place une cellule de crise pour assurer la protection de nos ressortissants et de leurs biens. Les numéros verts suivants ont été mis en service à cet effet : 00221775595546 (WhatsApp) ; 00216 50840908 (00216 55358834)’’.
Par la même occasion, le département de la diplomatie rappelle l’attachement particulier du Sénégal à la sécurité et à la sûreté des communautés sénégalaises partout où elles résident et en toute circonstance.
Les autorités sénégalaises y vont plus doucement que leurs homologues ivoiriens et burkinabé qui ont lancé des appels à leurs ressortissants pour les aider à quitter le territoire tunisien, face au sentiment d'insécurité grandissant au sein de la communauté. En effet, dans des informations rapportées par RFI, plusieurs témoignages ont rapporté, samedi, des saccages et vols de biens dans des logements de Subsahariens, dans le quartier de l'Ariana, à Tunis, et dans la ville de Sfax, à l'est du pays.
Beaucoup d’agressions de migrants rapportées
D’autres agressions de migrants ont eu lieu dans des quartiers comme la Soukra, en banlieue nord de Tunis, avec des bouts de meubles encore brûlés au sol, de la vaisselle cassée et des affaires éparpillées partout, saccagées… Une résidence occupée par plusieurs migrants subsahariens a été prise d’assaut dans la nuit du jeudi 23 au vendredi 24 février, rapporte le média.
S'exprimant lors d'une réunion du Conseil de sécurité nationale "consacrée aux mesures urgentes qui doivent être prises pour faire face à l'arrivée en Tunisie d'un grand nombre de migrants clandestins en provenance d'Afrique subsaharienne", le président tunisien Kais Saied a prôné, en début de semaine, des "mesures urgentes" contre l'immigration clandestine de ressortissants de pays d'Afrique subsaharienne.
Il a ensuite tenu des propos très durs sur l'arrivée de "hordes de migrants clandestins" et insisté sur "la nécessité de mettre rapidement fin" à cette immigration.
Il a, en outre, soutenu que cette immigration clandestine relevait d'une "entreprise criminelle ourdie à l'orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie", afin qu'elle soit considérée comme un pays "africain seulement" et estomper son caractère "arabo-musulman".
Pas de distinguo entre migrant irrégulier et migrant régulier
Jeudi, le porte-parole de la Garde nationale, le général de brigade Hossam Eddine Jebabli, a déclaré dans les médias que des amendes et des condamnations attendent les Tunisiens qui hébergent ou emploient illégalement des étrangers, en donnant des sommations pour leur expulsion et leur licenciement.
Selon les autorités, les arrestations ne concernent que ceux qui sont dans une situation irrégulière. Président de l’Association des étudiants sénégalais de Tunisie, Ibrahima Ngom rapporte le contraire. Car, dans les faits, assure-t-il, ‘’les policiers ne font pas de distinguo et arrêtent toute personne noire qu’ils rencontrent. On ne va plus en cours depuis mercredi. Deux étudiants maliens ont témoigné qu’ils ont été emprisonnés pendant six jours, alors qu’ils sont en règle’’.
Depuis, les étudiants sénégalais vivent dans la peur et beaucoup, parmi leurs instituts universitaires leur ont demandé de rester chez eux, le temps que la situation se calme. Des ONG ont recensé près de 300 arrestations arbitraires et certains propriétaires expulsent aussi les migrants locataires, car la loi les oblige à exiger une carte de séjour.
Après s’être rapprochés de l’ambassade du Sénégal en Tunisie, ces étudiants ont été invités à établir une liste, dans l’éventualité de la mise à disposition d’un avion pour ceux qui souhaitent rentrer au pays.
Toutefois, cette décision n’est pas encore officielle. Malgré cela, des organisations de la société civile s’organisent pour apporter la réplique aux autorités tunisiennes.
Ibrahima Ngom, Président de l’Association des étudiants sénégalais : ‘’On ne va plus en cours depuis mercredi’’
Samedi, des centaines de personnes ont manifesté dans les rues de Tunis, à l'appel du collectif d'associations Front antifasciste, pour protester contre les déclarations du président Kaïs Saïed et apporter soutien aux migrants. Elles ont été imitées par l’ancien ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio qui, sur les réseaux sociaux, a rappelé au président tunisien que ‘’les Africains noirs ne sont pas des hordes d’envahisseurs ! Pour votre information, ils sont les filles et les fils aînés de Dieu et les précurseurs de la civilisation humaine. Les 30 millions de km2 du continent africain sont leur patrie’’.
L’Union africaine s’est également exprimée, ce weekend, sur les événements malheureux qui touchent les Subsahariens présents en Tunisie. Le président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a fermement condamné, samedi, ‘’les déclarations choquantes faites par les autorités tunisiennes contre des compatriotes africains, qui vont à l'encontre de la lettre et de l'esprit de notre organisation et de nos principes fondateurs’’.
Mieux, la vice-présidente, Dr Monique Nsanzabaganwa, et la commissaire de l'UA pour la Santé, les Affaires humanitaires et le Développement social, Amb. Minata Samate ont reçu le représentant permanent de la Tunisie accrédité auprès de l'Union africaine afin d'exprimer les vives préoccupations de l’organisation quant à la forme et le fond de la déclaration ciblant ‘’des compatriotes africains, nonobstant leur statut légal dans le pays’’.
Cheikh Tidiane Gadio demande la suspension de Kais Saied de l’UA
Le président de l’UA rappelle à tous les pays, en particulier aux États membres dont la Tunisie, qu'ils doivent honorer les obligations qui leur incombent en vertu du droit international et des instruments pertinents de l'Union africaine, à savoir traiter tous les migrants avec dignité, d'où qu'ils viennent, s'abstenir de tout discours haineux à caractère raciste, susceptible de nuire aux personnes, et accorder la priorité à leur sécurité et à leurs droits fondamentaux.
Cheikh Tidiane Gadio ira plus loin dans sa dénonciation, en invitant les chefs d’État du continent à rappeler, si le président tunisien insiste, leurs ambassadeurs et à demander sa suspension de la Conférence des chefs d’État de l’Union africaine, ‘’organisation qui interdit la haine et le racisme contre les Africains, chez eux en Afrique et partout dans le monde !’’.
Lamine Diouf