Publié le 27 Jul 2024 - 11:17
RAPPORT ANNUEL DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTÉ

Les terribles chiffres des prisons en 2023

 

Le rapport 2023 de l’Observatoire national des lieux de privation de liberté (ONLPL) a livré ses secrets. Il a fait état de la population carcérale en hausse liée aux dernières manifestations politiques, à l’émigration irrégulière, des témoignages de détenus, mais aussi des recommandations pour une amélioration des conditions de vie des détenus.

 

Le rapport annuel 2023 de l'Observatoire national des lieux de privation de liberté (ONLPL) a été remis récemment au chef de l’État. Parcouru par ‘’EnQuête’’, il a confié qu’au cours de l'année 2023, l'ONLPL a visité 19 établissements pénitentiaires et fait différentes constatations.

Pour l'année 2023, la population carcérale, estimée à 12 910 personnes, a connu une hausse de 360 détenus par rapport à l'année 2022. Cette hausse résulte, selon le document, pour l'essentiel, des manifestations publiques de juin 2023 et de la migration irrégulière.

Cette surpopulation constatée dans presque toutes les prisons, à quelques exceptions près, a eu des répercussions graves sur les conditions de détention, notamment sur l'alimentation, le couchage et la santé. Elle a aussi considérablement aggravé la promiscuité décriée dans les grands établissements pénitentiaires.

965 personnes placées sous mandat de dépôt pour atteinte à la sûreté de l'État…

Selon les statistiques de la Direction générale de l'Administration pénitentiaire, citées par le rapport, 965 personnes ont été arrêtées et placées sous mandat de dépôt pour participation à une manifestation interdite, mouvement insurrectionnel, atteinte à la sûreté de l'État et 339 individus écroués pour traite de personnes et trafic de migrants.

Cette surpopulation constatée dans presque toutes les prisons, à quelques exceptions près, a eu des répercussions graves sur les conditions de détention, notamment sur l'alimentation, le couchage et la santé. Elle a aussi considérablement aggravé la promiscuité décriée dans les grands établissements.

S'agissant de la surface de couchage du détenu prescrite par l'arrêté n°012771/MJ/DAP du 12 juin 2018 fixant les normes d'hébergement des détenus dans les établissements pénitentiaires et le ratio surveillant/détenus à 1,35 m², il a été relevé que ces dispositions ne sont pas respectées dans la plupart des établissements visités. En raison de l'absence totale de meubles de rangement dans les chambres, l'espace de vie des détenus est encombré par l'étalage au sol et l'accrochage au mur de leurs effets personnels. L'usure des matelas affecte gravement le couchage, qui demeure une préoccupation majeure, malgré les efforts de l'Administration pénitentiaire qui a doté quelques établissements de lits superposés avec des matelas orthopédiques.

La question de la torture

Sur le traitement des détenus, dans l'ensemble des établissements visités, il n'a été trouvé aucun instrument ou dispositif pouvant faire penser que des actes de torture ou des pratiques assimilées y ont cours. Cependant, des cas ont été parfois allégués dans certains établissements.

Sur l'accès aux soins, il y a l'inadaptation des infrastructures sanitaires. Le rapport a aussi montré que les conditions de mise en œuvre du placement en cellule disciplinaire sont incontestablement attentatoires à la dignité humaine et aux droits fondamentaux des détenus qui en sont l'objet.

Sur le personnel pénitentiaire, le document fait état d'une insuffisance, en particulier chez les éléments féminins, avec un ratio de 1 surveillant pour 5 détenus, alors que la norme est de 1 pour 1. La plupart des établissements disposent d'un seul magasin. Ces locaux sont souvent insuffisamment aérés et non carrelés. Pour l'accès à l'eau, il y a souvent des baisses de pression.

Les témoignages troublants des manifestants arrêtés durant les périodes chaudes

Dans le contexte de manifestations suivies de nombreuses interpellations et de détentions, l'ONLPL, en application de l'article 1 de la loi n°2009-13 du 2 mars 2009, a déployé des équipes d'observateurs, dans la période du 6 mars au 6 avril 2023, dans les établissements pénitentiaires de Dakar (Rebeuss), Diourbel, Mbacké, Ziguinchor, Bignona et Saint-Louis pour s'enquérir des conditions de détention et de prise en charge des détenus interpellés lors des manifestations publiques du mois de février 2023.

Il résulte de ces visites plusieurs constatations : une augmentation notoire de la population carcérale, notamment celle des détenus provisoires qui est passée de 30 à 70 % des effectifs ; une forte promiscuité dans les chambres entraînant de sérieux problèmes d'hygiène ; une insuffisance des effets de couchage avec comme conséquence le partage d'un matelas individuel par plusieurs détenus, certains se couchant à même le sol ; de graves blessures sur certains détenus.

"Outre les constatations, les entretiens avec les détenus nous ont permis de recueillir ce que certains d'entre eux ont allégué avoir été torturés au cours de leur transfèrement ou de leur garde à vue", a mentionné le rapport. D'autres ont soutenu avoir été privés de nourriture et d'eau durant leur garde à vue. Des détenus de Dakar et de Ziguinchor ont témoigné dans le rapport.

Pour les personnes interpellées dans le cadre de la lutte contre l'émigration clandestine, à la Maison d'arrêt et de correction (Mac) de Saint-Louis qui, pour une capacité de 450 détenus, s'est retrouvée avec 771 pensionnaires, alors que son budget n'a pas évolué. Ce qui va impacter, selon le rapport, négativement la prise en charge des détenus.

38 lieux de privation de liberté visités pour la première fois

En outre, le rapport souligne qu’au cours de l'année 2023, l'accent a été mis sur les visites initiales, car beaucoup de lieux de privation de liberté n'avaient jusqu'ici reçu pas la visite de l'Observateur national après dix ans de fonctionnement. Ainsi, sur 64 lieux de privation de liberté visités, 38 l'ont été pour la première fois, ce qui représente près de 60 % du total.

Par ailleurs, un accent particulier a été mis sur les visites thématiques consacrées cette année à l'alimentation dans les lieux de privation de liberté. "Au cours de ces visites, en principe inopinées, les responsables des lieux de privation de liberté sont tenus de mettre à la disposition de l'observateur national ou de ses délégués toutes informations et tous documents qu'ils jugent pertinents dans la conduite de leur mission. À la fin de ces visites, l'ONLPL adresse, dans un rapport dit définitif, des recommandations aux autorités ministérielles compétentes. Au préalable, un prérapport est partagé avec le responsable du lieu de privation visité pour recueillir ses observations, lesquelles, selon leur pertinence, sont intégrées au rapport définitif", indique le document.

Au-delà de ses fonctions de visite, qui lui permettent de formuler des recommandations pour la prévention de la torture et les traitements assimilés, l'ONLPL a des fonctions consultatives. Ces dernières se déclinent en termes de propositions législatives et de formulations d'avis sur toutes les questions relevant de son mandat. En raison de sa connaissance de la réalité de la privation de liberté, l'ONLPL est en mesure de soumettre au gouvernement, à toutes les autorités et entités intéressées par la prévention de la torture, des propositions de modification des règles concernant les personnes privées de liberté et les personnes chargées de leur surveillance ou de leur traitement, renseignent les rédacteurs du rapport.

Les objectifs des visites

Les visites préventives dans un lieu de privation de liberté visent à identifier les causes profondes des mauvais traitements et d'autres problèmes relatifs aux droits humains, à comprendre la nature des problèmes systémiques et à trouver des moyens de les traiter. De ces visites effectuées par les observateurs, il est ressorti plusieurs constatations.

Dans les lieux de garde à vue, au cours de l'année 2023, 37 unités de garde à vue de la police et de la gendarmerie ont été visitées sur toute l'étendue du territoire national, dont l'essentiel était des visites initiales (première visite).

À la suite des visites, il a été relevé des manquements. L'absence de ligne de crédit destinée à l'alimentation des personnes gardées à vue : il résulte des entretiens avec les chefs d'unités visitées qu'il n'existe pas d'allocation budgétaire pour la prise en charge alimentaire et sanitaire des personnes gardées à vue. Leur alimentation provient soit des parents et proches, soit du personnel de service. L'insuffisance de la prise en charge de la dimension genre dans la composition du personnel : l'analyse de l'état des effectifs met en évidence l'insuffisance, voire l'absence parfois d'agents féminins dans la composition du personnel. Cette situation, selon la même source, est plus prononcée dans les unités éloignées de la capitale.

La quasi-absence de locaux dédiés aux fouilles

La majorité des unités de police et de gendarmerie ne dispose pas de locaux dédiés aux formalités de fouilles, qui s'effectuent soit dans les bureaux des enquêteurs, soit dans les couloirs aménagés. Il existe peu de salles exclusivement dédiées aux auditions, comme le prescrivent les normes et standards internationaux ; des constatations faites dans les unités de garde à vue de la police et de la gendarmerie indiquent que le nombre et les surfaces des salles ne sont pas toujours conformes aux prescriptions édictées par les normes et standards internationaux reprises par l'avis du 4 septembre 2014 de l'ONLPL sur la configuration des salles de garde à vue au Sénégal.

En effet, selon le rapport, la grande majorité des unités ne dispose que de deux salles ; une pour les hommes et une pour les femmes. Dans les unités qui ne disposent que d'une seule salle de garde à vue, généralement réservée aux hommes, en cas d'interpellation de femmes ou de mineurs, la pratique policière consiste à les placer au poste de police sous la garde du chef de poste ou du gendarme de permanence.

Outre le nombre de salles de garde à vue, les dimensions ne correspondent pas toujours aux exigences des normes susvisées, 12 m² pour les salles collectives et 7 m² pour les salles individuelles. Il y a une quasi-absence d'effets de couchage, de points d'eau et de lieux d'aisance dans les salles de garde à vue. Dans la plupart des unités visitées, les salles de garde à vue ne disposent pas de banquettes ou de matelas. Les personnes gardées à vue dorment à même le sol. S'agissant des points d'eau, même s'ils sont parfois installés, ils ne sont généralement pas fonctionnels.

Des irrégularités dans la tenue des registres, qui est un aspect essentiel de la protection des droits des personnes privées de liberté, ont été observées. Cela implique une bonne qualité du registre ainsi que des données y relevées qui doivent être sincères, complètes et accessibles. Mais à l'examen des registres et autres documents relatifs à la garde à vue, le rapport constate parfois l'absence de la formule d'ouverture, des mentions de cotation et de paraphe ou tout simplement des rubriques non renseignées.

L'insuffisance et l'inadaptation des moyens roulants sont également notées, où l'essentiel des unités de garde à vue visitées dispose de véhicules d'intervention, mais non adaptés, car dépourvus de cellules pour préserver la dignité des personnes lors des transfèrements et également pour des raisons de sécurité.

Les autres recommandations du rapport

Dans sa mission essentielle de prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, l'ONLPL n'a de cesse de formuler des recommandations adressées aux responsables des lieux de privation de liberté visités et à leur autorité ministérielle de tutelle.

Comme à l'accoutumée, le présent rapport leur permet, d'une part, de faire la revue des recommandations précédemment formulées et suivies d'effet, d'autre part, de reconduire les recommandations anciennes et, enfin, de présenter les nouvelles qui ont particulièrement retenu leur attention pour 2023. Il s'agit de :

  • Construire ou aménager des salles de fouilles ;
  • Encourager davantage le recours aux alternatives à la détention ;
  • Augmenter sensiblement le nombre de magistrats ;
  • Améliorer le rythme de construction et d'extension des établissements pénitentiaires sénégalais ;
  • Doter les lieux de privation de liberté de registres de qualité ;
  • Mieux prendre en compte dans les cahiers des charges techniques les personnes à besoins spécifiques ;
  • Recruter des cuisiniers professionnels pour les établissements pénitentiaires ;
  • Renforcer la ligne budgétaire réservée aux frais pharmaceutiques en milieu pénitentiaire ;
  • Augmenter le nombre de douches et de toilettes dans les prisons.

CHEIKH THIAM

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