Les mauvaises pratiques infectieuses
La recrudescence des maladies infectieuses constitue une menace pour la santé publique au Sénégal. Et pourtant, les spécialistes sont très peu nombreux, mal répartis et sont parfois à l’origine de certains insuccès médicaux.
Les maladies infectieuses constituent un problème de santé majeur au Sénégal. Et pourtant, le pays ne dispose que de 40 infectiologues. Certes le nombre n’est pas négligeable de l’avis d’un spécialiste, mais il est très limité pour 14 millions de Sénégalais. D’après Docteur Noël Magloire Manga, le ratio est de moins 3 spécialistes pour 1 million d’habitants au Sénégal. Ce qui veut dire qu’il est largement en deçà des normes de l’OMS. De plus, ajoute le maître de conférences agrégé en infectiologie à l’Hôpital de la paix de Ziguinchor, très peu sont actuellement en formation (6), et ce sont essentiellement des internes des hôpitaux. Ce qui justifie, selon lui, que les autorités, dans le cadre des politiques de santé publique, mettent en place les programmes de prises en charge.
A l’en croire, les besoins du pays sont nombreux. Il faut s’en rendre compte quand on est confronté à de grosses pathologies, des épidémies. ‘’Quand on a eu la menace de la fièvre Ebola, on s’est rendu compte qu’on n’a pas suffisamment de spécialistes pour couvrir le territoire national. Heureusement que nous avons pu faire face avec le cas que nous avons reçu’’, souligne-t-il. Il invite ainsi les autorités à davantage renforcer ce secteur parce qu’il y a énormément de challenge sur le plan infectiologique.
Pourtant, beaucoup d’efforts réels ont été consentis depuis la première alternance. Par exemple, explique-t-il, autour des années 2000, il y avait moins de 10 spécialistes au Sénégal. Une trentaine a été formée en 15 ans. Seulement, comme avec toutes les maladies, la majorité d’entre eux sont à Dakar. Les régions qui en disposent, outre la capitale, sont : Thiès, Kaolack, Fatick, Saint-Louis et Ziguinchor. ‘’Si nous avons au moins 5 ou 10 infectiologues dans chaque région, ça permettrait d’avoir des avis spécialisés dans ce domaine’’, soutient Dr Manga.
‘’Il y a beaucoup de maladies bactériennes qui circulent mais…’’
Cependant, c’est un leurre que de penser que le problème serait résolu avec une disponibilité suffisante de spécialistes. D’après Dr Manga, les principales difficultés, en dehors de l’insuffisance de spécialistes, sont entre autres le manque d’équipements, notamment pour le diagnostic de certaines pathologies infectieuses. Selon lui, le recul des maladies comme le VIH, la tuberculose et le paludisme s’explique par les investissements pour faciliter le diagnostic et la prise en charge. Mais aujourd’hui émergent d’autres causes de maladies infectieuses et qui se manifestent presque de la même manière. Et ils se sont rendu compte qu’ils ont très peu d’outils pour confirmer ces pathologies. Un matériel qui du reste coûte très cher (la biologie moléculaire, les tests de diagnostic rapide).
‘’Il y a beaucoup de maladies bactériennes qui circulent mais nous n’avons pas les outils qu’il faut pour les confirmer. C’est dans ce sens que les autorités devraient aller. Malgré le recul des grandes maladies, on se rend compte qu’il y a énormément de personnes qui meurent de maladies infectieuses qui se manifestent par de la fièvre’’, fait-il savoir. A l’en croire, les pathologies infectieuses restent des causes majeures de décès même chez des personnes qui présentent d’autres maladies, y compris les diabétiques, les personnes souffrant de problèmes cardiaques et les insuffisants rénaux.
L’un des facteurs pointés du doigt constitue l’utilisation anarchique des médicaments, notamment les antibiotiques. Ces derniers sont en fait une arme à double tranchant. Ils sont des partenaires majeurs dans la lutte contre les maladies bactériennes. En effet, si une baisse nette des cas de décès liés aux infections a été notée, c’est parce qu’il y a eu énormément d’antibiotiques découverts depuis des années. ‘’Mais depuis les années 2000, l’on constate un essoufflement de la recherche sur ces médicaments’’, souligne l’infectiologue.
Parallèlement, survient une augmentation des bactéries résistant aux quelques antibiotiques disponibles. ‘’Si on ne fait pas attention, on va se retrouver un jour devant des impasses thérapeutiques. C’est-à-dire des malades qui ont une infection sévère, mais chez qui nous n’avons aucun antibiotique efficace’’, prévient Dr Grégoire Manga. Pour réduire cette capacité de résistance des bactéries aux antibiotiques, il préconise une meilleure organisation des prescriptions. Car, chaque prescription d’un antibiotique occasionne une sélection de bactéries résistantes.
En effet, entre les deux prises, il y a parfois une période où il n’y a presque pas d’antibiotiques qui circulent dans le sang ; et le gêne a le temps de se régénérer et de pouvoir s’adapter à l’antibiotique et devenir alors résistant. ‘’C’est souvent nous les praticiens qui fabriquons les bactéries résistantes parce qu’on donne de manière inadéquate les antibiotiques à une personne qui présente une infection bactérienne avérée. On ne donne pas la bonne posologie, on n’administre pas à des doses et selon les écarts d’administration réguliers’’, regrette-t-il.
A tous ces points s’ajoutent l’hygiène hospitalière, capitale dans la lutte contre les infections, ainsi que la recherche et le renforcement des systèmes de surveillance des maladies infectieuses. Les spécialistes en la matière restent convaincus que si tous ces facteurs étaient réunis, des pays comme le Sénégal ne seraient plus surpris par des épidémies comme celle de choléra qui a eu lieu entre 2004 et 2008 ou alors Ebola, tout récemment.