La seconde noce
Accusé de fraudes fiscales graves portant sur au moins une vingtaine de milliards de francs CFA, le groupe Summa peut s'estimer heureux d'avoir reçu, avant-hier, le président de la République, qui s'est personnellement déplacé pour l'inauguration de son nouvel hôtel à Diamniadio, le Courtyard by Marriot.
Après la tempête, c'est le retour au calme et à la sérénité. Présenté au début de la nouvelle alternance comme de vulgaires délinquants fiscaux, avec des procédures de redressement tous azimuts et de nombreux griefs de la douane à son encontre, le groupe Summa revient en force sur la scène économique. Depuis quelque temps, on ne parle plus de ses déboires, de ses nombreux dossiers et procédures pendants devant la justice et qui avaient fini de nuire gravement à sa réputation. Cerise sur le gâteau, la cérémonie du baptême de son tout dernier-né - l'hôtel Courtyard by Marriot - a été présidée par le président de la République Bassirou Diomaye Faye lui-même, avant-hier dans la nouvelle ville de Diamniadio, à une trentaine de kilomètres de Dakar.
À cette occasion, le chef de l’État sénégalais n'a pas manqué de saluer l'investissement qui a été fait par le groupe turc et son président-directeur général qui, subitement, semblent redevenir fréquentables. “Je voudrais saluer et féliciter le président du groupe, Monsieur Selim Bora, pour cet important investissement de 13 milliards de francs CFA, pour cet hôtel d'une capacité totale de 134 chambres et qui a occasionné 150 emplois directs”, s'est réjoui Bassirou Diomaye Faye.
Selon lui, l'inauguration de “ce magnifique complexe marque une étape significative dans la politique de renforcement des capacités d'accueil hôtelier du Sénégal et de développement du secteur touristique”.
Mais que sont devenues les procédures qui étaient jusque-là pendantes devant les tribunaux sénégalais ? Un arrangement a-t-il été trouvé entre l'administration fiscale et l'entreprise turque ? Quels sont les termes de cet engagement, le cas échéant ? Pas mal de questions qui restent jusque-là sans réponse.
Selon certaines sources qui ont préféré garder l'anonymat, “un accord amiable a été trouvé entre la Direction générale des Impôts et des Domaines (DGID) et l'entreprise Summa, et les parties avaient convenu de renoncer à la procédure qui était ouverte”. Cet accord a été trouvé avant même le séjour du président de la République en Turquie, du 31 octobre au 2 novembre 2024. Ce qui montre que le vent de dégel avait commencé à souffler depuis plusieurs semaines.
Avant cet accord, l'hostilité était arrivée à un niveau tel, des saisies ont même été annoncées, dans les médias, contre des biens appartenant à la société turque.
Nous sommes donc bien loin de cette époque où les relations étaient très heurtées et où de nombreux observateurs s'interrogeaient sur l'avenir du géant turc de la construction au Sénégal. La machine diplomatique et financière turque a dû peser de tout son poids pour désamorcer la bombe et permettre à Selim Bora et à ses amis de poursuivre tranquillement leur business.
La présence du chef de l'État à l'inauguration du nouvel hôtel marque donc définitivement le début d'une nouvelle ère dans les relations entre le Sénégal et les investisseurs turcs, dont certains avaient payé leur proximité avec les anciens tenants du pouvoir.
Lors de son séjour à Ankara, le chef de l'État montrait déjà sa volonté de poursuivre le partenariat qui s'est beaucoup développé ces dernières années. “Je me réjouis de cette visite, pour poursuivre et renforcer les relations solides d'amitié cordiales et de coopération conviviale entre le Sénégal et la Turquie. Notre coopération est riche et porte sur divers secteurs importants tels que les infrastructures, la défense, la santé, l'agriculture, l'eau, l'éducation, l'énergie et les hydrocarbures, le sport, le tourisme, l'économie et le commerce”.
Le succès de cette coopération, disait Diomaye, est illustré par la réalisation de projets phares au Sénégal, surtout en matière de construction d'infrastructures de qualité par des entreprises turques.
Le chef de l'État sénégalais saluait également l'évolution des échanges commerciaux et exprimait son souhait de voir ces échanges s'étendre à d'autres secteurs, au-delà du commerce et de la construction d'infrastructures. “Avec le président Erdogan, nous avons aussi échangé sur la Vision 2050 du Sénégal qui constitue le nouveau référentiel des politiques publiques. Les principales priorités sont, entre autres, l'agriculture, l'industrialisation, la digitalisation et l'industrie numérique, la formation professionnelle et technique, la jeunesse et l'emploi”, ajoutait le président de la République.
À noter que sous Macky Sall, les Turcs, en particulier Summa, avaient raflé plusieurs marchés, dont l'achèvement et la gestion de l'aéroport international Blaise Diagne de Diass. D'ailleurs, ce contrat de partenariat public-privé a été sérieusement contesté par les nouvelles autorités qui avaient brandi la révision du contrat. Certains avaient parlé d'un simple recours à une clause prévue dans le contrat, mais qui n'a jamais été mis en œuvre par l'ancien régime. Celui-ci consisterait à revoir certains termes du contrat tous les cinq ans.
À rappeler aussi que le groupe turc s'est révélé aux Sénégalais pour les nombreux marchés qui lui ont été octroyés par entente directe, sans concurrence. Parmi ces infrastructures qui ont soulevé pas mal de polémiques, il y a, en sus de l'AIBD, le stade Abdoulaye Wade de Diamniadio, le Centre international de conférences Abdou Diouf, pour ne citer que les plus emblématiques.
Si l'entreprise a pu marquer les esprits, au-delà des scandales liés à la façon dont les marchés lui ont été octroyés, c'est aussi en raison de ses capacités à réaliser des infrastructures de qualité dans des délais record. Une prouesse dont les tenants du nouveau régime ont sans doute besoin pour produire des résultats à présenter aux Sénégalais.
MOR AMAR