Le maïs, l'autre grand défi du secteur agricole
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Filière en pleine expansion, le maïs a été l'objet, en fin de semaine dernière, d'une importante rencontre entre producteurs, industriels, et acteurs étatiques. L'objectif est de réduire l'enveloppe de 80 milliards destinée aux importations chaque année.
C'est le début d'une nouvelle ère dans la gestion de la filière maïs au Sénégal. Pendant longtemps, l'État ne s'intéressait presque qu'à la commercialisation de l'arachide, avec de vastes campagnes à grand renfort médiatique. Depuis quelques années, des efforts importants sont réalisés pour repositionner le maïs, en faire plus qu'une simple culture vivrière.
Sous l'impulsion des partenaires belges d'Enabel, les acteurs se mobilisent pour voir comment accompagner les producteurs, pour atteindre la souveraineté alimentaire en maïs.
Directeur général de l'Agence de régulation des marchés, Babacar Sembène déclare : “On sait le poids du maïs dans l'agriculture au Sénégal. C'est la raison pour laquelle le ministère du Commerce est très satisfait, en partenariat avec le ministère de l'Agriculture et les partenaires techniques, d'accompagner les producteurs et les industriels à travailler ensemble dans le cadre de cet accord.”
Chaque année, ce sont des centaines de milliers de tonnes de maïs qui sont importées par les meuniers, en particulier ceux qui sont dans la fabrication d'aliments de bétail, moyennant des dizaines de milliards. Pour l'année 2024 qui vient de s'écouler, les estimations font état d'importation de 500 000 t de maïs par les industriels, pour un montant total de 80 milliards de francs CFA. L'objectif des acteurs, c'est d'œuvrer ensemble pour une diminution progressive de cette facture ; ce qui devrait, à terme, impacter également sur le secteur clé de l'aviculture.
Bras droit du grand marabout mouride Cheikh Ndigueul Sène, Serigne Moustapha Sarr se définit comme le plus grand producteur de tout le département de Kaffrine. Il estime que cette jonction entre producteurs et industriels est arrivée à son heure. “Chaque année, je fais des centaines de tonnes. Une bonne partie de cette production est destinée à nos daaras. Dans les daaras de mon marabout Serigne Cheikh Ndigueul, on prépare jusqu'à 150 kg par jour, sept jours sur sept. Nous arrivons non seulement à satisfaire cette forte demande, mais aussi à faire des dons et il nous reste des quantités importantes à commercialiser”.
De l'avis du guide religieux, chaque année, après avoir sorti la nourriture pour sa famille et ses daaras, il lui reste des quantités importantes à vendre. “À l'heure où je vous parle, soutient-il, nous avons des stocks importants dans plusieurs localités, notamment à Ziguinchor, Sédhiou, Tamba et Birkelane. On ne sait que faire de ces stocks. C'est la première fois que je participe à pareille rencontre”, s'est réjoui le grand producteur.
Chaque année, les industriels importent 500 000 t pour 80 milliards F CFA
Le paradoxe, c'est que pendant que les producteurs se plaignent des stocks, les industriels, eux, en cherchent. Ils sont obligés de se rendre en Argentine et au Brésil notamment, pour satisfaire leur importante demande, pour les besoins de la fabrication de l'aliment de bétail. Mais qu'est-ce qui explique ce paradoxe ? Pourquoi les meuniers vont-ils s'approvisionner à l'étranger, alors que le paysan brade son produit ? En fait, s'accordent à dire les acteurs, c'est que le maïs sénégalais manque de compétitivité par rapport au maïs étranger. “Pendant que les autres pays font des rendements de 8, 9, voire 10 t à l'hectare, nous sommes en dessous des 3 t. C'est une des raisons pour lesquelles nous sommes moins compétitifs. Mais ces dernières années, le rendement a nettement été amélioré, avec la mise sur le marché par l'État de nouvelles variétés de semences dites hybrides. Nous devenons de plus en plus compétitifs et nous allons essayer de renforcer cette tendance”, a expliqué le directeur de l'Agriculture Moctar Ndiaye. Déjà, assure-t-il, les résultats commencent à se faire sentir. “Avant l'introduction de ces semences hybrides, outre les importations qui nous viennent d'Argentine et du Brésil, les commerçants importaient aussi dans les pays de la sous-région : Burkina, Mali... Ces dernières années, grâce à l'augmentation de la production, les rendements ont été multipliés. Nous continuons certes à importer des quantités importantes, mais l'État travaille à réduire cette dépendance”, soulignait M. Ndiaye.
De l'avis des producteurs, les industriels doivent s’employer à accompagner l'effort de production, quitte à débourser un peu plus d'argent. Président national du Collège des producteurs de maïs dans l'interprofession de la filière, Papa Banda Dièye a fait son plaidoyer : “Selon les termes de l'accord, les industriels doivent acheter juste 5 000 t sur les 500 000 t. Ce n'est pas une quantité très importante. Nous pensons que s'il faut qu'ils fassent un petit effort par patriotisme, ils vont le faire, parce que tout le monde y gagne. Nous avons besoin d'un prix rémunérateur pour inciter les producteurs à produire davantage. Cela permettrait de développer la filière et d'être moins dépendant des importations avec tous les risques qui vont avec.”
Lors des négociations, les paysans avaient proposé 225 F CFA/kg. Mais les tractations se poursuivaient face à des industriels qui en proposaient bien moins. Il ressort, en effet, des confidences que ces derniers se cachent derrière le fait que le kilogramme du maïs acheté à l'étranger leur revenait à environ 198 F CFA. Lors de la précédente campagne, l'initiative avait permis de vendre 1 500 t à 225 F CFA le kilo.
Les producteurs réclament 225 F CFA
Dans son intervention, la présidente de l'interprofession, Gnima Diaité, a insisté sur la nécessité de renforcer cette collaboration pour développer cette filière au même titre que l'arachide. Elle est revenue sur l'historique de cette culture qui n'avait pas cette vocation. “Avant, souligne-t-elle, le maïs n'avait pas cette vocation marchande. On le grillait pour notre consommation. Après, les gens ont commencé à le cultiver pour se nourrir en l'associant au mil. Par la suite, on s'est rendu compte que les industriels en ont besoin et on s'est dit qu'il faut augmenter la production. Nous le faisons avec l'accompagnement du ministre pour répondre aux besoins du marché.” La présidente a aussi salué les nombreux efforts qui ont été faits dans le sens d'améliorer la qualité, diminuer la poussière, les cailloux...
Dans ce cadre, l'ARM compte jouer un rôle important. Selon son directeur général, l'ambition est de réduire les importations au profit de la production locale. “Le maïs est une filière importante dans le secteur agricole. La réussite repose sur deux piliers essentiels : l'organisation en amont et l'information. En ce qui concerne l'organisation, c'est d'aider les producteurs à relever certains défis, notamment pour la production, mais aussi pour la qualité des produits et la commercialisation”, a relevé M. Sembène qui a annoncé une ligne de crédit pour aider les producteurs à faire face aux lenteurs dans les décaissements des industriels.
Pour rappel, lors de la campagne précédente, la production a été évaluée à 800 000 t, soit une hausse de 62 % entre 2018 et 2022. Si l'on se réfère au prix du marché, selon le représentant de l'agence belge, cela équivaut à un montant de 300 millions d'euros. “Malgré cette augmentation de la production, les importations sont restées à des niveaux élevés. Parce que les prix sont relativement plus bas. Il faut donc faire des efforts dans la productivité, pour rendre cette filière importante pour la souveraineté alimentaire, plus compétitive”, a plaidé le chef du bureau pays d’Enabel.
Les industriels prêts à faire des efforts pour accompagner la filière, mais avec un prix juste
Lors de cette rencontre, les industriels ont insisté sur la nécessité de développer une relation d'affaires durable. Le maïs, selon lui, est une matière première essentielle dans la production des provendiers. “Si vous voulez faire de l'aliment volaille, le taux d'incorporation est autour de 60 %. Si vous faites de l'aliment bétail, le taux varie entre 5 et 30 %. Tout pour dire que le maïs constitue une denrée stratégique. Si ça ne tenait qu'aux industriels, on allait se ravitailler à 100 % sur le marché local”, annonçait le représentant des meuniers Demba Claude Diop. Pour lui, l'année dernière, les industriels ont été sollicités pour 1 500 t. “Malgré le prix qui n'était pas raisonnable pour nous, nous l'avons fait par solidarité, par patriotisme. Cette année, on nous interpelle sur 5 000 t. Nous nous en réjouissons de voir que la production progresse”, a-t-il ajouté. La relation d'affaires qu'il compte bâtir, pense-t-il, suppose que chacun fasse des efforts. “Pour ce faire, il faut des revenus justes, un prix juste pour tout le monde. C'est ce qui va permettre à cette relation d'être durable. Il faut que chacun y trouve son compte. La finalité, c'est le consommateur, mais l'industriel et l'agriculteur doivent s'en sortir. C'est à ce niveau que nous interpellons l'État qui doit être à équidistance des parties” sollicite M. Diop.
Par Mor Amar
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