Le cynisme d'un bradage resté impuni
Les mines d’or de Sabodala occupent une place de choix dans le marigot des scandales orchestrés par les crocodiles du défunt régime. Retour sur un partage stratégiquement planifié au point que le Trésor public n'en tire qu'une portion misérable.
En 1983, la Société minière de Sabodala (Sms) voit le jour. C'est une société d'économie mixte créée entre l'État du Sénégal (49,4% du capital) et Serem, un établissement public de droit français (50,6%), filiale à 100% du Bureau de recherches géologiques et minières (Brgm), une multinationale de droit public français établie au Sénégal depuis 1940 et ayant emmagasiné une grande expérience dans le domaine en Afrique de l’Ouest.
Le but visé à travers la création de cette société était de mener toutes les recherches d'or sur le grand permis de MAKO au Sénégal-oriental et d’en promouvoir l’exploitation. En 1994, les recherches commencent à porter leurs fruits avec la certification d'une réserve de 20 tonnes d’or. Seulement à l’époque, les conditions économiques ne sont pas propices. En effet, le cours de l'or est alors très bas, tournant autour de 300 dollars l'once (l'once équivaut environ à 30 grammes), ce qui ne permet pas une exploitation économiquement rentable.
Le Brgm propose alors de poursuivre les recherches afin d’augmenter les réserves jusqu’à un seuil de 30 tonnes permettant d’atteindre le seuil de rentabilité avec un cours de l’or à 300 $ l’once. Ce que l’État, à travers la Direction des mines et de la géologie, refuse. Il recommande une exploitation immédiate des 20 tonnes, opération qui aurait abouti à des pertes de l’ordre de plusieurs dizaines de milliards de Francs Cfa, selon nos informations. Cette divergence de vue entre les actionnaires entraîne le blocage du projet à partir de 1997.
Newmont Mining débarque
C’est ainsi que le groupe américain Newmont Mining, deuxième producteur mondial d’or avec une capitalisation boursière de 15 milliards de dollars, entre, cette même année, dans le capital de la Sms en rachetant les parts du Brgm avec l'intention de relancer et d’exploiter l’or de Sabodala. Mais, malgré cela et «contre toute attente», le régime de Me Abdoulaye Wade décide de lancer un appel d’offres pour l'adjudication du permis de la Sms. Au passage, croit savoir EnQuête, ce permis d'exploitation n'a jamais fait l'objet d'un décret d'annulation...
Les termes de références de l'appel d'offres prévoient, entre autres dispositions, «le remboursement à l'État des coûts historiques avant l'octroi des permis aux adjudicataires et leur rémunération à un taux proposé par les repreneurs». À souligner que les coûts historiques représentent l'ensemble des études menées par la Sms sur le périmètre de Sabodala, de sa création en 1983 jusqu’en 2004. «Ces coûts appartiennent de droit à la Sms dont l'État est actionnaire à 49,4%», explique un technicien du milieu joint par EnQuête. Sous la houlette du ministre de tutelle d'alors, Me Madické Niang, le régime de Me Wade décide de se débarrasser d'une entreprise devenue encombrante et moins juteuse à ses yeux. Alors, en 2005, pour l'exploitation des réserves d'or prouvées par la Sms, le gouvernement attribue le permis détenu régulièrement par cette même Sms à Mineral Deposit Ldt (Mdl), «une junior sans aucune expérience minière réussie avant 2004». En même temps ou presque, il confie à Oromin l'exploration sur un périmètre plus large.
Pour la rémunération des coûts historiques, Mdl propose un barème de 6% alors que Oromin offre 3%. C’est ainsi le conseil d’administration de la Sms, en date du 12 janvier 2005, enjoint à son directeur général de procéder à l’actualisation de ses études et de maintenir la Sms en activités jusqu’à total recouvrement des coûts historiques. Ceux-ci sont d'un «montant nominal de 3 milliards de francs Cfa», somme dépensée entre 1983 et 2004 mais actualisée au 31 décembre 2004 à plus de 18 milliards de Fcfa, exigibles à la signature des nouveaux permis octroyés à Mdl et Oromin en février 2005.
MDL et OROMIN préférées à la SMS, le choix de Madické Niang
Pour les responsables de la Sms, cette somme devait être payée par les repreneurs avant l'octroi des permis à Mdl et Oromin intervenu en février 2005 conformément aux termes de références de l'appel d'offres. Mais coup de théâtre ! Contre toute attente, et selon des documents divers détenus par EnQuête, c'est le ministre Madické Niang qui ordonne unilatéralement la dissolution anticipée de la Sms, allant à l'encontre de la décision du conseil d’administration du 12 janvier 2005. En avril 2005, Me Niang demande à l’inspection technique de son ministère d’effectuer une mission à la Sms à l’effet de faire l’inventaire physique et l’évaluation financière des coûts historiques, sans qu'y soient associés les services compétents du ministère de l’Économie et des Finances en matière d’évaluation financière et du portefeuille de l’État. Les inspecteurs du ministère des Mines rejettent arbitrairement l’actualisation prévue par les termes de référence du dossier d’appel d’offres et reconnaissent «que l’État et son partenaire ont involontairement renoncé à la somme de 837.323.304 F.Cfa» sur la valeur nominale des coûts historiques revendiqués par la Sms.
Le directeur général de la Sms proteste, à travers une correspondance envoyée au ministre, en soutenant que la Société minière de Sabodala est une société anonyme d'économie mixte avec deux actionnaires quasiment à égalité de parts. Pour ses administrateurs, elle ne peut donc être dissoute par la seule volonté de l'actionnaire étatique. Mais apparemment très furieux contre les propos du DG de Sms, Madické Niang l’accuse de mener un «bras de fer» avec l’État. Sur ce, il suspend toute contribution à la Société minière de Sabodala, avec «intention manifeste» de la liquider de fait.
Quand Latif Coulibaly confond Madické Niang
Dans des articles publiés dans le magazine La Gazette (n°13 et 70), le journaliste Abdou Latif Coulibaly accuse ouvertement Madické Niang d’avoir délibérément favorisé ses anciens clients, dans l’attribution des permis à Mdl et Oromin. En effet, il y rappelle que deux des principaux actionnaires de Mdl, en 2004, étaient de hauts responsables de Pajet Mining, une société qui était incapable de racheter les parts du Brgm à 2,5 milliards FCfa en 1996 et dont Me Madické NIANG était l’avocat. Selon notre ex-confrère, le ministre Madické Niang a favorisé et appuyé ses anciens clients dans l’adjudication de l’appel d’offres au détriment de la Sms et donc de l'État du Sénégal. Et jusqu'à aujourd'hui, aucun démenti ne semble être venu pour remettre en cause cette posture.
Pour des familiers du dossier Sms, il y a aujourd'hui «un manque de volonté politique» pour faire la lumière sur ce scandale du régime sortant. Des techniciens interrogés ont soutenu que l’actualisation des coûts historiques est légitime et possible du fait des sommes «faramineuses» engrangées par Mdl. Mais également du fait des exonérations accordées à cette société qui ne supporterait quasiment aucune taxe sur cette exploitation, ce qui a entraîné un manque à gagner de plus de 400 milliards de francs Cfa pour le Trésor public.
MDL récolte plus de 1250 milliards contre 1,3 milliard pour le Sénégal, selon la Commission de révision des conventions minières.
Avec la mort programmée de la Société minière de Sabodala, la société Mdl s’est érigée en seigneur de l’exploitation aurifère au Sénégal avant de se recentrer, en novembre 2011, sur l'exploitation du zircon et d'abandonner l'exploitation de l'or à Oromin. Avec le cours actuel de l'or qui s'élève à 1723,8 dollars l'once (environ 861 500 FCfa), l'exploitation de 50 tonnes d'or par Mdl génère une forte manne financière pour cette entreprise privée. Les enjeux de bénéfices sont estimés à plus de 1200 milliards de FCfa. Le comble dans cette affaire, relève un observateur, c’est que l’État du Sénégal n’engrange quasiment rien des ces retombées après avoir mené, au sein de la Sms, et pendant 20 ans (1983 à 2004), les recherches ayant abouti à une exploitation bénéfique.
En plus de cela, Mdl s’est fait attribuer, à travers sa filiale Sgo, les sables titanifères (le zircon) où elle a effectué un investissement, dit-on de sources dignes de foi, d'environ 275 milliards FCfa. Une somme payée cash et qui a été générée par l’or même de Sabodala. Plusieurs autorités du régime sortant seraient impliquées dans cette affaire qui s’est déroulée en novembre 2011. C’était à trois mois de la présidentielle de 2012.
2,5 milliards dans les comptes de la Sms en février
C'est seulement en février de cette année 2013 que la Société minière de Sabodala a pu percevoir, au titre des fameux coûts historiques dus par Mdl, la somme de 2,5 milliards qui était exigible depuis février 2005. Sur ce même dossier, il convient de rappeler que Oromin avait versé, en novembre 2006, un premier acompte de 41.560.000 F.Cfa et un second versement de 205 millions en décembre 2011.
Mais pour le conseil d'administration de Sms, le montant total des sommes perçues par la société, soit 2,750 milliards FCfa, huit ans après leur date d’exigibilité (Ndlr : février 2005), «ne couvre même pas le montant nominal des études figurant au bilan de la Sms au 31 décembre 2005.» Mais pour le conseil d'administration, le montant exigible des coûts historiques réévalué est de 18 milliards de francs Cfa. |
AMADOU NDIAYE
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