Non, Ioulia Timochenko n'est pas Jeanne d'Arc
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En Ukraine, la passionaria de la révolution orange de 2004 est de retour sur la place Maïdan. Libérée de prison, Timochenko appelle les manifestants à ne pas quitter la rue jusqu’aux prochaines élections présidentielles. Même si elle a dans son bureau la statue de la sainte, Timochenko n’est pas Jeanne d’Arc. Et les Ukrainiens le savent mieux que personne.
es tresses blondes enroulées comme les belles Ukrainiennes du XVIII ème siècle. Un visage pur et le goût de la harangue. Evidemment, Timochenko a vite inspiré les éditorialistes et la tentation de voir dans cette femme une Jeanne d’arc ukrainienne était trop forte pour ne pas y céder. Mais Timochenko est tout sauf une idéaliste.
C’est une femme de pouvoir, de tous les pouvoirs, prête pour cela à tous les sacrifices. À l’indépendance de l’Ukraine en 1991, Timochenko est une des premières à comprendre que la fortune est à portée de la main, et que le gaz peut se transformer en or plus rapidement que partout ailleurs.
Le pouvoir est à prendre et Timoshenko veut la plus grande part possible
Elle crée avec son mari une société d’hydrocarbure qui va rapidement devenir incontournable. Elle est amie et associée avec le ministre de l’énergie du président Koutchma qui va lui donner des marchés énergétiques juteux. La fortune de Timochenko est faite. Mais plutôt que d’avoir un ami, mieux vaut encore être le donneur d’ordre.
En décembre 1999, Timochenko est Vice-Premier ministre en charge des secteurs énergétiques. Sa société, toujours aussi florissante, est gérée par son beau-père, devenu un utile comme prête nom. On l’appelle alors en Ukraine "Madame Gaz". Elle est une oligarque, plus raffinée que ses homologues masculins. Mais tout aussi déterminée.
Le pouvoir est à prendre en Ukraine. Timochenko en veut une part. La plus grande possible. En 2004, elle incarne avec Iouchtchenko, l’homme au visage abimé par une tentative d’empoisonnement, une autre Ukraine. Plus européenne dit-on, plus libérale surtout. La voilà Premier ministre une première fois, puis une deuxième. Les élections se succèdent, elle en gagne, elle en perd, dans un pays où l’alternance entre les libéraux et les pro-russes (le parti des régions) fonctionne, signe que ce pays n’est pas la dictature que l’on peut décrire parfois.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la révolution de Maïdan aujourd’hui est la revanche de la revanche de 2004. Un bras de fer entre des dirigeants politiques qui dure depuis 10 ans. Ce sont les mêmes qui s’affrontent. Et le mea culpa de Timochenko à sa libération n’est pas un hasard. Elle sait qu’elle a beaucoup déçue et qu’elle devra convaincre son propre camp si elle veut devenir présidente.
Elle sait aussi que les nationalistes ultras sont en progression. La révolution de Maïdan ne porte pas au pouvoir une vague nouvelle pleine d’espoir de liberté et de démocrates convaincus. Il y a parmi les opposants, comme à Lviv, des partis d’extrême droite que l’on mettrait en France loin à la droite du Front national.
Timochenko devra composer avec eux parce qu’ils sont aussi le visage de cette révolution. Elle sait aussi que l’Ukraine ne peut pas se permettre d’être l’ennemi de Moscou, et que si les États-Unis et les Européens ont engagé un bras de fer avec Poutine, personne ne peut dire jusqu’où ils sont prêts à aller dans le face à face avec Moscou, qui ne laissera pas ce pays échapper à son influence comme cela.