La Chine a déjà tourné la page
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Au nom des relations sino-africaines, une conférence internationale dans le cadre de la lutte contre la Covid-19 a été organisée, il y a peu. Elle n’a fait nullement cas des violences qu’ont subi des Africains, ces derniers jours en Chine. Le document qui en découle parle plutôt d’une politisation de la pandémie et d’une stigmatisation organisée contre le pays.
Après l’épisode des vidéos devenues virales, mettant en exergue des Africains malmenés par des services chinois, place à l’apaisement. Le 17 avril dernier, 60 chercheurs de la Chine et de 14 pays africains (Nigeria, Burkina Faso, Afrique du Sud, Egypte, Kenya, Mali, Tanzanie, Somalie, Madagascar, Ethiopie, Soudan du Sud, Zambie, Cameroun et Tunisie) se sont réunis en vidéoconférence pour améliorer le pouvoir de gestion de la pandémie. En d’autres termes, l’Empire du milieu entend construire une communauté de ‘’destin partagé’’ avec l’Afrique. Une rencontre placée sous le sceau de ‘’l’amitié’’ qui a donné naissance à un ensemble de propositions rendues publiques mardi dernier.
Scientifiques africains et chinois demandent à leurs compatriotes de ‘’rester attachés à la coopération internationale et à la coopération multilatérale dans les efforts pour lutter contre la Covid-19. D’éviter de politiser la question, d'alimenter la stigmatisation et de créer de la partialité et des préjugés en adoptant des principes moraux universellement acceptés, de renforcer la coopération entre l'Afrique et la Chine dans les soins médicaux et de santé, notamment en apportant un soutien aux centres africains de contrôle et de prévention des maladies, pour leur permettre de renforcer les infrastructures et les systèmes de santé du continent, dans leurs réponses nationales respectives et dans l'effort continental’’.
Ce n’est pas tout. Ces derniers plaident pour un renforcement de ‘’la collaboration de recherche conjointe entre l'Afrique et la Chine sur les problèmes critiques qui émergent, pour freiner la propagation de la Covid-19, y compris la sécurité de la santé publique et la lutte contre les maladies, ainsi que la préparation aux crises et la capacité de gouvernance ; la communication et la coopération entre les institutions de recherche africaines et chinoises, les think tanks et les médias pour apporter un soutien intellectuel à la lutte contre la Covid-19, avec cette conférence comme exemple’’.
Cette batterie de mesures hautement salutaires n’aurait rien d’extraordinaire, si elle n’intervenait pas après ces actes discriminatoires (à la limite racistes) totalement réfutés par le gouvernement chinois, dont ont été victimes plusieurs Africains établis en Chine. Ces experts n’auraient-ils pas oublié un détail ? Même si on perçoit nettement l’effort de réparation dans le discours rendu public.
Quand on se trompe de combat
Sans vouloir s’écarter de l’essentiel (la lutte contre le virus), il n’est pas inutile de rappeler qu’il y a à peine quelques jours, des Noirs ont subi des maltraitances, beaucoup ont été expulsés de leur domicile, au point de dormir dans les rues pendant des jours. Et cela en pleine crise sanitaire. Tout ce remue-ménage serait parti de l’augmentation des cas importés, en plus, par la suite, de la fuite de deux Nigérians testés positifs. La victoire sur l’ennemi commun invisible passe visiblement par la traque aux Noirs, si l’on se réfère au déroulement des événements ces derniers jours à Guangzhou.
‘’Je connais des gens de mon église qui sont blancs et des non Africains, qui ne traversent pas ce que nous traversons. Les hôtels de quarantaine sont comme la détention forcée pour les Noirs’’, témoignait une étudiante sierra-léonaise dans un récent article de BBC. Un autre, homme d’affaires nigérian en quarantaine, y affirme : ‘’C’est la police qui m’a fait sortir de mon appartement et m’a mis à la rue. Je n’ai aucun problème avec mon propriétaire. Il ne savait même pas que j’avais été expulsé. Mes enfants ont dormi dans la rue pendant de nombreux jours.’’
Jeudi dernier, la mission du Ghana en Chine, dirigée par l’ambassadeur Edward Boateng, a affirmé avoir eu une entrevue avec les autorités chinoises qui se seraient excusées quant à l’affaire de maltraitance des immigrés africains dont des Ghanéens. L’ambassadeur demandait que ces derniers ne se fassent pas justice. Toutefois, en ce qui concerne les expulsions, le gouvernement chinois se dédouane. Selon le diplomate, ce sont plutôt les propriétaires des maisons qui délogeaient les occupants, car craignant des sanctions de la part des officiels, pour le fait d’avoir logé ‘’des personnes sans statut juridique’’. Une version, d’après lui, émanant des autorités chinoises. Vrai ou faux, la question de savoir pourquoi précisément le choix de cette période parait légitime.
En outre, le groupe des ambassadeurs africains à Pékin a exigé, le 10 avril, dans une lettre ouverte, la cessation des tests forcés, de la quarantaine et des autres traitements inhumains infligés aux Africains de la province de Guangdong en particulier et de l’ensemble de la Chine. Il a également exigé que les Africains soient traités de la même manière que les Chinois et les autres ressortissants. L’Union africaine n’est pas restée en marge de la dénonciation. Hier encore, un étudiant guinéen témoignait dans les colonnes d’Euronews. “Votre patron ou votre propriétaire vous appellent pour vous dire qu’après ce contrat, ils ne pourront plus vous en donner aucun autre et que vous devrez quitter la maison. Vous leur demandez pourquoi ? Et ils vous répondent que c’est le gouvernement qui leur met la pression pour ne pas laisser les Noirs vivre dans leurs maisons”.
Selon lui, les Africains sont toujours traités différemment, même ceux portant une attestation de dépistage négatif fournie par les autorités locales. “Le problème n’est pas l’attestation, ce sont les mentalités. Parce que quand vous sortez, avant de voir l’attestation, quand quelqu’un vous voit, il vous fuit“, a-t-il ajouté.
Personne n’ose imaginer à quoi ressembleraient les choses, si les données étaient inversées. L’Afrique ne mérite peut-être pas des excuses publiques, autrement dit, ce serait le cas depuis belle lurette. A la place, la Chine appelle à ‘’une coopération et une solidarité internationales renforcées, et à une nouvelle économie morale qui met les peuples et leur bien-être au centre’’. L'assistance mutuelle offerte par l'Afrique et la Chine, pendant de nombreuses décennies, à travers les bons et les mauvais moments, poursuit-elle, a ‘’toujours été une marque de fabrique de coopération et de solidarité entre l'Afrique et la Chine. Cette amitié et ce lien sont profondément enracinés dans le cœur des peuples africains et chinois, et ils grandissent en travaillant ensemble pour lutter contre la Covid-19. Nous pensons qu'un ami dans le besoin est vraiment un ami’’.
Tout sauf des excuses
La lutte contre le coronavirus prime certes, la coopération entre pays et le partage d’expériences sont également primordiaux, mais les règles du jeu n’excluent cependant pas le respect réciproque. Au lieu d’argumenter autour de la fragilité des systèmes politiques, économiques et sociaux repliés sur eux-mêmes et isolés, mise à nue par la pandémie (chose connue de tous), la deuxième puissance mondiale aurait pu rectifier le tir en reconnaissant ses erreurs. Mais non, le choix est tout autre. Dans le document conjoint issu de la rencontre des experts de la santé, on demande de resserrer les rangs.
‘’En cette période cruciale, les Africains et les Chinois, plus qu'à tout autre moment de l'histoire récente, doivent compter sur la confiance, la compréhension et le soutien mutuels pour lutter contre le Covid-19 et pour construire une communauté d’avenir partagé pour l'humanité. C'est dans ce contexte que l'Afrique et la Chine s'engagent à mener conjointement la bataille contre la Covid-19, qui représente une menace croissante et sérieuse pour le bien-être politique, économique et social de l'Afrique et de la Chine, ainsi que pour la communauté internationale dans son ensemble’’.
Un bien beau discours qui, s’il se traduit en actes, serait salutaire. Les participants vont plus loin, en ajoutant que ‘’les facteurs de richesse, de pauvreté, de nationalité, de race et de classe n'ont plus de sens, car les infections continuent de croître dans les pays développés comme dans les pays en développement. Nous rejetons l'approche négative qui prévaut dans certains pays et régions pour politiser la lutte contre la Covid-19 et, ce faisant, alimenter la stigmatisation et les préjugés contre la Chine dont le peuple a beaucoup souffert pendant la crise du virus. Les entreprises privées chinoises tendent également de plus en plus la main à l'Afrique pour lutter contre la Covid-19’’.
Par ailleurs, tout comme lors de l’apparition de l’épidémie à Ebola, la Chine rappelle qu’elle a soutenu le continent depuis le début de la Covid-19. On aurait aussi pu lui rappeler le tollé autour de la filière arachide ou même l’exploitation illégale et abusive du bois à la frontière sénégalo-gambienne.
Cependant, le peut-on vraiment, quand on sait qu’elle bénéficie de l’aval de certains hommes d’Etat. Bref, ce chapitre n’est pas à l’ordre du jour. La Chine insiste également sur la sympathie et les dons reçus des pays africains, dès les premières heures de l’apparition du virus. Un acte qui reflète, selon ses autorités, ‘’la profondeur et la force des relations d’amitié entre la Chine et l’Afrique’’.
Sauf que d’après une célèbre citation de De Gaulle, ‘’les pays n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts’’. Et dans ce qui est appelé coopération dans les relations internationales, l’Afrique est bien souvent en position de faiblesse, puisqu’elle ne cesse de tendre la main. Si aujourd’hui, le pays dit ‘’ami’’ en vient à poser des actes qui frisent le racisme, c’est sans aucun doute, parce que le rapport de force penche en sa faveur. Un célèbre proverbe ivoirien dit ceci : ‘’Avant de boire à ton eau, le chien regarde d’abord ton visage.’’
Que les analyses fusent ! On parle déjà d’un nouvel ordre mondial après la Covid-19, parce qu’il s’en est passé des choses. Mais à quelle place se retrouvera l’Afrique dans l’après Covid-19 ? ‘’Coopération’’, ‘’solidarité’’ riment-elles avec manque de respect ou encore discrimination ? Une chose est sûre : c’est une perte de temps et d’énergie que de se tromper de cible dans une lutte dont on ignore la fin et pis encore, dans laquelle on ne maîtrise pas toutes les facettes de l’ennemi qui, de surcroit, est invisible.
EMMANUELLA MARAME FAYE