Publié le 19 Apr 2013 - 02:42
GOUVERNANCE DU PAYS

 Vous faites fausse route, M. Le Président de la République

Monsieur le Président de la République,

Nous avons applaudi vos actions allant dans le sens de la moralisation de la vie politique et de l’administration sénégalaise, avec notamment le travail abattu par la CREI. Nous avons opiné quand vous avez décidé de réduire la taille du gouvernement et le nombre des agences de l’Etat. Nous avons salué votre promesse ferme de réduire la durée de votre mandat de 7 à 5 ans. Permettez-nous alors, Monsieur le Président de la République, de marquer notre désaccord quand vous empruntez des sentiers qui jurent d'avec votre profession de foi consistant à «gouverner de façon sobre et vertueuse».

 

Monsieur le Président de la République, afin d’être concrets, courts et concis, nous nous limiterons à 4 exemples :

 

1- La mise en place du Conseil économique social et environnemental

 

Au delà de notre tropisme qui nous pousse de manière maladive à copier frénétiquement tout ce qui se fait en France, jusque dans le nom donné à chacune de nos institutions (si demain la France rajoutait le vocable «culturel», nous n’hésiterions pas à en faire de même !), c’est la pertinence même de la création de cette nouvelle institution qui est problématique. L’Etat du Sénégal ne fonctionne t-il pas depuis votre accession au pouvoir sans ce fameux CESE et ses 120 membres ? C’est bien la preuve que nous pouvons nous en passer. Sans gouvernement et sans Assemblé nationale, le pays aurait été paralysé. Vous conviendrez avec moi que ce n’est pas le cas de ce fameux Conseil. A moins que ce soit là une superbe occasion pour placer, comme l’avait fait votre prédécesseur, une clientèle politique avide de postes et de prébendes.

 

S’il y a un point qui interpelle particulièrement, c’est celui relatif au 2ème groupe, composé de 32 membres nommés librement par vous-même en raison de leur expérience et de leurs compétences en matière économique, sociale et environnementale, autrement dit du fait de leur expertise. Vous me pardonnerez, Monsieur le Président de la République, mais la lecture de certains noms figurant sur cette liste prête à sourire. Comme disait l’autre, ce choix «se situe dans une tradition prétorienne, royale et napoléonienne» et exprime la sagesse du Roi. Nous croyions, Excellence, que ces pratiques allaient être bannies de votre magistère.

 

2- L’Agence de la sécurité nationale.

 

Monsieur le Président de la République, nous comprenons votre volonté de tenir votre promesse de création d’emploi à une échelle exceptionnelle. Après avoir parlé de 500.000 emplois, vous avez finalement réduit vos ambitions à 300.000. L’atteinte de cet objectif serait une prouesse extraordinaire, et tous les Sénégalais vous en seraient éternellement reconnaissants. Cependant, Excellence, l’horloge qui tourne ne devrait pas vous faire prendre des mesures hâtives pour ne pas dire dangereuses. Nous pensons modestement que recruter 10.000 personnes dans une «agence de la sécurité nationale» est une fausse bonne idée. Pourquoi créer une agence en charge de la sécurité des citoyens alors que le Sénégal dispose de forces de défense et de sécurité éprouvées et qui ne demandent qu’à être renforcées en moyens humains, techniques et financiers ? Quelle logique sous-tend cette fausse bonne idée ? Pourquoi ces 10.000 jeunes ne peuvent-ils pas être intégrés dans la police et la gendarmerie ? Soit ils sont aptes à renforcer les forces de sécurité et de défense existantes et ils doivent rejoindre ces deux corps, soit ils ne le sont pas et dans ce cas, leur confier une mission de sécurité et des armes (pistolets, matraques, gourdins…) serait tout simplement dangereux pour notre sécurité qu’ils sont censés assurer.

 

3- Le népotisme galopant dans l’appareil d’Etat.

 

Excellence, la presse sénégalaise ne cesse de faire état des nominations successives de plusieurs membres de votre famille biologique, de celle de votre épouse, la Première Dame du Sénégal, de celle de votre homonyme feu Macky Gassama, ou encore de celle de la présidente du Conseil économique, social et environnemental, Madame Aminata Tall.

 

Monsieur le Président, vous et vos militants avez fermement ancré dans la conscience des Sénégalais que nous sommes, un slogan noble : «la patrie avant le parti». Vous auriez du ajouter «la patrie avant la famille». L’idée n’est pas de dire que personne dans votre entourage familial ou de celui de vos alliés ou militants qui en a les compétences ne doit être nommé à une responsabilité publique. Non, la clameur naît du profil des bienheureux au regard des postes attribués. N’oubliez pas, Monsieur le Président de la République, que votre devoir est de mener ce pays vers l’émergence, en étant sobre et vertueux, et non pas de contenter les appétits de certains. Qui trop embrasse, mal étreint. Vous nous aviez promis le Yoonu Yokuté, pas le Yoonu Cedoo.

 

4- La faute protocolaire commise lors de la remise du prix Kéba Mbaye à Me Robert Badinter.

 

Enfin Monsieur le Président de la République, j’aimerai finir en attirant votre attention sur un impair assez grave. La Fondation Kéba Mbaye, qui est libre de décerner son prix pour l’éthique et la solidarité à la personne de son choix, a décidé de primer Robert Badinter, comme si aucun Africain n’avait mérité au cours de l’année écoulée d’être distingué par la Fondation. Déjà peu primés au niveau international et même lorsqu’ils sont distributeurs de médailles, les Africains préfèrent ainsi ignorer les candidats sérieux qui ne manquent ni au Sénégal (Mamadou Lamine Loum, Amadou Moctar Mbow…) ni en Afrique (le philanthrope soudanais Mo Ibrahim, le grand imam égyptien de l'université Al-Azhar Ahmed al-Tayeb, le Ghanéen et ancien secrétaire général de l'ONU Kofi Annan, la Gambienne et procureure de la Cour pénale internationale Fatou Bensouda…).

 

Au-delà de ce choix qui relève de la seule discrétion de la Fondation, c’est votre présence ainsi que celle de l’ensemble de la République à cette cérémonie à laquelle le principal intéressé n’a pas même daigné se déplacer, qui pose problème. Le fait qu’il soit malade au point de ne pouvoir venir à Dakar aurait dû vous dispenser du déplacement. Avons-nous une aussi piètre estime de nous-mêmes pour estimer que le pays dans son ensemble devait être mobilisé au grand théâtre pour célébrer un homme qui a préféré s’adresser à nous par ordinateur interposé ? En espérant que ce cri du cœur sera entendu, je vous prie, Monsieur le Président de la République, de recevoir nos respectueuses salutations.

 

Abdou Khadre LÔ

Directeur Général

Primum Africa Consulting

 

 

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