Publié le 29 Nov 2013 - 20:15
ABDEL KADER NDIAYE (MOUVEMENT ANDANDO DEFAR NDAR

 «Le pays souffre de la prédominance du politique sur l’économique»

 

Membre de l'Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) et leader du mouvement «Andando defar Ndar), Abdel Kader Ndiaye porte son regard sur les événements épars qui font l'actualité nationale : de l'acte 3 de la décentralisation à la gestion de la ville de Saint-Louis en passant par les orientations, promesses et faiblesses des politiques actuelles au niveau national.

 

Un des points d'actualité, c'est l’acte 3 de la décentralisation. Faut-il reporter les élections locales ?

L’acte 3 de la décentralisation dans ses grandes orientations a de nobles objectifs qui vont rassembler les communes autour des projets de territoire transformés en pôles de développement. Si la réforme est bien menée, ce sera une révolution au Sénégal voire en Afrique, mais sa réussite passe par son appropriation par les populations et leur implication effective pour éviter d’en faire exclusivement une réforme de technocrates. En outre, nous avons une autre inquiétude, que l’aspect financier et la mobilisation de ressources soient relégués au second plan, sachant que ces facteurs ont toujours été le point faible de la décentralisation. Enfin, l’ampleur de ces réformes demande du temps et nous ne croyons pas que le décalage des élections sera suffisant à leur déploiement. Et nous nous opposons déjà à un 2e report ou «un 2e décalage» de date. Le calendrier électoral doit être respecté pour éviter une répétition des mauvaises pratiques du passé.

Les politiques actuelles vous semblent-elles bonnes ?

Le chômage endémique des jeunes, la dégradation continue du pouvoir d’achat des travailleurs, les inondations récurrentes, les délestages cycliques, etc., traduisent avec éloquence l’inefficacité des politiques publiques, qui sont imputables à tous les régimes qui se sont succédé. L’heure est venue pour que les gouvernants se penchent sérieusement sur ces questions en proposant des politiques viables car les données sont têtues.

Que voulez-vous dire par là ?

A titre d’illustration, le candidat Macky Sall, entre les deux tours de la présidentielle 2012, avait promis la création de 500 000 emplois, soit une moyenne de 100 000 emplois par an. Sans douter de sa bonne foi, vouloir atteindre un tel objectif, dans le contexte économique du Sénégal, relève d’une chimère. Si l’on veut pourvoir correctement notre économie en emplois, il faut mettre le secteur privé en orbite car c’est lui qui détient le potentiel de création de richesses et de génération d’emplois, dans les conditions d’une économie bien régulée par l’Etat. L’étude sur la situation économique et sociale révèle que 63% des sénégalais ont moins de 25 ans et 71% ont moins de 30 ans. Aujourd’hui, c’est la jeunesse qui est en train d’être sacrifiée, mais à terme, ces frustrations cumulées risquent d’être une menace pour la sécurité et la stabilité sociale de nos sociétés en devenir. Quant à la demande sociale en général, elle est forte et n’arrive pas à être satisfaite car nos économies ne génèrent pas suffisamment de croissance (taux moyen entre 3,5% à 5%) face à des taux d’accroissement naturel de l’ordre de 3% (ou plus) sans compter l’inflation entre 3 et 6%.

La DPG du Premier ministre vous a-t-elle convaincu ?

D’emblée, nous ne pouvons qu’attirer l’attention du PM sur l’écoulement du temps. En effet, la 2e alternance va dans quelques mois célébrer ses deux années d’exercice du pouvoir et que le mandat du président de la République a été réduit de 7 à 5 ans. Il ne reste donc pas beaucoup de temps à la majorité présidentielle alors qu'il y a énormément d’urgences. Dans ce contexte, il va falloir redoubler d’ardeur et d’efforts si l’on veut respecter et satisfaire les nombreuses promesses électorales. Il est évident que la situation socio-économique du pays est difficile, caractérisée par la prédominance politique sur l’économie. Mais il est clair aussi que le Premier ministre a fait une bonne prestation, modérée, qui décline clairement la vision du président de la République et définit les axes stratégiques pour la réaliser. Ces projets ont été clairement exposés dans sa feuille de route. (...) La démarche est claire et bonne, nous attendons sa mise en œuvre pour mesurer les résultats à l’échéance 2017 tout en demandant au gouvernement de laisser plus de place à l’économie en faisant moins de politique, s’il l’on veut trouver des solutions viables aux nombreux problèmes sociaux.

Vous êtes membres de l'Armp. Quel appréciation faites-vous du système de passation des marchés ?

Beaucoup de progrès ont été notés chez bon nombre des autorités contractantes mais il y a encore du chemin à faire. La culture de la bonne gouvernance s’installe peu à peu, cependant il y a lieu de relever des faits marquants comme la non soumission des institutions parlementaires aux procédures de passation de marchés publics depuis la mise en œuvre de la réforme de 2008. En effet, c’est l’Assemblée nationale qui vote toutes les lois relatives à la bonne gouvernance, mais elle refuse de se soumettre à la transparence. A ce sujet, par respect pour l’intelligence des citoyens, que les autorités législatives ne nous parlent pas de séparation des pouvoirs ou de l’article 48 du règlement intérieur de l’institution. Il s’agit ici de la gestion des deniers publics et de reddition des comptes à la communauté nationale, exercice auquel se sont employés tous les autres pouvoirs de la nation, à l’exception des institutions parlementaires. Il est devenu opportun de poser le débat au niveau national car notre démocratie est interpellée sur le délai de passation très long, de l’ordre de 120 jours (quatre mois), les pratiques de collusion, le fractionnement des commandes, la passation des ententes directes (gré à gré) sans autorisation...

A Saint-Louis, quel bilan tirez-vous de la gestion de Bamba Dièye ?

Nous ne sommes pas satisfaits de la gestion du maire actuel et nous avons eu à le dire à plusieurs occasions. Je n’ai pas besoin de vous faire de dessin, l’état actuel des lieux de la ville de Saint-Louis suffit à le montrer. Saint-Louis est sale. Nous déplorons que les déchets accueillent nos visiteurs. La ville connaît de gros problèmes de ramassage des ordures et les décharges sauvages font légion.

Et la candidature de Me Alioune Badara Cissé. Que vous inspire-t-elle ?

«Jakka jaa ngi nii, ku mën na nodd» (NDLR : que ceux qui veulent s'engager s'engagent). Je n’ai pas d’autres commentaires, c’est son droit le plus absolu. De plus, c’est mon grand frère et je le salue au passage.

En tant que leader du mouvement «Andando Defar Ndar», quelle lecture faites-vous de la situation dans la coalition BBY ?

Au vu des événements de la semaine dernière, nous pouvons affirmer que l’unité, la cohésion et l’engagement militant ne sont plus au rendez-vous, encore moins la solidarité et la discipline de groupe. Le drame est que c’est la majorité en cacophonie qui nous gouverne et gère notre État ! Cela nous laisse perplexe au moment où le président de la République est sur le point d’engager des réformes importantes pour notre pays qui vont certainement exiger un très large consensus et une grande solidarité. Au vu de cette crise politique qui secoue la majorité, nous ne pouvons pas croire à leur promesse d’espoir et nous ne pouvons qu’affirmer que cette coalition n’a pas d’avenir politique.

FARA SYLLA

 

Section: