L’amour vache
Entre les patronnes et leurs domestiques, c’est souvent tendu et difficile. Les secondes se sentent marginalisées, stigmatisées et se disent souvent maltraitées. Elles demandent plus de considération dans leurs lieux de travail. Les premières ne demandent que des employées correctes qui font bien le travail, sans s’immiscer dans leur vie intime. Reportage.
Non loin du rond-point Liberté 6, se tiennent des jeunes filles à l’allure juvénile. Parmi elles, il y en a qui cherchent un travail de domestique. Elles viennent de plusieurs localités du Sénégal. Pour l’essentiel, elles sont issues des familles démunies. Les autres sont venues rendre visite aux premières citées et travaillent déjà. Dans la capitale, elles tentent tant bien que mal de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs parents laissés au village. D’aucunes ont déjà obtenu du travail dans des foyers de la capitale. Elles se montrent très disertes, lorsqu’on les interroge sur leurs rapports avec leurs anciennes et nouvelles patronnes.
Le tableau qu’elles dépeignent est loin d’être réjouissant. C’est le cas de Mame Ndao dite Ndèye Guèye. La jeune fille ne porte pas de gants pour tirer à boulets rouges sur certains employeurs. ‘’Les patronnes sont tellement méchantes qu’elles pensent que nous sommes nées pour être des esclaves’’, lâche-t-elle avec amertume. Ndèye pointe leur manque de compassion. Ces dernières, ajoute-t-elle, ‘’souhaitent que l’on s’habille comme des va-nu-pieds, par peur de perdre leurs maris’’. Fortement marquée par les expériences qu’elle a vécues, elle invite les maitresses de maison à avoir plus d’égard pour leurs employées. Car, dit-elle, les 40 000 voire 50 000 FCFA qu’elles leur versent à la fin du mois ne leur donne pas le droit de faire d’elles des esclaves prêtes à accepter toutes les brimades.
Des conditions inhumaines
A peine arrivée, Ndèye Maguette Sarr s’approprie le débat. ‘’J’ai été virée en pleine nuit avec mes bagages et j’ai marché de Amitié 3 aux Parcelles Assainies’’, lance-t-elle tout de go. Chez ces filles, il y a une certaine peur de perdre son emploi. De ce fait, elles acceptent de travailler dans des conditions très pénibles. ‘’Aux heures du déjeuner, on nous sert à manger dans des bols en plastique, comme si, on donne de l’aumône à des talibés’’, fulminent-elles. Parmi le groupe, une jeune dame habillée en camisole, venue de la banlieue, confie : ‘’J’ai travaillé pour un monsieur très connu dans ce pays et si je dis son nom vous n’allez pas me croire. C’est cette même personne qui exigeait qu’on me donne les restes de nourriture pour mon déjeuner et le diner’’.
D’aucunes déclarent qu’il leur est arrivé de dormir sous des escaliers ou dans des cuisines. ‘’J’ai accepté ces conditions, parce que je n’ai pas le choix. C’est avec ce travail que je me nourris et que je nourris ma famille’’, ajoute l’une d’entre elles.
Des patronnes jalouses
Il ressort des propos que les patronnes se méfient des jeunes domestiques belles voire coquettes. Elles préfèrent de loin prendre des petites filles ou les demoiselles quelconques ou laides. La jeune Ndèye Astou, très mignonne et timide, en sait quelque chose. Elle a quitté son Touba natal pour gagner sa vie à Dakar. ‘’A Sacré-Cœur, je travaillais pour une dame qui ne s’occupait pas de son mari. Je faisais presque tout à sa place’’, dit-elle. Ndèye Astou ajoute que sa patronne, emportée par la jalousie, exigeait qu’elle porte les mêmes vêtements de travail, après avoir pris son bain. ‘’Finalement, elle m’a demandé d’arrêter le travail, de peur que son mari tombe amoureux de moi’’, se désole-t-elle.
Les époux au banc des accusés
Dans leurs lieux de travail, ces filles disent accepter de dures conditions, tant cela reste acceptable. Souvent leurs plus grands ennemis, ce sont les époux de leurs patronnes. Sous l’anonymat, cette domestique de teint clair, au beau sourire, raconte que son patron profitait de l’absence de sa femme pour lui faire des avances. Mais, pas que cela. Il prenait un malin plaisir à lui toucher les seins et les fesses, tout en lui lançant des propos indécents : ‘’Quand je te vois, j’ai du mal à te résister’’. A en croire la jeune fille, il lui proposait des sommes d’argent pour avoir ses faveurs. Mais, elle a toujours catégoriquement refusé ses avances. C’est pourquoi, il est passé à la vitesse supérieure. ‘’Le mari de ma patronne a tenté de me violer, en plein jour’’, dit-elle, avant de souligner qu’elle a finalement présenté sa démission, sans raconter à sa patronne les agissements de son époux.
Après ce témoignage, les autres reconnaissent que, souvent, ce sont les époux de leurs patronnes qui sont injustes et infidèles. Tout ce que ces domestiques réclament, c’est le respect et la considération qui leur sont dus. Mame Ndao se rappelle d’une accusation de vol dont elle a été victime. ‘’Un jour ma patronne a fait exprès de laisser 100 000 FCFA sur sa table de chevet. A son retour, elle dit que 10 000 FCFA ont été pris. Elle m’a traitée de voleuse et en même temps de tous les noms d’oiseau’’. Mame d’ajouter qu’elle n’oublie pas et ne pardonnera jamais à cette dame.
‘’Nous travaillons pour nos familles’’
Et pourtant, ces jeunes domestiques ne cherchent qu’à plaire à leurs employeurs qui ont autant besoin d’elles, qu’elles ont besoin d’eux. ‘’L’un ne peut pas aller sans l’autre. Si aujourd’hui les domestiques entament une grève d’une seule journée, personne ne va respirer dans les maisons‘’, poursuivent-elles. Tout ce qu’elles demandent c’est de travailler dans de bonnes ambiances. D’aucunes révèlent qu’elles n’hésitent pas à taquiner leurs patronnes qui ‘’ne savent même pas cuisiner le ‘’niankatang’’ (riz blanc)’’.
Le travail est recommandé par toutes les religions. Et ces jeunes filles l’ont très tôt compris. Certaines, après avoir abandonné leurs études par manque de moyens, n’ont pas le complexe de faire ce métier. Elles croient dur comme fer que c’est un travail digne comme tous les autres. ‘’J’ai choisi ce métier pour subvenir aux besoins de ma famille. Ma mère est morte et mon père n’a plus les moyens’’, confie la native de Touba. Qui pense que les patronnes doivent comprendre qu’elles ne cherchent qu’à gagner leur vie et les considérer comme des leurs. Ndèye Maguette Sarr de renchérir : ‘’Je travaille pour éviter de me lancer dans la prostitution ou des choses qui ne vont pas plaire à ma famille’’. En colère, elle explique que dans certaines familles, on préfère les appeler ‘’mbindaan’’, plutôt que par leurs prénoms. ‘’La fille de ma patronne ne me parle pas, parce que je suis une bonne‘’, déplore Ndèye. Qui ne voit pas pourquoi, on devrait les stigmatiser.
‘’Il y a de bonnes patronnes’’
Toutefois, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Dans le groupe, il y en a qui ont eu la chance de travailler pour de bonnes patronnes au grand cœur et avec qui, elles ont entretenu de très bonnes relations. La Yoffoise Fatou Ndiaye, âgée d’une quarantaine d’années, témoigne. ‘’J’ai eu la chance d’avoir une très bonne patronne. Quand je suis tombée malade, elle m’a amenée dans une clinique pour me soigner. Dans cette maison, j’ai été choyée comme une véritable reine’’, dit-elle.
‘’Ma bonne a failli briser mon mariage’’
Même si les domestiques crient un certain ras-le-bol, les patronnes aussi ont beaucoup à dire sur les agissements et le comportement de leurs bonnes. C’est le cas de Ricardine Faye résidante à Yoff. Bien installée dans son salon, elle se lâche : ‘’Les domestiques sont plus que méchantes’’, dit-elle d’emblée. ‘’Quand je prends une bonne, c’est certes dans mon intérêt, mais aussi dans le sens d’aider’’. Ceci dit, Madame Faye ne comprend pas leur ingratitude. ‘’Je me dis que je suis une femme et que je pourrais être à leur place ou quelqu’une de ma famille. Dans ce sens, je me vois en elles. Mais, même si tu leur payes 250 000 FCFA, elles sont capables de vous poignarder dans le dos’’, se désole Ricardine.
Il faut dire que la dame a vécu une histoire traumatisante. Voulant aider une de ses bonnes, elle lui a payé ses études, pour qu’elle soit autonome plus tard. ‘’Ma bonne Yacine, je lui ai payé une formation en hôtellerie, afin qu’elle puisse intégrer, un jour, le monde professionnel’’. Mais, à sa grande surprise, la bonne a commencé à fréquenter un courtier et à se coucher tard la nuit. Soucieuse de son avenir, elle a essayé de lui faire entendre raison. Mais, la fille n’a rien voulu entendre. Cerise sur le gâteau : ‘’elle s’est mise à draguer mon mari, en lui faisant croire que j’ai mis partout dans la maison des gris-gris pour l’envouter‘’. Elle confie que son ménage à failli pâtir des contre-vérités débitées par cette domestique qu’elle considérait comme une petite sœur.
Même son de cloche chez Aminata Ndiaye madame Diop qui est d’avis que les domestiques sont souvent fausses. ‘’Ma bonne, je la considérais comme ma propre fille, parce que c’est elle la baby-sitter de mon enfant’’. Un jour, elle est partie au bureau. La bonne a enfermé sa fille qui dormait dans la chambre et s’en est allée. ‘’Une fois réveillée, mon enfant s’est mise à hurler. Heureusement, une voisine m’a informée que la maison était fermée et que l’enfant criait’’. Madame Diop a dû quitter son service, ce jour-là. Pire, ‘’la bonne n’est rentrée que vers 1 heure du matin‘’, dit-elle, avant de se demander pourquoi les domestiques ont souvent des intentions malsaines.
Contrairement, aux deux premières, Ndéye Diop, la cinquantaine, ne prend de bonne qu’en cas d’extrême nécessité. ‘’Je ne suis jamais satisfaite du travail d’une domestique, parce qu’elles sont souvent sales et ne font pas le travail, comme je le souhaite’’, souligne-t-elle. Elle en prend, quand elle est très malade. Et dans ces cas, dit-elle, ‘’je ne la quitte pas d’une semelle, lorsqu’elle travaille’’. Cette attitude tranche avec celle d’Aïssata Thiam. De nature calme, la dame souligne qu’elle n’a jamais eu de problème avec ses bonnes. ‘’J’en avais une qui s’appelait Marie. Elle a fait dix longues années avec moi, et vraiment son éducation m’a beaucoup impressionnée’’.
En effet, même si, elles ont parfois du mal à s’entendre, les bonnes et les employeurs sont condamnés à vivre ensemble et à s’entendre autour de l’essentiel.
Bassirou Sall, le recruteur A ce rond-point de Liberté 6, les domestiques sont organisées. Les gens qui viennent en prendre une passent par Bassirou Sall. ‘’Il y a des dames qui sont très exigeantes et prennent des bonnes selon le profil souhaité. Sur la base de ces critères exigés, je leur propose la meilleure fille‘’, explique-t-il. Le recruteur ajoute qu’il prend de nombreuses précautions, comme : exiger la photocopie de la carte d’identité de la fille et celle du demandeur. Il note aussi leurs coordonnées dans un agenda. Avec ce travail, il gagne sa vie. ‘’Ce que j’en tire comme profits, ce sont les pourboires que les patronnes me donnent, une fois qu’on finalise. La somme varie de 2000 FCFA à 10 000 FCFA. J’avoue que, depuis 7 ans, je vis de ce travail’’, informe le recruteur. Toutefois, son travail est loin d’être une sinécure. Bassirou Sall renseigne qu’il est souvent confronté à des cas compliqués, du fait des agissements de ses protégées. Un jour, un patron, dit-il, est venu employer une domestique. Quelques semaines plus tard, la fille lui a volé une grosse somme d’argent et des biens de sa femme. ‘’L’erreur commise par ce patron était de ne pas prendre les coordonnées de la bonne. Cependant, grâce à mon agenda, j’ai pu identifier la fille’’. La copie de sa carte d’identité a permis à la police de la retrouver. ‘’Elle toujours en prison. Elle a déjà purgé une peine de deux ans assortie d’une amende de 800 000 FCFA’’. D’ailleurs, Bassirou Sall souhaite aller à une meilleure structuration. Pour cela, il demande aux autorités de ‘’leur trouver un local où les bonnes seront enregistrées officiellement pour être recrutées’’. |
Safyatou Diouf (stagiaire)