‘’Certaines personnes ne doivent même pas quitter l’aéroport’’
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Le deuxième cas du Covid-19 enregistré hier au Sénégal inquiète, au point que la population s’interroge sur la fiabilité du système de surveillance. Dans cet entretien, le chef du Service de parasitologie de l’hôpital Aristide Le Dantec, Professeur Daouda Ndiaye, explique le mode de transmission de la maladie et souligne, par ailleurs, qu’il faut revoir et renforcer les dispositifs de surveillance au niveau de l’aéroport.
Comment se manifeste le virus ?
C’est un virus en phase d’état. Parce qu’il y a d’abord une phase d’incubation qui dure à peu près 14 jours. Au-delà des 14 jours, on peut avoir une personne qui présente des symptômes. Cela ne veut pas dire qu’automatiquement après les 14 jours, l’individu va présenter des symptômes. Il y en a qui ont le virus et qui ne développent pas la maladie. C’est après la phase d’incubation plutôt qu’ils la développent. La maladie va se présenter comme un syndrome grippal, comme une grippe banale avec une fièvre, une toux, une diarrhée, des douleurs abdominales, parfois avec quelques difficultés respiratoires. C’est à ce niveau que l’on sent sa manifestation. Parce que, quand les problèmes respiratoires commencent à s’accentuer, c’est là où les choses commencent à empirer. C’est là où l’individu peut aller vers des problèmes respiratoires. C’est à ce niveau que le pronostic vital doit être envisagé et l’individu, s’il n’est pas pris en charge très tôt au départ, il peut perdre la vie. C’est le syndrome grippal qui peut évoluer vers des complications avec des problèmes pulmonaires, respiratoires.
Comment est-ce qu’un individu peut savoir qu’il a le virus, sans qu’il ne se manifeste ?
Malheureusement, il ne peut pas le savoir. Dans la phase d’incubation, quand le virus est dans le corps, il ne réagit pas du tout. On l’appelle ‘’la phase de dilettante’’. Dans le corps, il est en train de se reproduire, de se préparer avant que les symptômes ne se développent à partir d’une certaine charge virale. Donc, une personne qui a le virus peut ne pas le savoir, sauf si elle présente des symptômes. Mais, parfois, même avec des symptômes, cela ne suffit pas, parce qu’aujourd’hui, il ne faut pas confondre la grippe et les autres maladies respiratoires du coronavirus. Il n’y a que le diagnostic biologique qui peut confirmer la maladie sur la base de tests de laboratoire. Mais pour cela, il y a des conditions, des critères qu’on peut noter, notamment le fait d’avoir été en zone de contact, une zone épidémique, d’avoir été en contact avec un individu infecté ou d’avoir touché un objet contaminé par un individu infecté.
Quel est son mode de transmission ?
La transmission se fait par voie aérienne, très souvent, par les gouttelettes qui sortent de la bouche, lorsque l’individu infecté parle ou à travers ses salives. Elle se fait lorsque l’individu infecté tousse ou éternue, par tout crachat ou sécrétion provenant de sa bouche ou de son nez. Maintenant, si l’individu est dans un rayon de 1m50, voire 2 m, là, l’individu ne peut être contaminé directement.
Il y a aussi la contamination indirecte qui se fait via les objets. Parce qu’un individu infecté peut cracher, éternuer ou toucher un objet à travers ses mains, ses bagages, une cuillère, un bol, entre autres, et que le pathogène soit là-bas. Lorsqu’une personne vient toucher cet instrument et met sa main sur sa bouche ou au niveau de son nez, elle peut être infectée. C’est pourquoi, dans la prévention, on insiste beaucoup sur le lavage des mains. Quand on est en face d’une personne, surtout infectée, il faut des précautions. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, on demande aux malades de porter des masques, pour ne pas contaminer les autres. Il faut que les gens arrêtent cette habitude de mettre tout le temps les mains à la bouche ou sur le nez. Ce n’est pas bien. Il faut constamment se laver les mains à l’eau savonneuse, pour éviter de porter le virus. Quand on n’a pas l’eau savonneuse, il faut chercher la solution hydro-alcoolisée pour supprimer les pathogènes qui sont au niveau de la main.
A quel degré l’individu atteint peut infecter la personne saine ?
A tout moment, même avant les signes. Il y a ce qu’on appelle les porteurs asymptomatiques. Il y a les personnes qui portent le virus et qui ne développent pas la maladie. Donc, dès que la personne est infectée, on ne peut pas savoir quand elle peut commencer à transmettre la maladie. On sait que la phase d’incubation est de 14 jours, mais la transmission est beaucoup plus haute et forte durant la phase de la maladie où la charge virale est importante. Parce que plus la charge virale est importante, plus les sécrétions sont remplies de virus et plus la transmission est facile.
Que pensez-vous du fait que tous les deux cas soient passés par le dispositif de l’aéroport sans être détectés ?
Il faut éviter de stigmatiser. C’est pourquoi, certaines choses, je préfère ne pas les relayer. S’il y un autre cas, à la limite, c’est un peu surprenant. Parce que, dès que le virus est entré dans un pays, c’est inquiétant. Je suis surpris de ce deuxième cas. Cela veut dire qu’il faut renforcer le dispositif de surveillance au niveau de l’aéroport. C’est clair qu’il y a quelque part des choses qui doivent être renforcées. Je pense que c’est la première notion qu’on doit apprendre. C’est vrai qu’on a un système de dépistage, mais il faut que les dispositifs au niveau des aéroports soient revus. Parce que certaines personnes, à mon avis, ne doivent même pas quitter l’aéroport, sans pouvoir être acheminées directement. Normalement, il y a un questionnaire qui doit être délivré à l’entrée par rapport à leur exposition à l’étranger, leur symptomatologie durant le vol, entre autres. Il est important que les gens puissent renforcer cela, parce que sinon, je ne sais pas où on va aller.
Les gens ne connaissent pas la maladie et les Sénégalais reprochent au ministère de la Santé de n’avoir pas assez communiqué. Est-ce que le ministère n’a pas failli dans la communication ?
C’est vrai que dans des situations comme celle-là, la communication ne suffit jamais. Il faut beaucoup communiquer, à la limite, se répéter. Je pense qu’ils sont en train de communiquer, mais il faut que la presse les aide aussi dans ce sens. Je suis un scientifique et je me trouve dans l’obligation de communiquer sur ça. C’est vrai qu’il faut éviter d’en parler, quand on ne maitrise pas la chose, pour ne pas créer une psychose. C’est vrai, quand il y a deux cas, c’est inquiétant, mais il ne faut pas que les gens paniquent. Il y a des pays qui ont des centaines de cas, ils sont en train de gérer. C’est vrai que tout le monde souffre psychologiquement, mais il faut le soutien de nos partenaires et l’engagement du chef de l’Etat et du ministère. Nous devons parler pour aider la population à mieux gérer la pandémie.
VIVIANE DIATTA