Publié le 12 Apr 2020 - 19:35
PRÉVENTION DE LA COVID-19 ET MENDICITÉ DES ENFANTS

Le confinement renvoie les talibés dans leur famille

 

La propagation de la Covid-19 est en train de vider les rues de Dakar de leur petit monde. Les talibés, qui faisaient partie du décor de la ville, deviennent de plus en plus rares dans les artères de la capitale. Ne trouvant plus personne à qui tendre la main, la plupart sont retournés chez leurs parents.

 

Dakar se vide petit à petit de ses talibés. En cette matinée de mercredi, on en repère de petits groupes dans certaines rues de la Médina et de Fass. Au rond-point Sham, l’ambiance est calme et la circulation assez fluide. Connu pour ses nombreux petits mendiants, le carrefour est presque désert et les talibés y sont très rares. La raison ? Dakar se confine. Les quelques talibés que l’on aperçoit çà et là n’ont plus leur gamelle en plastique habituellement pendue autour du cou, à la quête de l’aumône. Ils tendent plutôt en toute discrétion, la main aux rares passants et aux chauffeurs de taxi stationnés à l’atelier de mécanique contigu au rond-point.

Interpellés pour nous indiquer leur ‘’daara’’, la majeure partie des petits mendiants refusent de donner l’adresse exacte de leur marabout. ‘’Il faut aller aux HLM Fass, il y a beaucoup de ‘daaras’ là-bas’’, nous lance le gérant de la gargote d’à côté.

Sur place, aux HLM Fass, on compte presque un ‘’daara’’ à chaque coin de rue. Mais la plupart sont fermés. Cravache dans la main, assis sur une chaise au milieu d’une hutte, Mohamed Ndiaye s’occupe d’enseigner le Coran à deux petits garçons assis sur une natte dressée à même le sol. Les yeux fixés sur leur tablette en bois, ils récitent, sous la surveillance du marabout, des versets coraniques. À côté d’eux, plusieurs tablettes en bois éparpillées par terre et de vieux livres rangés dans une grosse mallette abimée plantent le décor. L’endroit est calme et solitaire. Pourtant, à en croire le maitre coranique, ce ‘’daara’’ dont les abris sont constitués de deux huttes, compte plus de 70 talibés. Mais avec la crise causée par la propagation du coronavirus, il a décidé de renvoyer la majorité des apprenants chez leurs parents et de ne retenir que ceux qui viennent de villages enclavés. Pour cause, il n’a pas les moyens de les nourrir et la mendicité dont survivaient la plupart d’entre eux n’est plus possible. Les rues de Dakar sont devenues presque vides et il n’y a plus personne pour donner l’aumône. La peur de choper la Covid-19 retient la majorité des Sénégalais chez eux.

‘’En réalité, au Sénégal, quand il s’agit des enfants talibés, les gens parlent beaucoup, mais agissent peu. Nous comptons dans ce ‘daara’ plus de 70 talibés qui viennent de partout à l’intérieur du Sénégal et des pays voisins. Et ils dépendent de la mendicité et des bonnes volontés pour vivre. C’est pourquoi, dès que le coronavirus a commencé à se propager dans le pays et qu’on a commencé à interdire les rassemblements, j’ai pris ma responsabilité et j’ai renvoyé la majeure partie des talibés chez leurs parents. Il y a aussi des parents qui sont venus prendre leurs enfants’’, explique Mohamed Ndiaye, le maitre coranique de ce ‘’daara’’ baptisé Madrasa Seydina Aliou.  

Ayant renvoyé la plupart des talibés chez leurs parents, les autres qui viennent des villages enclavés ou des pays voisins sont obligés, quant à eux, de continuer à mendier leur pitance dans les rues presque désertes de la capitale. ‘’Certains mendient pour le petit-déjeuner et le repas de midi. Mais pour le diner, c’est devenu impossible, à cause du couvre-feu. Il faut savoir que nos talibés sont nombreux et c’est presque impossible de les nourrir sans la mendicité. C’est pourquoi on a préféré renvoyer certains chez leurs parents. Parmi ceux qui sont obligés de mendier pour se nourrir, il n’en reste que deux ici.  Et depuis quelques jours, des bonnes volontés du quartier leur offrent le repas. Ils ne mendient presque plus’’, ajoute M. Ndiaye.  

A quelques pas de la Madrasa Seydina Aliou, se trouve un autre ‘’daara’’ dirigé par le maitre coranique Ibrahima Baldé. Absent des lieux, c’est son suppléant, le jeune Habib Baldé, qui surveille les talibés. Comme le ‘’daara’’ voisin, Habib a aussi cessé toute activité, à cause des mesures d’hygiène qui frappent les Dakarois. La majeure partie de ses talibés ont aussi déserté les lieux. Mais, cette fois-ci pas pour rentrer chez leurs parents. Leur marabout, Ibrahima Baldé, a décidé de les envoyer dans ces autres ‘’daaras’’ à Bargny et à Somone. ‘’La mairie a interdit les rassemblements et elle nous a demandé de fermer le ‘daara’. Nos talibés sont maintenant dispersés dans nos différents ‘daara’ à Bargny et à Somone. On avait plus de 20 talibés, mais maintenant, il ne reste ici que 5. Et même pour ces derniers, c’est difficile de les garder ici, parce qu’ils ne peuvent plus mendier. Actuellement, ce sont les voisins qui nous offrent le repas. La mairie aussi nous envoie souvent de l’aide en denrées alimentaires’’, indique le jeune maitre coranique.

‘’Les enfants sont livrés a eux-mêmes dans la rue’’

Dans un coin des HLM Fass, Oustaz Abdou Kadre Diouf tient son ‘’daara’’. Contrairement aux deux premiers qui ont fermé, lui continue de dispenser ses cours. Entouré d’une vingtaine de jeunes apprenants, tablette en bois entre les mains, il dispense ses enseignements tranquillement. De taille moyenne, très accueillant, il nous explique, avec un brin de morale et d’humour, sa décision de défier les autorités en continuant ses activités. Pour lui, cette décision a été prise pour protéger les enfants de la rue. ‘’On a interdit les rassemblements, fermé les écoles et les ‘daaras’, mais les enfants sont laissés à eux-mêmes dans la rue. Et c’est plus dangereux. On devait plutôt prendre en charge les écoles, donner des instructions aux enseignants pour qu’ils sensibilisent les élèves sur les mesures de prévention et mettre à leur disposition des gels antiseptiques pour se protéger. C’est mieux que fermer les écoles et laisser les enfants dans la rue. J’ai passé, hier, la journée à Thiaroye, mais j’étais choqué de voir un nombre impressionnant de jeunes passer leurs journées dans le marché et dans la gare, en côtoyant toute cette insalubrité. Il y a plus d’insécurité dans la rue et les marchés que dans les écoles. C’est pourquoi j’ai refusé de fermé mon ‘daara’ pour livrer les enfants à la rue’’, argue-t-il.

 Convaincu que sa décision est la bonne, il ajoute : ‘’Les autorités savent très bien que je continue mes activités, mais personne n’est venu me l’interdire. C’est mieux de retenir les enfants dans les écoles avec des mesures de prévention que de les laisser dans la rue. Il faut savoir qu’il y a des familles qui n’ont pas les moyens de retenir leurs enfants à la maison, parce qu’elles manquent d’espace. On ne peut pas garder les enfants 24 heures/24 dans une chambre où vit toute une famille’’, estime-t-il.  

En outre, Oustaz Diouf indique que, dans son ‘’daara’’, les apprenants ne mendient pas et ils habitent tous dans le quartier. D’ailleurs, précise-t-il, la plupart concilient enseignement coranique et école française. C’est pourquoi, souligne-t-il, après la fermeture des écoles, il a décidé de continuer ses enseignements et il en profite pour sensibiliser les enfants sur la maladie. Ses élèves viennent apprendre le Coran la matinée et rentrent après chez leurs parents qui les prennent en charge. Quant à lui, il demande aux parents une somme symbolique de 500 F CFA par mois pour satisfaire ses besoins.

MAMA GUEYE (Spécialiste en droit des enfants)                            

‘’Quelles situations trouveront ces enfants dans leur famille, une fois retournés ?’’

Depuis le mardi 24 mars, le ministre de la Femme, de la Famille, du Genre et de la Protection des enfants a lancé un plan de protection d’urgence des enfants en situation de rue. Ce, en collaboration avec les ministères de la Justice, de l’Intérieur et de la Santé. L’initiative repose sur un retour volontaire de ces derniers au sein de leurs familles respectives. Toutefois, le professeur Mama Guèye préconise des mesures d’accompagnement pour une résolution pérenne de la situation.

EMMANUELLA MARAME FAYE

Le ministère de tutelle prévoit le retour des enfants en situation de rue dans leurs familles d’origine. N'est-ce pas là une occasion de résoudre une fois pour toutes la problématique des enfants mendiants ?

Une occasion pour régler définitivement la problématique des enfants mendiants… je ne le pense pas. La question de la mendicité des enfants est très complexe, qui ne peut se résoudre à partir d’évènements conjoncturels. C’est un phénomène dont les causes sont en bonne partie structurelles, d’où nécessairement, il faut des solutions structurelles pour adresser des réponses aux déterminants sociaux.

Certes, vous voulez faire allusion au retour des enfants dans leurs zones d’origine. Mais quelles situations ces enfants trouveront dans leur famille, une fois retournés ? Certes, c’est une opportunité, mais il faut mettre en place des stratégies pérennes pour que ces enfants puissent rester dans leur famille, avec un projet de vie fiable qui prendrait en compte les besoins des parents en termes de projet d’éducation de leurs enfants. Il est aussi important de renforcer les capacités familiales de prise en charge des enfants.

Selon vous, quelles mesures sont adaptées à la prise en charge des enfants talibés, en cette période de crise sanitaire ?

D’abord, il faut se demander dans quel contexte placer la crise sanitaire telle que vécue aujourd’hui au Sénégal. C’est un contexte de situation d’urgence qui est définie comme une situation soudaine qui met en danger la survie, le développement et le bien-être des populations, et qui nécessite une assistance immédiate et exceptionnelle. Cette assistance est communément appelée l’aide ou action humanitaire en situation d’urgence. Cette réponse humanitaire a globalement pour objectif de sauver des vies, atténuer des souffrances et protéger les droits des enfants, conformément à la Convention internationale des droits de l’enfant (CDE) dont le Sénégal est un Etat partie.

En effet, si la situation n’épargne personne, elle touche le plus ceux qui sont le moins à même d’y faire face, notamment les enfants les plus vulnérables vivant dans les lieux les plus pauvres et subissant les privations les plus grandes dont les talibés sont en bonne partie.

Dans les situations de crise sanitaire, pour organiser la prise en charge des enfants talibés, il faut nécessairement faire ce que l’on appelle une analyse rapide de situation (ARS). Celle-ci permet d’identifier les enfants, d’évaluer les besoins fondamentaux des enfants à prendre en charge, les moyens humains pour constituer les équipes à déployer sur le terrain, les ressources financières et matérielles à mobiliser.

Ceci permet d’adopter des mesures adaptées pour la prise en charge des enfants talibés dans cette situation de crise. Les mesures adaptées doivent être d’abord d’ordre sécuritaire, parce qu’il faut mettre les enfants talibés dans les abris respectant les normes d’hygiène minimales, si nous savons déjà la nature des ‘’daaras’’ et les conditions d’hygiène et de salubrité dans lesquelles ces enfants vivent. Il faudra également mettre à la disposition des ‘’daaras’’ de l’eau potable en quantité et des vivres en quantité et en qualité, pour éviter que les enfants mendient au risque de les voir s’exposer à la contamination. Une prise en charge psychosociale leur permettant d’extérioriser leurs traumatismes et surmonter les répercussions sur leur mental, si nous savons déjà que le choc psychologique que vivent ces enfants dans de pareilles situations peut être énorme.

A cet effet, il me parait important de mettre en place des cellules de soutien psychologique dont le but est de repérer les enfants les plus fragiles psychologiquement et de les orienter le plus rapidement possible vers des spécialistes pour un suivi plus individualisé. Toutefois, la réunification familiale me parait déterminante, parce que dans les situations de ce genre, il faut éviter le maximum possible la séparation familiale, parce que les enfants auront besoin d’être aux côtés de leurs parents biologiques pour être en sécurité.

Voilà les mesures minimales qui me paraissent importantes à mettre en œuvre pour la prise en charge des enfants, en particulier les enfants talibés dans cette situation de crise sanitaire.

Quels acteurs doivent être impliqués pour réussir une telle stratégie ?  

En fait, les acteurs à impliquer dépendent des résultats des analyses rapides de situations qui nous édifieront sur le nombre d’enfants à prendre en charge, les besoins de prise en charge, les ressources humaines disponibles et les moyens à mobiliser. Dès lors, une équipe pluridisciplinaire devra être mise en place, parce que, comme nous avons l’habitude de le dire, en matière de protection, il faut toujours avoir une vision holistique de l’enfance, mais surtout mettre en place une chaine de prise en charge. Et qui dit chaine de prise en charge dit nécessairement acteurs spécialisés et diversifiés pour assurer une complémentarité dans l’intervention.

On aura besoin de quatre types d’acteur. D’abord, au niveau institutionnel, on aura en ligne de mire les acteurs gouvernementaux, parce que cela entre dans le cadre des missions régaliennes de l’Etat, à travers le ministère en charge de l’Enfance, le ministère de la Santé et de l’Action sociale, le ministère de la Justice, le ministère de l’Intérieur et d’autres ministères techniques. A ces acteurs, il faut ajouter les ONG qui sont spécialisées sur les questions de protection de l’enfance et qui ont une grande expérience en matière de gestion des crises ainsi que le secteur privé. Troisièmement, les acteurs religieux qui ont une influence capitale dans le secteur des ‘’daaras’’ et qui peuvent aider à la mise en œuvre des stratégies. Enfin, il faudra inclure les acteurs communautaires dans les zones d’accueil et dans les zones d’origine.

ABBA BA

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