Gare à l’épuisement psychologique des agents, en cas de débordement
De plus en plus en plus, le personnel de santé est exposé au risque de contamination, dans la prise en charge des malades du coronavirus. Si ce n’est le stress, la pression, le rythme de travail et le débordement des centres, c’est l’insuffisance d’équipement. Au Sénégal, selon le professeur Massamba Diouf, épidémiologiste, avec l’accroissement du nombre de cas, le risque est très élevé.
La prise en charge des personnes atteintes de la pandémie du coronavirus génère une tension énorme chez les dispensateurs de soins. Ressource précieuse, surtout en ces temps de crise sanitaire, ces derniers sont plus que jamais exposés avec la croissance exponentielle du nombre de malades au Sénégal. Pour qu’ils puissent offrir des soins de qualité, et dans la durée, il est indispensable de préserver leur propre bien-être ainsi que leur moral. L’épuisement psychologique, soutiennent en effet les experts, constitue un risque grave de contamination dans les structures de soins. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à beaucoup de pays européens, où le personnel soignant a souffert de la maladie, à cause de la fatigue.
A un moment donné, renseigne un document de l’Organisation mondiale de la santé, quand les médecins sont débordés, ils omettent certaines dispositions. Même pour enlever leur combinaison, ils oublient la procédure, tellement ils sont débordés par le nombre de patients. Nombre d’entre eux sont contaminés à ce stade. A cet aspect, s’ajoute le nombre insuffisant d’équipements.
Pour sa part, l’épidémiologiste, enseignant-chercheur à la faculté de Médecine, Professeur Massamba Diouf, estime que cela peut bel et bien arriver au Sénégal, si la vague de propagation ne s’arrête pas. Il explique : ‘’Nous sommes à la phase 2 de l’épidémie. Cette phase correspond à la propagation de la maladie sur le territoire national. Mais si on n’applique pas des mesures appropriées, avec des stratégies qui conviennent, on peut facilement basculer vers le stade 3. Le stade 3 est caractérisé par une vague pandémique. Ces vagues vont entrainer un débordement des services de santé et vont forcément entrainer un engorgement de ces structures. En ce moment, le personnel ne pourra plus faire face.’’
A en croire le professeur, si cela arrive, le personnel sera obligé de procéder à la sélection des patients. ‘’Lorsque des patients arrivent, on va juger sur la base de certains critères le patient qu’il faudra prendre en charge au détriment de tel autre. A ce niveau, cela va être un problème. Si on est débordé par le flux de patients Covid-19, il faudra s’entourer de toutes les garanties pour, au moins, renforcer la protection du personnel’’, relate l’enseignant-chercheur. Qui souhaite que la déclaration du ministre Abdoulaye Diouf Sarr d’hier soit appliquée.
Dès lors, le professeur Massamba Diouf insiste qu’il faudrait tout faire pour éviter un débordement de la situation. D’ores et déjà, suggère-t-il, la lutte ne doit pas être l’affaire du seul ministère de la Santé. Il faudrait, renchérit-il, faire appel aux autres secteurs tels que le ministère des Forces armées, à travers le génie militaire pour appuyer la mise en place de certaines structures. Il est heureux, selon lui, de constater que le secteur de l’artisanat est déjà engagé dans la fabrication de masques et autres produits. Sans occulter le ministère de l’Elevage, dans ce contexte où l’on parle d’une seule santé.
‘’Tous les départements ministériels sont invités à prendre part à la riposte. Il faudrait que cet effort national soit une réalité avec une mesure exceptionnelle de tous les secteurs de la nation, mais également de toutes les franches de la population pour venir à bout à cette pandémie. Sinon, je crains le pire’’, avertit Pr. Diouf.
‘’Il faut anticiper…’’
Gouverner étant prévenir, le spécialiste pense que, sur le plan structural, technique et de la prise en charge, le ministère doit anticiper sur l’éventualité de créer ou de mettre en place davantage de structures d’accueil et de prise en charge. ‘’Parce que quand on basculera vers le stade 3 de l’épidémie, forcément, le flux de patients va augmenter. En ce moment, si les structures dédiées ne sont plus capables de les accueillir, on risque d’avoir des problèmes. D’où l’intérêt de commencer à réfléchir et à mettre en place les structures d’accueil et de prise en charge, pour parer à toutes les éventualités’’, a-t-il souligné.
Revenant sur le déficit en équipements de protection individuelle, il trouve que le risque est très élevé. Actuellement, souligne le professeur, il y a des corporations qui n’ont pas du tout eu des dotations, alors qu’elles sont très exposées. C’est le cas, par exemple, des professionnels de la chirurgie dentaire. Il déclare : ‘’Tout le monde sait que les dentistes font partie des professionnels les plus exposés actuellement, dans le contexte de la pandémie. Tout simplement, parce qu’ils sont à proximité de leurs patients. Ils leurs demanderont d’ouvrir la bouche pour regarder ce qu’il y a à l’intérieur. Même si le patient est asymptomatique, il peut facilement contaminer ce professionnel. Il en est de même pour ceux qui sont au chevet des malades qui fréquentent les hôpitaux, en dehors des soins odontologiques. Donc tout le personnel est exposé à la contamination.’’
Cela dit, le spécialiste estime que l’Etat a encore le temps pour prendre les mesures qu’il faut, avant que les choses ne dégénèrent. Pour ce qui est du port du masque dans les marchés, les transports en commun et dans l’Administration, il préfère la généralisation de son port. ‘’J’ai dit qu’il ne faudrait pas limiter le port de masque au niveau des transports en commun, au niveau des sites et des sphères administratives. Il fallait plutôt parler de lieux publics. C’est-à-dire dès que la personne sort de chez soi, elle doit pouvoir mettre son masque jusqu’à ce qu’elle retourne chez elle’’.
Toutefois, il précise que cette généralisation doit être accompagnée en dotant de masques gratuits la population.
‘’Le numérique pour pouvoir tracer ces cas communautaires’’ S’agissant de la transmission communautaire, l’épidémiologiste soutient qu’il urge d’utiliser la télégestion, le traquing, avec l’implication du numérique dans le traçage desdits cas. ‘’Jusqu’à présent, on n’a pas encore plus de précision, par rapport à leur utilisation ou pas. Mais, d’après les informations que nous avons, c’est encore à l’étude. Vous voyez un peu le retard que nous accusons. Si, aujourd’hui, on dit qu’il faudrait avoir un cadre juridique pour pouvoir mettre en œuvre certaines stratégies liées au numérique, il y a un problème’’. Selon lui, lorsqu’un risque vital est présent, on ne doit pas se poser beaucoup de questions par rapport à certaines garanties qui pourraient retarder l’activité allant dans le sens de préserver des vies humaines. ‘’Il faut très rapidement passer à l’utilisation de ce numérique pour pouvoir tracer ces cas communautaires et aider les populations à se préserver de la Covid-19’’, conseille l’enseignant-chercheur. L’épidémiologiste suggère, par ailleurs, la reconversion de tous les guéris de la maladie de Covid-19 dans le dispositif de sensibilisation. ‘’Ces gens peuvent véhiculer des messages qui vont convaincre forcément ceux qui ne sont pas encore malades, afin de prendre les mesures appropriées pour vaincre la maladie’’, propose-t-il. |
VIVIANE DIATTA