‘’Sur nos 56 000 bacheliers en 2019, près de 35 % ont tenté de poursuivre l’aventure en France’’
Membre fondateur de la Fessef (Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France) ayant participé à la réforme sur l’immigration en France dans le volet étudiants étrangers, Ousmane Bocar Diallo décrit, chiffres à l’appui, la saignée humaine et financière occasionnée par l’exode de cracks sénégalais vers le pays de Marianne. Passé de la galère à travailleur dans une grande banque d’Europe, il publie un livre pour, non seulement préparer les nouveaux bacheliers tentés par ce long et périlleux parcours, mais aussi aider les pouvoirs publics à stopper cette hémorragie. Intitulé ‘’Migration étudiante et professionnelle en France, enjeux et réalités pour le Sénégal’’, l’ouvrage a été édité à compte d’auteur.
Pourquoi avez-vous senti le besoin d'écrire sur la mobilité étudiante et professionnelle en France ?
Je suis animé, dans ce projet, par un sentiment de partage et de retour d’expériences sur ce processus long et difficile de migration pour études en France. Un processus qui va de la préparation du projet jusqu’à son terme, à savoir la réussite attendue selon les aspirations de chacun. Pour moi, il s’agit d’un phénomène qui s’est accentué vers les années 2000, avec une croissance exponentielle du nombre de candidats inscrits sur la plateforme Campus France. Sur nos 56 000 bacheliers en 2019, près de 35 % ont tenté de poursuivre l’aventure en France. Ayant beaucoup œuvré dans le réseau associatif sur ce phénomène, j’ai jugé opportun de décrire un peu les contours de ce thème, du contexte économique de ces deux pays, de la question du retour, des dispositifs existants et des recommandations pour les améliorer.
Vous travaillez aujourd'hui dans l’une des plus grandes sinon la plus grande banque d’Europe. Votre parcours, qu’on imagine long et périlleux, pourrait être celui de tout étudiant sénégalais en France. Pourriez-vous nous retracer les moments phares de ce périple, de la demande de préinscription à l'obtention du diplôme ?
Les moments qui m’ont marqué, me permettant par la même occasion de parler pour plusieurs de mes compatriotes, c’est l’angoisse des démarches administratives aussi bien au Sénégal qu’en France. D’abord, pour l’admission, il faut savoir que la plupart des lycéens au Sénégal n’ont pas de projet professionnel ou de projet d’études bien ficelé, avant de poser sa candidature. Heureusement que les conseillers d’orientation de Campus France nous aide à affiner le projet. Une fois que le dossier pédagogique est validé, s’ensuit le dossier du consulat qui fait naître chez l’étudiant un stress pas possible, parfois pire que l’attente des résultats du Bac. On peut y ajouter les demandes de renouvellement de titre de séjour, la recherche d’emploi en étant en compétition avec tous les autres diplômés étrangers. Une fois qu’on est pris, il y a le stress de la période d’essai avant validation de son contrat. En même temps, il faut accomplir les démarches de changement de statut avec des conditions difficiles, puisque tout doit être géré au même moment.
C’est pour cette raison que j’ai eu envie de partager ce vécu qui touche quasiment tous les diplômés étrangers. Cela pourrait contribuer à préparer mentalement nos jeunes frères, au moins avant d’arriver ici.
Plus généralement, parlez-nous des difficultés auxquelles font face les étudiants sénégalais en France ?
Comme j’ai l’habitude de le dire, les difficultés sont multiples, mais les plus marquantes sur lesquelles il faut se pencher pour les solutionner restent : Le stress du renouvellement de titre de séjour avec des positionnements à la préfecture en pleine nuit pour être parmi les premiers, vu que le nombre de dossiers est limité par jour. Il faut savoir que ce renouvellement peut être refusé pour X raisons et peut transformer l’étudiant en sans papier.
L’angoisse de trouver un emploi après les études, avec les APS (autorisation provisoire de séjour) qui duraient 6 mois à notre époque (12 mois maintenant). A l’échéance, avec ou sans emploi, il faut se réinscrire pour ne pas être sans papier ou rentrer au pays. J’ai cité tous ces exemples importants (en plus de ceux de la précédente question) pour étayer la réalité de tout étudiant étranger en France. Tout cela est aggravé par le sentiment de ne pas avoir de plan B dans notre pays ; pas d’alternative pouvant nous rendre serein en se disant que si on retourne d’où l’on vient, on peut compléter ce projet sereinement. Il faudrait donc qu’on arrive à inverser ce sentiment vis-à-vis de notre pays.
Parce que, sans doute, il n’y a pas de plan B, les étudiants et leurs familles sont prêts à dépenser des montants fous, dans le cadre de cette migration étudiante. Pouvez-vous revenir sur les estimations ?
Je me suis basé, par exemple, sur un panel de 5 000 étudiants qui arrivent en France, à raison de 615 € par mois obligatoires, exigés par la France pour justifier ses ressources. On se retrouve à injecter près de 92 milliards de F CFA, soit près de 141 millions d’euros dans l’économie française, si ces étudiants terminent leur cycle de Licence. Sans compter les impôts payés, puisqu’on entre dans la classe moyenne en tant que jeune cadre, etc. Tous les autres chiffres sont détaillés dans le livre. Et c’est sans compter les dépenses de l’Etat du Sénégal pour les boursiers d’excellence. Ce dernier ne bénéficie souvent même pas de cet investissement à l’issue de leur parcours. Il faudrait donc penser à capter cette manne financière pour renforcer notre enseignement supérieur. J’ai aussi donné quelques recommandations par rapport à cette question.
Justement, quel impact cela peut avoir sur le développement de nos pays, surtout si l’on sait que dans ce lot des départs, il y a généralement de très bons élèves et étudiants ?
Il faut savoir que la ressource de référence du Sénégal jusque-là reste sa ressource humaine, généralement formée ou spécialisée à l’étranger. Le Sénégal n’en bénéficie pas assez pour le moment. Si l’on se réfère aux dispositifs existants, il n’y en a aucun qui fait le poids face à la compétitivité de l’expérience professionnelle proposée en France ou ailleurs dans les pays développés. Le système français fait de telle sorte que le marché de l’emploi arrive à absorber les diplômés ayant un parcours brillant ; ce qui est le cas pour beaucoup de diplômés sénégalais ici. Je connais énormément de compatriotes, dans la plupart des cabinets du Big Four, comme consultants ou dans les entreprises du Cac 40. Le Sénégal ignore peut-être même leur vrai potentiel. Je confirme que les attirer au retour aurait pu aider à développer nos pays avec les mix des locaux bien formés.
Pour autant, est-il facile, pour un diplômé sénégalais, de trouver du travail en France ?
Comme je l’ai dit, les diplômés étrangers sont confrontés à une compétition très rude pour trouver un emploi après études, puisqu’ils n’ont même pas ce droit d’avoir un suivi personnalisé au pôle emploi, comme c’est le cas des Français au chômage. Ce, alors même qu’ils ont réussi un parcours faisant d’eux de potentiels cadres dans le privé. Il faudrait revoir ce traitement pour les décharger de cette angoisse et ce stress de la première expérience professionnelle, en les traitant comme les diplômés français. Ce qui est paradoxal, c’est qu’on ne les compte pas comme chômeurs, mais on les compte comme salariés. Ainsi participent-ils à l’inversion de la courbe du chômage. Ce n’est pas logique, à mon sens.
Parlons de ceux qui éprouvent le besoin de rentrer au pays. Quels peuvent en être les freins ?
Je l’ai effleuré tout à l’heure dans mes propos ; le Sénégal ne propose aucune offre capable d’inciter un diplômé en France de quitter l’Hexagone. Les freins sont plusieurs. L’exemple que j’ai l’habitude de citer reste l’impossibilité d’intégrer la Fonction publique depuis l’étranger. Aussi, il y a ce tabou que j’ai entendu de certaines autorités (ce qui m’a d’ailleurs choqué). Ces dernières disent : ‘’Etant donné que nous sommes bien encadrés en France, l’Etat se préoccupe d’abord des diplômés au Sénégal avant d’aller inciter au retour.’’ A mon sens, et d’ailleurs parmi mes recommandations, il faudrait revoir tout le dispositif pour inciter et mieux accompagner les candidats au retour, que ce soit en emploi salarial ou en entrepreneuriat, puisque notre pays en a besoin.
Au-delà de ses boursiers, est-ce que l'Etat suit l'évolution et les performances de ses enfants qui étudient en France ?
Cette question est cruciale, puisque c’est le premier sujet que j’ai défendu en tant que responsable associatif. Quand nous sommes arrivés et jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs, l’Etat du Sénégal ne dispose pas de ses propres chiffres sur l’ensemble de ses étudiants (sauf les boursiers). Si la France ne nous fournit pas de chiffres à l’issue des évaluations de Campus France, nous ne les avons pas. Il faudrait revoir notre gestion dans ce sens. J’en ai fait aussi des recommandations comme l’exemple des cartes consulaires à rendre obligatoire.
Pouvez-vous revenir sur les recommandations faites dans le livre pour que l'Etat puisse tirer plein profit de cette diaspora ?
J’espère que je ne cours pas le risque d’en dire un peu trop, au risque de ne plus être lu (rires). Plus sérieusement, je souhaite vraiment que le Sénégal arrive à inverser la tendance en proposant une offre pouvant inciter au retour et lutter ainsi contre la fuite des cerveaux. Pour cela, il faut d’abord intégrer les jeunes dans les commissions parlementaires qui travaillent sur les questions de la diaspora. Aussi, je propose de diviser par deux, sur une ou deux ans, le budget des bourses d’excellence. A la place, il faut proposer des bourses d’excellence conséquentes pouvant inciter les étudiants à rester au pays avec une garantie emploi derrière. Enfin, il faut alléger et dématérialiser plusieurs démarches administratives pour l’entrepreneuriat ou les concours d’entrée dans la Fonction publique, etc. Il y a d’autres recommandations, mais les principales sont là.
PAR MOR AMAR