‘’Le blocage est une question d’ego, de fierté mal placée au détriment des intérêts du justiciable’’
Le secrétaire général du Syndicat des travailleurs de la justice (Sytjust) Me Aya Boun Malick Diop, revient, dans cette interview sur les raisons du maintien de leur mot d’ordre de grève. Pour lui, le ministre de la Justice en est le seul responsable.
Vous venez de boucler un mois de mouvement. Quel bilan tirez-vous de la grève ?
Nous avons obtenu une satisfaction totale dans la mobilisation, parce que les travailleurs ont adhéré à l’appel de leur syndicat. Cette belle mobilisation témoigne de l’envie des travailleurs de sortir de la précarité tant sociale que professionnelle. Les travailleurs de la justice gagnent mal leur vie, avec de petites rémunérations, mais aussi, ils n’ont pas un bon plan de carrière. Mais il y a une leçon qu’il faudrait tirer dans cette crise : c’est qu’il faut entrevoir la place des travailleurs de la justice. Aujourd’hui, sans eux, on ne peut pas parler de service public de justice.
Le deuxième point est qu’il faudrait se rendre compte de l’échec de la gestion de cette crise par la chancellerie. Elle n’a pas été capable de gérer pour que cette crise ne craigne pas un dysfonctionnement. Il faudrait revoir le fonctionnement du ministère de la Justice pour le réformer, parce qu’on a l’impression que les crises sont très récurrentes.
C’est un mois de grève sans satisfaction. Où se trouvent les points de bocage ?
Les points de blocage se trouvent dans l’individualisation du problème. C’est le ministre de la Justice qui veut réduire toute cette crise à une impolitesse du secrétaire général du Sytjust qui se trouve être ma personne. Il ne voit que l’outrecuidance d’un greffier qui a osé le critiquer publiquement. Et toutes ces personnes qui sont sorties pour marcher, que fait-il de leur demande ? Il ne faut pas réduire le problème a une personne jusqu’à vouloir coûte que coûte l’abattre. Actuellement, le ministre de la Justice a mis en branle tous les mécanismes impliquant des magistrats dans une combine allant dans le sens d’abattre une personne, à l’occurrence le SG du Sytjust. Mais s’il croit que liquider cette personne règle ce problème, il se trompe.
Et pourquoi il voudrait vous liquider ?
Parce que j’ai la tâche ingrate de porter la parole du syndicat des travailleurs. Le cri sort de ma bouche, mais il devait être en mesure de comprendre que c’est institutionnel. C’est le SG du Syndicat des travailleurs de la justice qui parle au ministre de la Justice. Ce n’est pas Me Aya Diop qui parle à Malick Sall. Le blocage, actuellement, c’est une question d’ego, de fierté mal placée au détriment des intérêts généraux du peuple sénégalais. Le ministre ne voit que sa personne qui ne voit que son orgueil au risque de plomber tout un service public. Au moment où il devait recevoir le Syndicat des travailleurs de la justice, il est en train de recevoir des syndicats qui ne font même pas grève, qui n’ont même pas un préavis de grève. Alors que ceux qui sont en grève sont là, il ne les reçoit pas.
Est-ce que vous avez tenté de le rencontrer ?
Dans la pratique syndicale, lorsqu’un syndicat dépose un préavis de grève, la réaction normale est de les appeler pour examiner les points de revendication. Nous avons déposé un préavis de grève depuis le 6 février ; il a été mis au courant. Mais, depuis lors, il n’a pas réagi. Nous avons fait une critique, malheureusement, il l’a mal prise et il est maintenant dans le sens d’individualiser la crise au point de demander au président de la République de revenir sur certains acquis des travailleurs de la justice. Les travailleurs de la justice l’ont compris et ils ont décidé de se battre pour défendre leurs intérêts.
Pourquoi vous accusez certains magistrats d’être à l’origine du blocage ?
J’accuse les personnes qui sont dans l’entourage du ministre, notamment les magistrats qui, malheureusement, n’honorent pas leur corporation. Ils sont dans des schémas qui ne cadrent pas avec la dignité de leur corps. Aujourd’hui, ils auraient pu raisonner le ministre de ne pas emprunter ce chemin de la confrontation et de choisir le dialogue, on n’en serait pas là.
Le Bureau exécutif international de l’Association des juristes africains (Aja), la Raddho, la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH) et Amnesty International/Sénégal ont exprimé leurs préoccupations et ont appelé au dialogue. Y a-t-il eu une médiation de ces organisations pour faire renouer le dialogue entre les deux parties ?
Effectivement, il y a plusieurs organisations qui sont impliquées dans la médiation, mais nous leur avons dit que notre position est claire. Nous avons déposé un préavis de grève, nous attendons qu’on nous appelle. Nous sommes un syndicat, on a le minimum de dignité à préserver. Donc, si le ministre est capable de recevoir d’autres syndicats, pourquoi ne pas appeler le syndicat qui est en grève ?
La tutelle menace d’intenter une procédure visant le SG du Sytjust pour abandon de poste. Votre commentaire ?
Pour moi, ce n’est qu’une diversion. Mais ce qui est malheureux, c’est qu’il y a des magistrats qui sont impliqués dans une combine de bas niveau. C’est ce qui m’inquiète, parce que des personnes qui sont appelées à juger leurs concitoyens doivent avoir des comportements de dignité et de plus de confiance à l’institution judiciaire, mais pas à s’immiscer dans des combines de bas niveau. Pour nous, cette procédure n’est que de la diversion, mais elle ne va pas perturber notre engagement à lutter et à défendre notre dignité et nos intérêts matériaux et moraux.
Et pourquoi vous déranger autant ? C’est parce que vous êtes le SG du Sytjust ou bien vous avez d’autres problèmes avec la tutelle ?
Je dérange parce que la justice n’a pas l’habitude de voir des personnes qui résistent de la façon dont nous résistons. Aujourd’hui, les temps ont changé, les travailleurs de la justice sont des personnes qui ont une formation. Il y a des doctorants, des docteurs et de grands intellectuels parmi nous. Ils se trompent, donc en pensant que s’ils m’atteignent, la résistance va disparaitre.
Ce mois de mouvement semble paralyser le système. Dans beaucoup de régions les populations font des sorties pour déplorer la situation. Pourquoi vous ne maintenez pas le service minimum ?
On aurait assuré le service minimum, si on avait en face de nous des personnes raisonnables. Mais aujourd’hui, ils ne nous ont pas donné la possibilité d’exercer ce service minimum, parce que nous avons en face des extrémistes qui ne reculent devant rien pour réduire à néant tous les acquis que nous avons eus après plusieurs années de lutte. Face à ces extrémistes, nous sommes obligés d’adopter des positions radicales pour ne pas subir de la malveillance qu’ils ont en train de faire à l’endroit des travailleurs de la justice.
Le ministre campe sur sa position et vous, vous comptez aller jusqu’où ?
Nous avons déjà montré notre détermination. Nous comptons aller là où il est prêt à aller. Nous le suivons. S’il veut faire un pas vers la confrontation, nous sommes prêts pour le chemin de la confrontation. S’il appelle aussi à la négociation, il nous trouvera sur le terrain. Nous sommes un grand syndicat aguerri au combat. Nous avons connu des situations plus dramatiques. Peut-être, il a sous-estimé le Sytjust, mais c’est un grand syndicat aguerri, très tenace, capable de mener la lutte jusqu’à la satisfaction des intérêts matériaux et moraux des travailleurs.
ABBA Ba