Publié le 30 Jul 2024 - 00:17
INSULTES, CALOMNIES ET DIFFAMATIONS DANS L’ESPACE SOCIOPOLITIQUE SÉNÉGALAIS

Un fléau à éradiquer

 

La dégradation de l’espace politique, marquée par l’explosion des injures, calomnies et insultes accentuées par les réseaux sociaux et Internet, a tendu le climat politique au Sénégal. Ainsi, entre auto-saisines du procureur de la République, plaintes pour diffamation et violence verbale, la scène politique peine à garantir un débat constructif et serein, au détriment d’une démocratie pérenne.

 

L’arrestation d’Ameth Suzanne Camara pour ‘’offense au chef de l'État’’ et ‘’actes de nature à jeter le discrédit sur une institution’’ ravive le climat pesant et délétère qui avait prévalu à la fin du règne de Macky Sall. Une période marquée par la multiplication des injures, menaces et calomnies dans le seul but de discréditer ses adversaires politiques. Cette flambée de calomnies, d’insultes et d’injures avait envahi les réseaux sociaux et les plateaux télévisés, occultant le débat public responsable nécessaire à la bonne marche de la démocratie.

À la fin du règne de Macky Sall, cette situation avait fait peser une lourde pesanteur sur la scène politique sénégalaise, avec un pouvoir ‘’apériste’’ qui semblait fermer les yeux sur les nombreux dérapages et injures de la part de ses partisans, comme avec d’Ameth Suzanne Camara qui appelait à ‘’tuer Ousmane Sonko’’ ou l’ex-ministre de la Jeunesse Pape Malick Ndour qui voulait déloger Ousmane Sonko de son domicile pour le remettre à la justice.

En face, les partisans de l’opposition, coupables de posts jugés injurieux, comme Bassirou Diomaye Faye et Fadilou Keita, avaient été rapidement emprisonnés pendant plus d’une année pour diffusion de fausses nouvelles, outrage à magistrat et diffamation envers un corps constitué.

Selon le collectif de journalistes d’investigation dénommé Forbidden Stories (Histoires interdites), ce climat pesant fait d’injures, de calomnies et d'insultes a accentué la tension politique, forçant même l’ancien régime à faire appel aux services d’une société israélienne spécialisée dans la manipulation électorale à travers les réseaux sociaux, notamment en 2019. D’après ce collectif, la société israélienne a utilisé les réseaux sociaux, en particulier TikTok, pour atteindre les électeurs, promouvoir la propagande en faveur de leur client, créer à volonté de faux comptes et dénigrer les opposants sur la toile.

Les nouvelles autorités semblent vouloir adopter une forme de rupture dans la continuité. En effet, les déclarations injurieuses de Bah Diakhaté envers le Premier ministre Sonko lui ont valu un deuxième retour de parquet à la suite d’une auto-saisine du procureur de la République. Dans des vidéos et messages audio diffusés en ligne, l’activiste proche de l’ex-régime a dénoncé la supposée complaisance du Premier ministre vis-à-vis de l’homosexualité.

Dans la même veine, Ousmane Sonko a aussi révélé que l’insulte ne sera plus tolérée dans son camp. Ainsi, l’activiste Alassane Fall alias ‘’Alassane bou Sonko’’, qui a tenu des propos injurieux envers les magistrats, a été interpellé par la Dic en juin dernier.

De son côté, le directeur de l’Agence de sécurité de proximité (ASP), Seydina Oumar Touré, a déposé une plainte contre X, après des accusations d’achat d’une maison à 200 millions F CFA par le pseudonyme du compte Facebook Anita Diop. Le ministre des Transports, El Malick Ndiaye, a aussi annoncé une plainte contre la même Anita Diop et Thiam Bobo Thalam pour diffusion de fausses nouvelles et de diffamation sur sa personne. Le ministre est accusé de faire du népotisme dans le recrutement des membres de son cabinet. Sans oublier le procès en diffamation contre l’ancienne Première ministre Aminata Touré, qui a accusé Mansour Faye, alors ministre du Développement communautaire et de l’Équité territoriale, d’avoir autorisé des surfacturations sur l’achat de riz sur les fonds Covid-19. Elle dit fonder ses affirmations sur le rapport de la Cour des comptes. La délibération de cette affaire est fixée au 8 août prochain.

Des sanctions pécuniaires pour éviter une judiciarisation des affaires de calomnie et de diffamation

Dans le but de sortir de ce cycle de répressions et d’emprisonnements dans les cas de violences et de dérapages verbaux, Moundiaye Cissé, patron de l’ONG 3D, demande la mise en place d’autres types de sanction comme des amendes pécuniaires pour dissuader ces pratiques qui entachent notre démocratie. ‘’Même s’il faut condamner avec la plus grande vigueur la tenue de propos insultants et injurieux envers les autorités. Une pratique qu’il faut bannir dans notre démocratie. De Senghor à maintenant, le délit d’offense au chef de l’État n’a jamais été la solution. Macky Sall, qui a usé de cet instrument, n’a jamais brisé ce phénomène. Au contraire, le délit d’offense au chef de l’État est le meilleur moyen de propulser une personne sur la scène publique en lui faisant de la publicité. En règle générale, le régime ne gagne jamais dans ce genre de cas’’, affirme-t-il d’entrée.

D’après M. Cissé, la nouvelle approche de certains ministres de porter plainte directement devant la justice peut réduire la portée de certains cas de calomnie et de diffamation. ‘’Le fait que des autorités puissent porter l’affaire devant la justice peut annihiler la dimension politique de certaines affaires. Si la personne qui a porté les accusations n'arrive pas à apporter les preuves, elle pourra se voir attribuer des amendes et ainsi l’affaire aura un caractère plus privé. On ne dira pas que c’est l’État qui est à la manœuvre, car l’auto-saisine du procureur donne tout de suite un caractère politique à une affaire’’, soutient-il.

La responsabilité des partis politiques dans la formation des militants

L’éradication de ce phénomène, qui nuit à l’émergence d’une démocratie apaisée et constructive, passe peut-être par la ratification d’une charte de bonne conduite que toutes les formations politiques seraient tenues de respecter sous peine de sanctions.

Ainsi, militants et responsables affiliés à des partis politiques seraient tenus de suivre un programme de bonne conduite dans l’espace public.

Pour sa part, Alioune Tine, président du think tank Afrikajom Center, indique que les partis politiques ont toujours été réticents à la signature d’une charte pour laquelle l’ancien SG de la Raddho milite depuis les années 90. La défiance extrême entre responsables politiques qui ont décidé de faire du clash permanent et de l’outrance la nouvelle forme de communication politique tend à enflammer le débat politique qui n’est plus basé sur les arguments, mais sur l’outrance et l’injure.

‘’Les partis politiques doivent former leurs militants et même exclure les insulteurs publics, qu'ils soient du pouvoir ou de l’opposition. Par ailleurs, il faut réguler les réseaux sociaux où ce genre de pratiques sont plus diffusées et doivent respecter la dignité de la personne humaine. En outre, il est aussi nécessaire que la presse encadre mieux les débats pour éviter de nouveaux dérapages’’, a déclaré le militant des Droits de l'homme.

Mamadou Makhfousse NGOM

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