Publié le 18 Jan 2025 - 18:58
FOOT PRO DU SÉNÉGAL

Sale temps pour les entraîneurs

 

La tempête s’abat sur les entraîneurs des clubs professionnels sénégalais en ce début d’année. Sidaty Sarr, limogé par Teungueth FC, est le dernier d’une liste de trois techniciens à être débarqués de leur poste, après Saliou Beau Touré, par l’ASC Saloum, et El Hadj Massamba Cissé, par la Linguère de Saint-Louis. Joseph Senghor, de l’AS Pikine, avait déjà ouvert le bal au mois d’octobre. En plus de risquer un licenciement, les coaches sont la cible de supporters déchaînés. Un mal-être que tente d’analyser El Hadj Cissé, chargé de la formation au Racing Club de Dakar.

 

La liste des entraîneurs éjectés de leur poste s’allonge. Le dernier à subir une rupture de son contrat est Sidaty Sarr. Arrivé à la fin de la saison écoulée sur le banc de Teungueth FC, fraîchement champion du Sénégal et en partance pour la phase préliminaire de la Ligue africaine des champions, l’ancien coach de l’US Gorée n’ira pas jusqu’au bout de son bail, qui devait prendre fin en 2027. Les dirigeants du club rufisquois ont annoncé, ce mercredi, la « rupture du contrat à l’amiable avec effet immédiat » de son entraîneur pour insuffisance de résultats. L’ancien adjoint d’Alain Giresse, dont le licenciement a été précipité par l’élimination du TFC en Coupe du Sénégal par le Dakar Université Club (1-0), le même jour, est le troisième technicien à voir ses fonctions mises fin depuis ce début d’année. Déjà le 7 janvier dernier, c’est l’AS Saloum qui s’est séparée de son entraîneur, Beau Saliou Touré, qui avait pourtant rejoint le club en juillet 2024 avec le titre de champion de la Ligue 2 décroché sur le banc de WallyDaan, promu en Ligue 1. Une semaine après, c’est au tour d’El Hadji Massamba Cissé de prendre la porte. Le 13 janvier, la Linguère de Saint-Louis a annoncé le limogeage de son entraîneur pour insuffisance de résultats.

Après seulement 11 journées de compétition, au moins quatre entraîneurs de clubs professionnels ont perdu leur poste. Joseph Senghor a ouvert le bal en octobre 2024. À peine deux journées du championnat de Ligue 1, l’ancien coach de l’US Ouakam a été remercié par l’AS Pikine. La direction du club de la banlieue et le technicien ont décidé de se séparer à l’amiable. Mais cette succession de licenciements d’entraîneurs n’est pas un phénomène nouveau. L’année dernière, au même mois, plus exactement le 23 janvier 2024, trois coaches avaient subi une résiliation de leur contrat. Il s’agit de Balla Djiba avec Génération Foot, Ansou Diadhiou avec le Casa Sports et El Hadji Mbaye Badji avec le Guédiawaye FC. L’entraîneur est le premier à en payer cher, comme un peu partout d’ailleurs. Mais au Sénégal, il semble que les responsabilités soient exclusivement attribuées aux seuls techniciens. Comment expliquer alors cette propension à tout mettre sur le dos du coach ? El Hadj Cissé a tenté de répondre à la question. Pour le chargé de la formation au Racing Club de Dakar, les clubs sénégalais, pour la plupart, sont entre les mains de dirigeants qui ne connaissent pas suffisamment la marche du football actuel.

« Beaucoup de clubs souffrent de ces dirigeants qui planifient avant même la saison, avec des objectifs inopinés. C’est pourquoi ils sont obnubilés par les résultats immédiats, souvent sous la pression des supporters. C’est pourquoi c’est un peu compliqué pour les entraîneurs qui signent un contrat de deux voire trois ans. Avant de faire mûrir leur projet, ils sont parfois limogés avec des motifs vraiment incompréhensibles. Cela prouve qu’il n’y a pas de travail qui se fait au niveau de l’instance dirigeante de beaucoup de nos clubs. » Cela s’explique par le fait que la direction de nos clubs est souvent dépassée par l’évolution du football mondial. « Tout le monde sait que le football est toujours en mutation continue. Il faut avoir un projet pour atteindre ses objectifs. Malheureusement, nous n’avons pas des dirigeants aptes à comprendre comment se passe le foot actuellement, qui est devenu un métier avec des entraîneurs qui sont des managers évoluant avec un projet. »

Défaut de projet clair, conditions de travail inadéquates

Le football professionnel requiert beaucoup de moyens pour réaliser de grandes performances. Ne parvenant pas à concilier leurs ambitions et l’insuffisance des moyens, les clubs ont du mal à se structurer et s’organiser idéalement pour élaborer un projet clair. Ainsi, ils ont du mal à assurer les meilleures conditions de travail à leurs entraîneurs. « Le football actuel nécessite beaucoup de moyens, avec un projet lisible pour que même le choix de l’entraîneur puisse s’accommoder avec le projet de jeu et l’identité du club. Malheureusement, toutes ces conditions ne sont pas réunies. C’est pourquoi les entraîneurs arrivent avec cette pression d’obtenir un résultat immédiat. On a vu qu’en moins de quatre, cinq, six journées, beaucoup d’entraîneurs ont été évincés avant même la première phase du championnat. Cela prouve qu’il y a un travail à faire à ce niveau. »

L’insuffisance des ressources du football sénégalais se répercute dans l’organisation et la marche des clubs. « Dans un club qui n’a pas de projet, qui n’a pas de cellule de recrutement, souvent les entraîneurs se retrouvent avec des joueurs qui ne cadrent pas avec leur projet de jeu. Ce sont des recrutements faits soit par les dirigeants, soit par le président. Du coup, ils font avec les moyens du bord. Et ce qui les intéresse le plus, c’est leur salaire. Avec ces résultats immédiats, le football ne peut pas fonctionner dans ces conditions », a déploré El Hadj Cissé.

Boucs émissaires des dirigeants

Les entraîneurs sont souvent la cible de supporters exigeants qui acceptent difficilement les défaites de leur équipe. D’ailleurs, le Syndicat des entraîneurs de football du Sénégal (SEFS) avait fait une sortie au mois de décembre dernier pour dénoncer les « violences verbales et physiques » que subissent certains de ses membres dans les stades. Cette réaction faisait suite au comportement de certains supporters lors du match US Gorée - Jaraaf (2-0), comptant pour la 9e journée de la Ligue 1, qui ont jeté des pierres et proféré des insultes à l’encontre de Malick Daf, à qui ils ont reproché ses choix tactiques. Le SEFS a demandé aux présidents de la Fédération sénégalaise de football (FSF), de la Ligue sénégalaise de football professionnel (LFSP) et de la Ligue de football amateur (LFA) de « prendre des mesures idoines pour assurer la sécurité des entraîneurs et des pratiquants avant et après les matchs pour éviter que l’irréparable ne se produise ».

À en croire El Hadj Cissé, ces agissements sont surtout le fait de supporters immatures et dépourvus des valeurs du sport en général et du football en particulier. « Un club, ce sont ses supporters, son palmarès, mais surtout son histoire. Beaucoup de supporters ne comprennent pas ces trois critères, cela devient difficile de pouvoir supporter son club, passer des journées sans victoire. C’est ce qui amène cet acharnement parce qu’ils veulent toujours gagner, toujours avoir un bon résultat. Et comme ce sont des supporters jeunes, qui ne connaissent pas l’histoire de leur club, cela va forcément se répercuter aussi bien sur l’entraîneur que sur les dirigeants. » Quand la tension monte, c’est souvent le coach qui sert de bouc émissaire. Les dirigeants, a-t-il soutenu, « ne pouvant pas contenir cette pression, la répercutent sur le travail de l’entraîneur, qui n’est pas parfois protégé. Donc c’est lui qui va subir le sort du mauvais résultat et être limogé. »

Protéger les entraîneurs

El Hadj Cissé a plaidé en faveur d’un environnement permettant aux entraîneurs de travailler en toute sérénité. Pour cela, il a suggéré d’« encadrer » les supporters dans les clubs. Dans ce sens, il a donné l’exemple du Casa Sports où il existe une charte pour les supporters. « Si tous les clubs fonctionnaient comme cela, ces entraîneurs seraient en sécurité. Malheureusement, dans beaucoup de nos clubs, il n’y a pas cette charte. Tu peux venir de n’importe où et n’importe quand pour t’adresser directement à l’entraîneur. S’il y avait une charte, cela ne serait pas normalement possible, comme c’est le cas au Casa Sports qui est un exemple. Malgré les résultats qui ne sont pas là depuis deux ans, tu ne verras pas les supporters s’en prendre aux entraîneurs. Cela prouve qu’avec cette charte, on peut protéger et sécuriser ces entraîneurs professionnels. »

Par ailleurs, le chargé de la formation au Racing Club de Dakar a invité les dirigeants à participer à la pacification de l’environnement des équipes. « Il faut des dirigeants responsables et sereins parce que toute cette pression commence parfois par eux. On voit des dirigeants qui s’en prennent directement à leur entraîneur. Le dirigeant qui devait soutenir et protéger son entraîneur s’en prend à lui, cela peut causer des problèmes. On l’a vu avec Cheikh Gueye à Teungueth FC. Il n’a pas digéré que des dirigeants viennent s’en prendre à lui après une défaite en Coupe du Sénégal. Cela peut être une excuse pour des supporters à venir s’en prendre à l’entraîneur. Il va falloir que ces dirigeants puissent avoir de la retenue, discuter et sensibiliser les supporters par rapport au statut de l’entraîneur, qui est venu faire son travail avec un objectif bien défini. »

LOUIS GEORGES DIATTA

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