Publié le 7 May 2025 - 15:25
OUMAR EL FOUTIYOU BA, CONSEILLER EN ORGANISATION AU BOM

“Le Dage est soumis à l’impératif d’apporter une réponse dans l’urgence, parfois à ses risques et périls”

 

Conseiller en organisation du Bureau organisation et méthode (Bom), ancien directeur, conseiller technique et secrétaire général de ministère, Oumar El Foutiyou Ba dissèque, pour ‘’EnQuête’’, les lourdes responsabilités qui pèsent sur les agents publics et en particulier des Dage. Avec une expérience de près de 30 ans dans l'Administration, M. Ba, qui a écrit une vingtaine d'ouvrages, éclaire également sur les mécanismes de protection, les dispositions à prendre pour mettre à l'abri ces fonctionnaires. 

 

Avec les affaires judiciaires en cours, on constate que souvent, la responsabilité des fonctionnaires exerçant la fonction de Dage est indexée. Quel est le soubassement juridique de la responsabilité de ces fonctionnaires ?

Le Dage assure la fonction financière des ministères. À ce titre, il bénéficie d’une délégation de signature de l’ordonnateur des crédits du ministère ou de l’institution constitutionnelle. 

Comme le rappelle l’article 15 du décret 2020-28 relatif à la gestion budgétaire de l’État, il coordonne la préparation, la présentation et l’exécution du budget du ministère. 

Lorsqu’on est appelé à gérer des ressources financières, on devient forcément le réceptacle de problèmes à régler au quotidien. Et à chaque fois que les choses ne se déroulent pas comme prévu, les Dage, responsables de la fonction financière, sont exposés au risque d’en subir les conséquences. À titre d’illustration, leur responsabilité peut être engagée lorsque la planification fait défaut dans les marchés et qu’il leur faut trouver des solutions, alors qu’un fournisseur, retenu au bout d’une procédure régulière, a failli à ses obligations.

Dans le cas d’espèce, le marché doit être cassé, ce qui demande du temps. Or, dans certaines situations, le Dage est soumis à l’impératif d’apporter une réponse dans l’urgence. Il arrive donc qu’il essaie de rattraper le coup en recourant aux services d’un autre fournisseur pour faire face à la défaillance constatée tout en se promettant de régulariser l’opération. C’est là aussi une source de problèmes, puisqu’avec les cumuls dus aux insuffisances dans la planification ou dans l’exécution des marchés, la tentation des recours abusifs aux régularisations guette, ce qui conduit à des fautes de gestion susceptibles d’être relevées par les institutions de contrôle comme la Cour des comptes. 

D’autres éléments aussi peuvent expliquer les errements constatés de temps à autre dans la gestion. C’est le cas d’une insuffisante couverture des besoins exprimés dans le ministère par la nomenclature budgétaire à l’origine de solutions de raccroc. Pour dire que l'intention n'est pas toujours délictuelle puisque, dans de nombreux cas, les responsables indexés agissent par nécessité de service.

Je pense que ce sont là des aspects qu'il faut aussi prendre en considération en vue d'y apporter les solutions qu’il faut.

Quid de l'influence du décideur politique sur certains types de manquement ? 

Au-delà de ces situations, il est également possible de relever des écarts en relation avec le comportement, la personnalité de l’individu, puisqu’on ne peut écarter non plus les enjeux de carrière éclairant les rapports liant les agents publics à leur hiérarchie. Qu’il s’agisse des Dage ou d’autres agents situés à d’autres niveaux de responsabilité, d’aucuns, oublieux de l’intérêt général, se placent en position de devoir satisfaire les désirs de leurs supérieurs en dérogeant à l’orthodoxie, sans cette trace écrite qui doit matérialiser certaines demandes et opérations.

Pour dire que nous sommes en face d'un problème complexe qui peut revêtir plusieurs formes, puisqu’il arrive que le Dage se retrouve dans le pétrin juste parce qu'il a voulu assurer, à ses risques et périls, l'intérêt général, alors que, dans d’autres cas, il peut également, sciemment, se rendre coupable ou complice de faits répréhensibles. Toujours est-il qu’il faut aussi noter qu’à l’échelle du fonctionnement de l’Administration sénégalaise, les cas indexés sont minimes, de l’indépendance à nos jours. 

Existe-t-il des mécanismes pour protéger le fonctionnaire contre certains abus du politique ? 

Il faut d’abord saluer l’internalisation des textes de l’UEMOA qui fait des responsables de programmes des décideurs, au sein des ministères, des allocations de ressources correspondant aux activités planifiées, même si le Dage assure la responsabilité globale de la coordination de la fonction financière. L’adoption du budget programme va dans le sens de la responsabilisation pleine et entière de l’agent public sur tout ce qui relève de la génération de la performance et de la reddition des comptes. 

Ces avancées sont à renforcer en vue d’assurer à l’agent public plus de liberté dans ses choix techniques dans une responsabilité accrue sans risquer d’en subir les conséquences de la part de décideurs politiques. Il est juste question d’un problème d’approfondissement de la réforme de l’État, du bon exercice de la démocratie. Chaque fois que l’épée de Damoclès qui pèse sur l’agent public, parce qu’il n'a pas satisfait le politique qui, à travers son pouvoir discrétionnaire, peut l’enlever sans une bonne raison, l’agent public est exposé. 

Il convient, dès lors, pour une question de sauvegarde de l’État, de repenser certaines procédures en vue de mettre l’agent public à l’abri des représailles. Cela peut susciter une réflexion sur des réformes à apporter sur le mode de nomination des agents interministériels, en particulier au niveau des fonctions supports. 

Dans cette perspective, des responsables comme les Dage, les secrétaires généraux et d’autres pourraient ne pas être proposés par les ministres, mais par d’autres instances ou niveaux de décision, que cela soit la primature, une entité aux missions transversales ou une commission dédiée. Il est possible de s’inspirer des bonnes pratiques relatives à la nomination des agents comptables désignés par les Finances au sein des établissements publics, mais aussi de songer à des critères de temps de séjour dans un poste afin que certains fonctionnaires ne soient pas relevés par de nouveaux ministres ou un Premier ministre politique.

Pour en revenir aux Dage, soulignons également qu’on rencontre parmi eux certains, très à cheval sur les principes, qui peuvent trembler face à la menace silencieuse du décret activé par leur supérieur hiérarchique, même s’il faut aussi préciser qu’il y a des décideurs politiques qui se gardent de formuler des exigences non orthodoxes à leurs collaborateurs. Toujours est-il que, comme évoqué auparavant, il y a des aspects qui sont purement liés à la gestion au quotidien, avec les difficultés dans la planification, les nécessités de service, les exigences de continuité du service public. En somme, des urgences auxquelles il faut apporter des solutions qui exposent le Dage. 

Il faudra voir comment amoindrir ces risques, mais en agissant à bon escient sur la législation et, s’il le faut, veiller à ce que des ministres ayant changé de portefeuille à la suite d’un remaniement du gouvernement ne s’arrangent pas pour ramener au sein de leurs nouveaux ministères leurs anciens Dage. 

En effet, il est arrivé, dans le passé, qu’un ministre migre avec son Dage. Peut-être s’entendent-ils bien, mais peut-être aussi il y a autre chose. L’orthodoxie voudrait que le principe de précaution prévale par rapport à une telle pratique. 

Que faire pour renforcer la protection des agents et réduire les risques de prévarication sur les deniers publics ? 

Pour protéger les agents publics, il faut, entre autres mesures, privilégier le mérite et uniquement le mérite, éloigner, chaque fois que c’est possible, l’occupant de station de responsabilité qu’il y a lieu d’identifier de la politique et donner plus de crédibilité à la surveillance des conflits d’intérêts. 

Les procédures mises en place au sein de l’Administration sont protectrices pour l’État. Il convient de les simplifier et les dématérialiser afin de réduire les contacts entre les agents publics et les tiers. Il y a lieu également de renforcer la transparence dans les recrutements et dans la gestion. Cela pourrait se faire à travers la systématisation de systèmes de contrôle infra-ministériels qui s’exercent au quotidien et des sanctions pour les contrevenants dont les errements pourraient être décelés en temps réel.

Cela suppose l’exemplarité de décideurs qui ne protègent personne.

M. AMAR 

Section: