Un scrutin, deux dates
Ce mercredi 6 mars 2024 sera une date gravée dans la mémoire des Sénégalais, avec l’adoption de la loi d’amnistie, le rejet des propositions issues du Dialogue national par le Conseil constitutionnel et la fixation de deux dates pour le scrutin présidentiel : les 24 et 31 mars 2024.
Avec cette élection présidentielle, ce sont les montagnes russes. Hier, au moment où les députés se penchaient sur le projet de loi portant sur l’amnistie des événements de 2021 à 2024, à l’Assemblée nationale, qui a été adopté (94 pour, 49 contre et 3 abstentions), le Conseil constitutionnel rejetait les propositions issues du Dialogue national : date du 2 juin et réintégration des candidats recalés. Un fait dont les conséquences ont été immédiates. Dans la foulée, en Conseil des ministres, le chef de l’État a décidé de la dissolution du gouvernement et a fixé la date du premier tour du scrutin de la Présidentielle au dimanche 24 mars 2024.
Ainsi, le Premier ministre Amadou Ba est ‘’libéré’’ de son poste pour battre campagne. Il est remplacé par le ministre de l’Intérieur, Sidiki Kaba, renseigne le porte-parole du gouvernement Yoro Dia.
Pour Moundiaye Cissé, membre d’Aar Sunu Élection (sauvegardons notre élection), ‘’le vin est tiré, il faut le boire. C’est irréversible. Les partis politiques devraient être prêts. Il faut qu’ils soient conséquents. Ils ont toujours clamé haut et fort (que) le scrutin doit se tenir avant le 2 avril 2024’’.
Ngouda Sall, membre du comité électoral de Taxawu Sénégal, lui considère que le timing est jugé court et que beaucoup sont dans l’impréparation.
L’autre grande équation qui se pose est la véritable date du scrutin, puisque, dans sa décision rendue le même jour, le Conseil constitutionnel a proposé la date du 31 mars 2024. On est en face de deux dates pour un scrutin qui fera surement l’objet de débat au cours des prochaines heures.
Pour le maître de conférences en droit public, Ameth Ndiaye, ‘’la date du 31 mars est celle qui est légale et qui sera maintenue. Le décret du président de la République qui retient la date du 24 mars ne peut pas être valable. Les sages ont pris cette décision, suite à la requête des candidats pour carence du chef de l’État, en utilisant leur pouvoir d’injonction en fixant la date’’, a-t-il réagi sur la TFM.
Le hic avec la date du 31 mars 2024, c’est qu’elle coïncide avec le jour de Pâques. Même si, dans sa décision, la haute juridiction explique que la situation est exceptionnelle. ‘’Les événements d’ordre religieux, social et culturel ne sont pas incompatibles avec l’exercice des droits des citoyens, notamment le droit de vote’’, soulignent les 7 sages.
Cette décision est soutenue par un autre juriste, Mounirou Sy, qui s’aligne sur la position de son collègue. ‘'Les décisions du Conseil constitutionnel (CC) s’imposent. Le CC prime sur les autres institutions. Le président de la République est soumis à ses décisions. Ce dernier est une autorité administrative’’, souligne M. Sy. Qui ajoute que ‘’ces décisions respectent les 21 jours de campagne, contrairement à la date du 24 mars’’.
Ainsi, Elimane Haby Kane, le président de Legs Africa, et l’un des initiateurs d’Aar Sunu Élections, demande que l’équivoque soit levée. ‘’Il y a un communiqué du Conseil des ministres qui a annoncé la date du 24 mars. C’est une chose qu’il faut régler rapidement, parce que la date du 24 mars fixée par le président, d’aucuns disent que c’est parce que le 31 mars c’est Pâques. Mais la décision du Conseil constitutionnel n’est susceptible d’aucun recours et s’impose à tous les pouvoirs publics, y compris le président de la République. Donc, c’est la décision fixée par le Conseil constitutionnel au 31 mars qu’il faut considérer. C’est cette date qui est de rigueur plutôt que la date avancée par le président, même si, par ailleurs, on n’a pas encore vu un décret signé par le président’’, indique-t-il.
Ainsi, pour certains, c’est le dimanche de Pâques qui a poussé le président Sall à proposer la date du 24 mars. Pour d’autres, il cherche à créer un désordre sans précédent, une nouvelle crise institutionnelle.
Toujours est-il qu’il s’agit là d’un nouvel imbroglio pour l’administration électorale qui devra se tenir à une date.
Le Conseil constitutionnel devrait se ranger sur la date du 24 mars
Toutefois, selon des sources non officielles, le Conseil constitutionnel va se conformer à la date du 24 mars 2024. D’autant que, soulignent certains juristes, c’est le président de la République qui a la prérogative de convoquer le collège électoral à travers un décret. Que les sages peuvent se substituer au chef de l'État, en cas de carence de ce dernier.
Mais dès lors que le président a fixé une date, le Conseil constitutionnel doit s'y conformer.
Un communiqué ou une décision est attendue, au cours des prochaines heures. Ou même, une nouvelle saisine du Conseil constitutionnel d’un ou de plusieurs candidats déclarés, afin de trancher ce débat.
À la croisée de ces argumentaires juridiques, Moundiaye Cissé pense que c’est la démocratie qui a triomphé. ‘’Il faut magnifier la posture du Conseil constitutionnel. Il faut avoir une justice en qui les Sénégalais doivent avoir confiance. Ces actes et ceux qui les précèdent restaurent la confiance. Cette juridiction n’a fait que confirmer ce qu’elle avait affirmé auparavant. Un dialogue ne peut pas se substituer aux décisions du CC. Le dialogue n’a aucune base légale’’, affirme ce membre de la société civile.
Le président de l’ONG 3D de renchérir : ‘'Ces actes renforcent nos clauses d’éternité, à travers l’article 103 de la Constitution : la durée du mandat de cinq ans et renouvelable qu’une fois, c’est-à-dire l’impossibilité de prolonger un mandat. Les Sénégalais n’accepteront plus que le président, au-delà de son mandat, puisse rester au pouvoir. C’est un signal fort pour les futurs présidents de la République.’’
Quant à Elimane Kane, il rend hommage aux citoyens sénégalais qui ont élevé la voix et se sont mobilisés pour faire barrage à ce coup d’État institutionnel de Macky Sall et la constance et la cohérence du Conseil constitutionnel. ‘’Le Conseil reste ferme sur la nécessité d’organiser l’élection avant la fin du mandat du président en cours. Donc, Aar Sunu Élection est satisfait de la capacité d’indignation et de mobilisation des Sénégalais, mais aussi de la posture irréprochable du Conseil constitutionnel qui est resté droit dans ses bottes et qui a réaffirmé l’existence d’institutions indépendantes, de l’équilibre des pouvoirs et de la séparation des pouvoirs, des piliers de l’État de droit’’.
Échec des manœuvres pour réintégrer Karim Wade dans le jeu
Au final, l’élection prévue initialement le 25 février 2024 ne sera reportée que d’un mois, après plusieurs tentatives de l’Exécutif et de l’Assemblée nationale de la repousser jusqu’en juin 2024, soit au-delà de la fin officielle du mandat du président Macky Sall, le 2 avril.
Les moult manœuvres du PDS pour réintégrer Karim Wade dans la course et d’accuser les juges du Conseil constitutionnel de corruption n’ont pas eu l’effet escompté. Depuis un mois, le pays est dans une incertitude profonde sur la date du scrutin et les candidats retenus.
C’est ce mercredi 6 mars que les 7 sages viennent d’enterrer l’espoir de toutes les parties prenantes du dialogue initié par le président de la République. Ce dernier avait soumis des préconisations issues d’un ‘’dialogue national pour désamorcer la crise préélectorale’’. La haute juridiction a jugé que la Présidentielle doit avoir lieu avant le 2 avril, rejetant la date du 2 juin. ‘’La fixation de la date du scrutin au-delà de la durée du mandat du président de la République en exercice est contraire à la Constitution’’, expliquent les sages dans leur décision.
Or, entre-temps, il y a eu des manifestations violentes qui ont fait un bilan lourd : quatre morts, des dizaines de blessés et plus de cent arrestations.
L’un des derniers actes de cet imbroglio politique aura été le vote, hier, du projet de loi sur l’amnistie sur les événements des trois dernières années, avec comme conséquence la libération prochaine des détenus politiques dont le candidat Bassirou Diomaye Faye de l’ex-Pastef.
Par contre, selon plusieurs sources, Ousmane Sonko n’est pas concerné par cette loi d’amnistie. Les prochaines heures édifieront l’opinion.
Ainsi, pour permettre à tous les candidats d’avoir les mêmes chances et atouts, Elimane Kane recommande, pour qu’il y ait une élection libre et transparente, au régime de choisir des personnalités irréprochables, libres et indépendantes pour diriger le processus électoral : ministre de l’Intérieur, Daf, Cena…
Amadou Camara Gueye