L’État dans toute sa nudité
Après avoir procédé à l’état des lieux des finances publiques, le gouvernement a fait face à la presse pour exposer les chiffres alarmants des comptes publics.
Les chiffres sont alarmants. Selon le gouvernement, le régime du président Macky Sall aurait falsifié presque tous les indicateurs économiques, dans le but de masquer la réalité économique et financière du pays et pour avoir des financements auprès des partenaires. Faisant le point des audits qui ont été menés, le ministre de l’Économie déclare : ‘’Les constats font ressortir de la gabegie dans les dépenses tant dans leur choix et de leur qualité que dans leur effectivité et impact. Cela a induit des dérapages dans la gestion des finances publiques favorisées par une mauvaise gouvernance, se manifestant notamment par la corruption, la concussion, les détournements de fonds et l’accaparement des biens publics par des privés.’’
Dans son exposé, le ministre Sarr a mis l’accent sur deux indicateurs essentiels : la dette publique et le déficit public. ‘’La dette publique et les déficits budgétaires ont été plus élevés que ce qui a été publié par les autorités sortantes et communiqué à nos partenaires durant la période 2019-2023. Le déficit a été annoncé à une moyenne de 5,5 % du PIB sur la période 2019-2023. Mais, en réalité, il a été en moyenne de 10,4 %, soit près du double. En fin 2023, la dette de l’État central hors secteur parapublic était à 15 664 milliards, soit 83,7 % du PIB. Alors qu’elle était annoncée à 13 772 milliards, soit 73,6 % du PIB. Il s’agit donc d’un supplément de dette contracté et non publié de près de 1 892 milliards, soit 10 % du PIB de plus’’.
Abdourahmane Sarr est revenu sur ce qu’il considère comme étant le modus operandi du régime sortant. ‘’Cette dette supplémentaire est principalement due à des tirages sur des prêts projets sur financement extérieur et des prêts contractés auprès des banques locales, de façon non transparente. Sur la période 2019 2023, les tirages sur ressources extérieures non inclus dans le déficit ont été en moyenne de 593 milliards. Et les prêts bancaires en moyenne de 179 milliards. Si l’on prend l’exemple de l’année 2023, le déficit public s’établirait aux alentours de 10 % du PIB, en y intégrant les tirages sur ressources extérieures et les prêts des banques, alors que le déficit annoncé était de 4,9 %. Soit le double’’, s’est-il alarmé.
De l’avis du ministre de l’Économie, l’audit a aussi révélé que ‘’le surfinancement du Trésor public d’environ 605 milliards F CFA en fin 2023, convenu avec le FMI, devait être utilisé pour l’année 2024. Ce surfinancement a été utilisé pour payer des dépenses non budgétisées et des dettes de l’État, contrairement à ce qui a été dit aux partenaires. La non-disponibilité de ce surfinancement a nécessité des emprunts non initialement programmés, notamment l’émission d’eurobonds par placement privé de 750 millions de dollars en juin dernier. Et des crédits commerciaux syndiqués de 300 millions d’euros au troisième trimestre’’.
Outre la dette et le déficit, Abdourahmane Sarr est aussi revenu sur le taux de croissance qui a également souvent été mis en avant par l’ancien régime. ‘’La croissance moyenne sur la période 2014-2023 a été d’environ 5 %, malgré les déficits budgétaires fictifs d’une moyenne de 10 % du PIB. Cela veut dire que l’action de l’État dans l’endettement n’a pas été assez efficace. On peut être tenté d’attribuer cette contreperformance à la conjoncture internationale, mais la faiblesse de la croissance n’est en réalité qu’un retour à nos performances historiques, soit autour d’une croissance de 4 % hors pétrole et agriculture’’, a-t-il précisé.
Cette décélération de la croissance du PIB non agricole a, selon lui, commencé depuis 2018, donc bien avant la Covid et la crise ukrainienne qui n’expliquent donc pas tout.
L’allégeance au FMI
De l’avis de beaucoup d’experts, le régime actuel ne fait que s’aligner aux logiques du FMI. On serait tenté de le croire avec l’exposé du ministre de l’Économie, même s’il a tenu à préciser qu’ils vont dérouler leur programme.
Revenant sur le ratage du CA à la fin du premier semestre, il déclare : ‘’L’examen de notre dossier sur la base de chiffres erronés aurait conduit à ce qu’on appelle le misreporting, c’est-à-dire la transmission de fausses informations pour bénéficier des tirages prévus sur les ressources du FMI. La conséquence est le remboursement de ressources mobilisées, à moins de bénéficier d’une dérogation sur la base de mesures correctives crédibles approuvées par le FMI. Le gouvernement a donc choisi la voie de la vérité et de la transparence. Le FMI a été informé des résultats de l’audit des finances publiques et le gouvernement sera en discussion avec leurs services pour des mesures correctives. Ces mesures seront mises en œuvre soit dans le programme en cours soit dans le cadre d’un autre programme.’’
En tout état de cause, signale Abdourahmane Sarr, ce qui sera convenu avec le FMI sera le programme du gouvernement afin de mettre le déficit public et la dette sur une trajectoire soutenable, à un niveau de risque modéré, voire faible à moyen terme.
‘’Ainsi, le gouvernement prend l’engagement de ramener la dette de l’État central de 83,7 % en 2023 en dessous de 70 % dans les délais raisonnables’’.
Pour y parvenir, un certain nombre de mesures ont été annoncées. ‘’Il nous faudrait faire une revue systématique des projets et programmes sur financements extérieurs pour déterminer ce qui doit se poursuivre et ce qui doit être arrêté. Les dépenses de fonctionnement seront également rationalisées, notamment par la réduction des subventions à l’énergie, une stricte application des procédures des marchés publics, une maitrise de la masse salariale et des stratégies d’optimisation de la commande publique et d’utilisation des biens publics’’, a soutenu le ministre Sarr, qui ajoute que ‘’dans le souci d’améliorer la qualité de la dépense’’, le Sénégal compte protéger les couches vulnérables par un meilleur ciblage des bénéficiaires des bourses tout en éliminant les subventions non ciblées’’.
Sonko exige des comptes à Macky Sall, Moustapha Ba, Amadou Ba et Cie À la suite de l’exposé de son ministre de l’Économie et du Plan, le Premier ministre est monté au créneau pour enfoncer le clou. Des perspectives très sombres. Les Sénégalais devront renoncer à la résolution de leurs problèmes, dans le court moyen terme, comme cela leur a été vendu par le duo Diomaye-Sonko, avant qu’ils n’arrivent au pouvoir. Mais ce n’est pas de leur faute, semble nous dire Ousmane Sonko, en conférence de presse hier. ‘’Même si nous avions quelques éléments de preuves que la situation du pays n’était pas au beau fixe, nous étions loin de nous imaginer que les choses étaient aussi catastrophiques. Pensant être au premier étage, nous avions promis aux Sénégalais de les amener au sommet. Mais après l’état des lieux, nous nous rendons compte que nous sommes au quatrième sous-sol. Il nous faudra faire un effort de rattrapage qui exigera de tous beaucoup de sacrifices’’, affirme-t-il face aux journalistes. En des termes plus simples, il faudrait s’attendre à ce que la situation ne s’améliore pas si elle n’empire pas, avec, selon Ousmane Sonko et son gouvernement, plus d’impôts pour les Sénégalais, moins de subventions y compris pour l’énergie, pour ne citer que ces conséquences. C’est pourquoi, affirme Sonko, il est indispensable de dire la vérité aux populations. ‘’On ne peut pas demander au peuple de faire autant de sacrifices sans exiger que les responsables de ce carnage viennent se justifier’’, a-t-il insisté avant de citer nommément : les anciens ministres chargés des Finances Moustapha Ba, Amadou Ba, Abdoulaye Daouda Diallo et même leur patron le président Macky Sall qui, selon lui, ne saurait ignorer cette réalité. ‘’Tout ce beau monde a menti au peuple, a menti aux partenaires en falsifiant les chiffres publics, en donnant des données erronées, pour donner une image à la situation économique et financière qui n’avait rien à voir avec la réalité, pour bénéficier de fonds et qui ont été le plus souvent détournés de leur objectif’’, fulmine le Premier ministre qui promet que son gouvernement va faire toute la lumière. Les risques sont énormes sur les plans économique et financier. Mais le Premier ministre assume tout. D’autres régimes, selon lui, auraient préféré fermer les yeux et continuer dans la politique du mensonge et du bricolage, mais eux ont choisi l’inverse. ‘’Quand nous avons découvert la situation, nous avons tenu des réunions en présence des ministres concernés. Des doutes légitimes subsistaient sur la nécessité de la rendre publique. Le président de la République a eu une réponse très simple : ‘Je ne démarrerai pas ce mandat dans le mensonge, je ne le terminerai pas dans le mensonge et je ne le finirai pas dans le mensonge. Quelles que soient les conséquences, je dirai la vérité au peuple sénégalais.’’’ C’est pourquoi, selon lui, le Sénégal avait décliné de se présenter devant le Conseil d’administration du FMI au mois de juillet. ‘’Il avait dépêché le ministre des Finances, pour aller leur dire : nous préférons ne pas avoir de financements plutôt que de les avoir sur une base erronée’’, informe le PM qui ajoute que ‘’par devoir de vérité, nous nous sommes passés de ressources de l’ordre de 230 milliards F CFA au mois de juillet 2024. Mais ce n’est pas de notre responsabilité, c’est la responsabilité de ceux qui ont masqué les chiffres’’. De l’avis d’Ousmane Sonko, le Sénégal est un pays de manipulation. Après avoir tout mis sur la place publique, il demande aux Sénégalais à la retenue. ‘’Nous sommes dans un pays de manipulation, de diffusion de fausses nouvelles. Et sur cette question, j’inviterai tous les Sénégalais à beaucoup plus de retenue, parce qu’il s’agit de l’image du pays et de sa crédibilité à l’extérieur. C’est des questions qui relèvent à la limite de la sécurité nationale. Et tout Sénégalais qui se prononce, quelle que soit la liberté dont il dispose, doit le faire sur la base des chiffres, des faits et des informations vérifiés. Je m’en limiterai à ça’’, a-t-il expliqué. Le Premier ministre est aussi revenu sur le surfinancement contracté par le Sénégal en 2023 pour le compte de l'année 2024, mais qui a été dépensé par le régime précédent. ‘’Cela veut dire que les partenaires avaient accepté que le Sénégal puisse aller, en termes de levée de fonds, au-delà de ce qui est autorisé annuellement, en prévision du début des quatre premiers mois de l’exercice 2024. Six cents milliards qui auraient dû être dépensés à partir du 1er janvier, mais que le régime sortant a dépensés avant notre arrivée sur l’exercice 2023. C’est extrêmement grave’’. |
MOR AMAR