‘’Elle a senti l’absence d’accompagnement de l’État et particulièrement de la gendarmerie’’
Très présent sur la scène médiatique en France, Aliou Sall, député de la diaspora élu sous la bannière de Yewwi Askan Wi (YAW), est revenu sur les derniers moments de Daba Diouf, la femme de Didier Badji, disparu depuis 15 mois. Ce Sénégalais qui était parti pour des études en Hexagone, s’est engagé en politique pour promouvoir des idéaux tels que la justice sociale, l'égalité, la liberté et une coopération gagnant-gagnant entre les puissances occidentales et le Sénégal.
L’épouse de l’ancien gendarme Didier Badji, disparu depuis le 18 novembre 2022, Daba Diouf Badji, est décédée lundi dernier en France. Avez-vous espoir qu'un jour toute la lumière sera faite sur la disparition de son mari ?
D’abord, nous présentons nos condoléances à la famille de la défunte épouse de Didier Badji qui a disparu dans des conditions mystérieuses, pour quelqu’un qui a travaillé pour le gouvernement sénégalais, notamment la gendarmerie. Madame Badji née Daba Diouf s’est battue pour que la lumière soit faite sur ce qui est arrivé à son mari.
Nous avons entrepris beaucoup de démarches avec Guy Marius Sagna et la défunte, pour qu’une enquête soit diligentée et que sa femme puisse avoir accès à son compte bancaire. Nous avons adressé deux questions écrites au ministère des Affaires étrangères et au ministère des Forces armées, mais rien n’a été fait. Je rappelle que le défunt à deux enfants à bas âge.
Que comportent ces réponses ?
Des réponses assez évasives. La gendarmerie qu’on attribue le sobriquet de la ‘’Grande muette’’. Cette affaire est particulière. Dès le début, on a eu des doutes. Il n’y avait même pas eu de communiqué suite à sa disparition. Il a fallu que la famille, notamment sa femme, entreprenne des démarches pour que l’État communique sur les faits. Est-ce que l’enquête progresse ? Peut-on accéder à son compte bancaire pour subvenir aux besoins de ses enfants ? Malgré les multiples relances, la gendarmerie n’a pas répondu. Jusqu’ici, toutes nos questions sont restées lettre morte.
L’avez-vous rencontrée avant son décès ? Si oui, pouvez-vous partager ce qu’elle vous a confié sur cette affaire ?
Nous l’avons rencontrée à plusieurs reprises. C’était une femme très sereine, très seule et délaissée. Daba a dit que pour qu’elle puisse se marier avec Didier, il a fallu l’aval de la gendarmerie : des enquêtes de moralité. Je suis indirectement liée à ce corps militaire. Elle a senti l’absence d’accompagnement de l’État et particulièrement de la gendarmerie. Ce qui est plus navrant, elle a su la disparition de son mari comme tout le monde. C’est ahurissant !
Nous l’avons accompagnée dans ce combat très noble au-delà des valeurs humanistes que nous partageons. Nous restons motivés et engagés pour élucider, s’il y a un meurtre, et traduire les responsables. Toutefois, on reste prudent, car on n’a pas encore trouvé de corps, contrairement à son collègue Fulbert Sambou. On reste prudent. On ne peut même pas parler de décès, car il n’y a pas encore d’éléments matériels qui prouvent qu’il est mort.
L’État du Sénégal n’est pas fortuit dans tout cela, au regard de la conduite qu’il a eue dans cette affaire, c’est-à-dire de passer la famille aux oubliettes.
Nous l’avons toujours accompagnée jusqu’à son dernier souffle. C’est une fonctionnaire qui a servi l’État. C’est un médecin. Elle était venue en France pour des raisons médicales. Elle a vécu une souffrance terrible.
Le président de la République a récemment animé le dialogue national pour apaiser la tension politique et sociale. Il a, par ailleurs, annoncé le lundi 26 février un projet de loi d'amnistie concernant les faits se rapportant aux manifestations politiques entre 2021 et 2024. Que vous inspire cette mesure qui est remise en cause par plusieurs associations de la société civile ?
La politique, c’est un combat de principe. Nous sommes respectueux des décisions judiciaires de ce pays, même si nous ne sommes pas d’accord toujours. Pour ce cas d’amnistie, c’est des manœuvres politiciennes. Si l’État avait élucidé tous les meurtres durant la période de 2021 en 2024, on n’en serait pas à cette situation. Aucune enquête n’a été menée depuis lors, alors que le ministre de la Justice de cette époque avait affirmé que les responsabilités seraient situées. Il faut que l’on sache qui a fait quoi avant de proposer cette loi d’amnistie. J’ai l’impression que c’est de l’autoamnistie pour blanchir une partie de l’Administration et faire disparaître des preuves. Plusieurs personnes ont été tuées et des dégâts matériels estimés à des centaines de milliards.
Le Conseil constitutionnel a rendu une décision irrévocable et le président l’a foulé aux pieds en essayant de reporter l’élection. Une vraie entorse à la démocratie. Il doit se référer à cette décision pour le respect des principes de la démocratie.
Le dialogue ou les concertations n’ont pas de sens. Il doit se conformer à la loi au risque de mettre le pays dans un chaos indescriptible.
L’image du Sénégal semble être écornée en raison des récents troubles liés au report de la Présidentielle. Est-ce la responsabilité de Macky Sall où de l’opposition dans ce recul démocratique ?
L’opposition n’a aucune part de responsabilité. Dans l’histoire du Sénégal, jamais un chef d’État ne s’est autant illustré dans les dérives autoritaires, des violations des droits des citoyens, de la domestication de la justice juste pour éliminer des candidats comme Ousmane Sonko. Il a utilisé les mêmes procédées pour en découdre avec Khalifa Sall et Karim Wade.
Si l’image du Sénégal est aussi écornée, c’est parce qu’il (Macky) a mis à mort la démocratie sénégalaise. Sa volonté de reporter le scrutin est un exemple patent. Il a fallu que le Rubicon soit franchi pour que le monde entier sache qu’il est un apprenti dictateur, comme le qualifie une partie de l’opposition.
Vous êtes député de la diaspora élu sous la bannière de Yeewi Askan Wi. Dans le cadre de vos missions parlementaires, comment travaillez-vous avec le corps diplomatique sénégalais ?
Ah ! Nous n’avons aucune relation avec le corps diplomatique. On était censé travailler de concert, car on est des élus de la République et même avoir accès dans les locaux de l’ambassade. Ce qui est inimaginable, car l’Administration est totalement politisée. À l’ambassade de Paris, on ne voit pas des diplomates, mais des membres de l’APR. Ils ne comprennent même pas ce qui sous-tend leurs prérogatives. Étant donné que nous sommes des élus sous la bannière de l’opposition, on nous voit comme des opposants. Si j’ai besoin des services de l’ambassade, j’y vais comme une personne lambda. C’est pourquoi il faut dépolitiser l’Administration. Sous l’ère Macky Sall, c’est le parti avant la patrie.
Vos relations avec la France insoumise de Mélenchon ?
Nos premiers contacts avec la France insoumise remontent à longtemps, bien avant que je sois député. Je vis en France depuis plus de 20 ans. Nous avons pris langue lors du vote de la loi d’extradition taillée sur mesure contre les opposants. C’est dans ce sens-là que j’ai pris contact avec les députés de la France insoumise qui ont compris l’enjeu sur cette loi. Pour la première fois dans l’histoire en France, une loi d’extradition a été discutée en commission dans l’hémicycle. Cela avait permis de mettre la lumière sur les dérives autoritaires du régime de Macky Sall.
Depuis lors, on a travaillé sur plusieurs dossiers en Afrique. Nous ne sommes pas alliés à la France Insoumise pour essayer d’avoir des partis pris pour qu’il y ait de l’ingérence. Nous dénonçons toutes les ingérences possibles et imaginables.
Nous sommes très clairs avec la France insoumise. Nous ne demandons pas de l’aide. Les problèmes sénégalais ne peuvent être résolus que par les Sénégalais, mais quand la situation déborde, nous avons un devoir d’informer pour que les Français ne soient pas manipulés.
Comment analysez-vous la montée du sentiment anti-français en Afrique ?
Il faut faire la dichotomie entre le nationalisme et le souverainisme. Nous (Pastef) sommes très clairs. Nous sommes pour la souveraineté des peuples. Il y a une différence entre le combat des peuples et une certaine oligarchie. La politique française menée en Afrique est différente de la vision que les Français lambda ont sur le continent.
On ne peut plus concevoir dans certains pays africains que des contrats signés dans les années 60 puissent perdurer jusqu’à présent. C’est vrai qu’il peut y avoir deux discours. Il faut que les Africains fassent de l’autocritique.
Par contre, il y a des choses à imputer aux autorités françaises. Les deux poids deux mesures de la France sur le Tchad et le Mali sont des exemples précis qui expliquent la duplicité de Macron.
On ne s’indigne pas uniquement contre la France, mais contre toutes les puissances impérialistes. Il faut des coopérations gagnant-gagnant pour mettre fin à ces contrats léonins.