"Le Macky que je veux"
Pour le coordonnateur du M23 et secrétaire général de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'Homme (RADDHO), la rupture promise par Macky Sall se fait attendre alors qu'émerge, selon lui, une «République des partis» au sein d'une «République pour l'Alliance».
Selon vous, où va Macky Sall ?
Ses partisans sont mieux placés pour répondre à cette question de façon précise. Mais ce que je peux dire, c'est qu'il a un programme électoral qui s'appelle Yonou Yokouté et dispose d'une majorité très confortable à l'Assemblée nationale. Donc, s'il a envie d'engager la rupture, je pense qu'il en a les moyens politiques. Concernant les moyens financiers, le Sénégal aujourd'hui est dans une situation très favorable. Partout la démocratie sénégalaise est perçue comme une référence, un modèle. De mon point de vue, il n'a ni droit à l'erreur, ni droit à l'échec.
«Quand on examine le slogan ''la patrie avant le parti'', on a l'impression que c'est l'inverse qui est mis en œuvre.»
Le rythme dans lequel sont conduites les affaires du pays est-il le bon ?
Macky Sall a un problème de casting. On l'a souvent soulevé. Et c'est là où beaucoup de questions se posent, où beaucoup de gens s'interrogent. Il est évident que son discours d'investiture a constitué un véritable événement qui a été très favorablement perçu par l'opinion. Quand on examine son slogan ''la patrie avant le parti'', on a l'impression que c'est l'inverse qui est mis en œuvre. Il me semble que le parti ne doit pas constituer un carcan, un moyen de pression qui, à la longue, risque de faire faire des erreurs ou d'empêcher les ruptures nécessaires à la modernisation de la démocratie sénégalaise et de ses institutions, aux changements structurels qui permettront de ne plus tomber dans des situations comme celles qu'on a connu avec le président Wade et avec ses effets dont le M23.
Est-ce à dire qu'à cette étape de la gouvernance, il faut rythmer la cadence ?
Ce qu'on attend d'abord, c'est le discours de politique générale qui pourrait être un test pour voir où il veut aller avec le Premier ministre. Quelles sont les réformes qui vont être engagées et qui nous permettront de nous engager vers une nouvelle République ? Je ne dirai même pas que le Sénégal a besoin de réformes, il a besoin d'une véritable révolution au plan institutionnel. Parce qu'il n'y a pas eu de rupture depuis Senghor jusqu'à maintenant. On a eu un hyper-présidentialisme, un parti unique et on a eu un chef d'État chef de parti avec Senghor, on l'a eu avec Abdou Diouf même si celui-ci a commencé à partir de 1999, à prendre un peu de recul par rapport au parti pour devenir un véritable chef d'État. En 2000, on constitutionnalise le Parti-État avec Abdoulaye Wade qui devient à la fois chef de parti et chef d'État. Il me semble que Macky Sall va tomber dans le même piège. On comprend que l'Apr est un mouvement qui a commencé à se mettre en œuvre en 2008 et qui, avant sa transformation en parti politique, est confronté à l'exercice du pouvoir d'État. Il est évident que c'est un très grand défi ! Certainement, c'est ce qui justifie cette extrême prudence à ne pas laisser le mouvement à d'autres mains. Mais en même temps, il y a des impératifs catégoriques pour un chef d'État qui doit être au dessus du lot, au dessus du parti, un chef d'État qui doit être à l'abri de toute forme de pression politique, économique, religieuse, etc.
Quelles sont les véritables conditions de la rupture ?
En réalité, le jour où il arrivera à réaliser cette rupture en devenant une véritable autorité pour tout le monde, une autorité neutre, un véritable chef d'État, c'est à ce moment qu'on pourra mettre le Sénégal sur les rails. Nous en avons besoin surtout quand on regarde ce qui s'est passé au Sénégal avec le président Wade. En réalité, Wade a reculé et a commencé à imiter des gens comme Éyadéma, Bongo ou Kagamé. Au lieu d'avancer, on a véritablement reculé avec Wade. Et les Sénégalais qui commençaient à baisser la tête n'étaient plus fiers d'être Sénégalais... Maintenant, il faut que ce mouvement continue à rappeler le sens de sa lutte pour créer une véritable rupture, une nouvelle République qui permettent au Sénégal de s'ancrer dans la durée dans la démocratie et dans l'État de droit.
«Si Macky Sall veut laisser une trace dans l'histoire, c'est celle d'un Président réformateur qu'il laissera.»
Le M23 qui a porté ce combat contre Wade est assez inaudible sur beaucoup de points, notamment sur le Sénat. Comment expliquez-vous cela ?
Le M23 est un melting-pot avec des organisations de la société civile, des partis politiques, des partis au pouvoir et des acteurs des Assises nationales. Personnellement, s'il faut refaire le Sénat tel qu'il est, je dis que c'est une institution qui est totalement inutile, qui n'a pas donné la preuve de son utilité dans le passé. Parce que si vous prenez 60% des sénateurs qui sont nommés comme on nomme un préfet ou un administrateur civil, ça n'a pas sens. Il faut organiser un véritable dialogue sur la question avant de s'engager dans la continuité.
Qu'est ce qui ne serait pas rassurant dans la démarche de Macky Sall ?
Le problème, c'est ce qu'on attend. Ce qu'on attend de lui, c'est qu'il crée la rupture et la discontinuité par rapport aux pratiques du passé. Le grand problème que nous avons eu jusqu'à aujourd'hui c'est que, que ce soit au Sénégal ou en Afrique de l'ouest de façon globale, les crises sont les mêmes : c'est des crises de leaderships, de la démocratie, de la gouvernance et de la représentation. Quand le Sénégal devient un modèle de démocratie, nous devons savoir que nous devons être responsables pour nous et pour les autres. Continuer à construire un modèle que d'autres vont regarder et admirer. C'est pour cela que Macky n'a pas droit à l'erreur. Concrètement le problème que nous voyons c'est le casting. J'ai comme l'impression qu'on a inversé les rôles. Au lieu d'avoir une Alliance pour la République, on a une République pour l'alliance. Et ça il faut l'éviter. C'est aujourd'hui un sentiment largement partagé. Il faut que Macky Sall puisse avoir des gardes fous. Nous avons beaucoup étudié les raisons pour lesquelles certains chefs d'État ont des problèmes. Et c'est toujours lié à leur entourage. Il faut refuser de se faire enfermer dans une bulle qui vous abstrait de la réalité. Il faut également éviter la facilité qui consiste à se mouler dans ce qu'on appelle la culture électorale sénégalaise.
«Donner une promotion à Harona Sy, c'est en soi un scandale.»
C'est-à-dire ?
Le problème que nous avons aujourd'hui au Sénégal avec les partis politiques, c'est l'absence d'idéal, de visions, de militants. En réalité, on a une clientèle politique qui demande tout le temps son dû après les élections. Et cette pression, on l'a vu depuis l'élection de Macky Sall au pouvoir. Elle est tellement forte sur le président élu que, souvent, on oublie que la République, ce n'est pas les partis. Il faut éviter la République des partis. Ce que nous sommes en train de construire aujourd'hui au Sénégal, c'est la République des partis. C'est toujours le partage du gâteau et pas le partage des servitudes. La difficulté, c'est de créer une rupture qui permette de voir les charges comme une véritable servitude, autant les charges parlementaires que les charges ministérielles. C'est avec le débat ouvert avec beaucoup de tolérance et une capacité d'écoute extraordinaire qu'on peut aller vers cela.
Comment expliquez-vous l'indifférence des leaders de BBY devant certains actes posés par Macky Sall et décriés sous Wade ?
C'est toujours le partage du gâteau. J'ai mon gâteau, je me tais, et il n'y a plus de débat. Quand on est dans une situation où l'opposition a été totalement laminée, totalement affaiblie et se trouve brusquement dans une situation de dépendance par rapport au pouvoir, ça donne au président l'impression qu'il a toutes les cartes en main. Et aujourd'hui, pratiquement il a toutes les cartes en main parce qu'il y a les gens de l'opposition qui n'ont pas encore tous reçu leur part, car le partage est en cours, c'est comme cela qu'il faut le voir. Et ça va être beaucoup plus dur quand ça va être bouclé et que beaucoup vont se retrouver à la marge. Je reste persuadé que tant qu'on n'aura pas rompu avec cette vision de partage du gâteau, on ne pourra pas aspirer au développement.
L'affaire Mamadou Diop rebondit avec les promotions de protagonistes donneurs d'ordres et ayant abouti à la mort d'homme. Assiste-t-on à une sorte d'exfiltration de justiciables potentiels ?
Si cela s'avère, ce serait une très grave erreur pour les autorités publiques de passer par pertes et profits ce que les gens ressentent comme des présomptions de crime. Il y a eu une répression qui s'est abattue de façon aveugle, une répression délibérée où le commandement ne s'est pas tout simplement contenté de donner des instructions mais de tirer à bout portant sur les gens. Tout cela, ce sont des images qui ont choqué et indigné les populations. Ce qui fait que donner une promotion à Harona Sy, c'est en soi un scandale.
Que faites-vous dans ce sens ?
Comme Organisation des Droits de l'Homme nous ne sommes pas restés les bras croisés. Car, avec Amnesty International et la Ligue Sénégalaise des droits de l'homme, on a adressé une lettre au Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki Moon, pour que cette candidature du policier Harona Sy soit rejetée par les Nations Unies. Ensuite nous avons pris contact avec la ministre de la Justice concernant Mamadou Diop, nous sommes partis là-bas avec les victimes et nous avons beaucoup apprécié l'attitude de d'Aminata Touré qui, jusqu'ici, n'a pas perdu les principes qu'elle a défendus aux Nations Unies. Dans le cadre de la lutte contre l'impunité, elle nous a promis qu'elle ferait de son mieux pour que ces actes ne soient pas impunis. Donc de ce point de vue nous attendons de façon très concrète, la traduction en acte de ce qu'elle nous a dit. Lors de l'anniversaire du 23 juin, elle avait également pris des engagements solennels de l’État du Sénégal de lutter contre l'impunité.
«Le partage du gâteau est en cours entre les alliés.»
On parle tellement de rupture. Franchement, vous y croyez ?
Je pense qu'il faut la rupture ou tout simplement périr. Wade ne l'a pas fait et il en a tiré les conséquences. Et si Macky ne le fait pas, il en tirera les conséquences lui aussi. Il est jeune, aujourd'hui il a tous les moyens politiques pour engager le pays dans cette voie. S'il veut laisser une trace dans l'histoire, c'est celle d'un Président réformateur qu'il laissera.
PAR ASSANE MBAYE