Deux ans après, la désillusion en Guinée
C’est au nom de la restauration de la démocratie que le colonel Mamadi Doumbouya, ancien chef de la garde présidentielle, avait perpétré un coup d’État le 5 septembre 2021 contre le président Alpha Condé. Point de relance du processus démocratique, deux ans après. Le RPG Arc-en-ciel surfe maintenant sur le mécontentement populaire, suite à la flambée des prix, alors que la répression des manifestations vient de faire trois morts.
À l’appel des Forces vives de Guinée, mardi dernier, des scènes de violence ont émaillé les manifestations organisées en marge du deuxième anniversaire du putsch du colonel Mamadi Doumbouya. Des heurts ont opposé des militants de l’opposition aux forces de l’ordre en plusieurs endroits de la banlieue de Conakry et qui ont causé la mort de trois jeunes âgés de 16 à 18 ans. Ici, le désenchantement est la chose la mieux partagée, du moins à en croire les réactions suscitées par la commémoration de la mise entre parenthèses du processus démocratique et l’instauration d’une transition.
Vêtues de boubous jaunes et foulards de même couleur sur la tête, les femmes du RPG Arc-en-ciel de la section de Muffa hurlent leur désarroi sous un ciel menaçant. Dans ce grand marché, les récriminations d’ordre politique succèdent aux lamentations sur le train de vie ‘’devenu comme l’enfer’’, selon les termes de Mabinty Sano. Les responsables du RPG Arc-en-ciel s’étonnent du ‘’deux poids, deux mesures’’ de la CEDEAO au sujet de son appréciation des coups d’État. ‘’C’est comme si le président Alpha Condé gênait plus à l’étranger qu’en Guinée’’, soupire un cadre du parti qui vient de terminer une session de formation destinée aux jeunes du RPG. ‘’On sourit en regardant l’empressement des gens à aller régler le dossier du Niger, mais ils étaient aphones quand un président démocratiquement élu se faisait exiler par des militaires ici en Guinée’’, poursuit-il, non sans engager un réquisitoire contre ‘’les faux frères à l’indignation variable’’.
Le bilan des deux ans de pouvoir de l’ancien légionnaire Mamadi Doumbouya est résumé par un diplomate : ‘’Les autorités de la transition avaient établi un plan en dix points pour rétablir la stabilité et la démocratie. Mais, à ce jour, aucun de ces points n’a été réalisé.’’
La revue de quelques titres de la presse guinéenne pour marquer le 5 septembre renseigne plus que tout autre discours : ‘’Un putsch sanglant pour rien’’ ; ‘’Le régime militaire tourne en rond’’ ; ‘’A quand le retour de l’ordre constitutionnel ?’’ ; ‘’Des Guinéens réclament le retour de Alpha Condé.’’
Paradoxalement, ce sont les militants du RPG de l’ancien président, installé en Turquie, qui sont en première ligne face à la junte. Les manifestations qui ont agité Conakry ces derniers jours, à l’instar de celle des femmes du RPG devant le domicile de leur leader, dénonçant la gestion des militaires au pouvoir illustrent la désillusion des Guinéens après deux ans de gestion de la junte.
Aussi, de plus en plus de voix s’élèvent au sein de la classe politique pour fustiger le surplace du Comité national du rassemblement pour le développement que dirige Mamadi Doumbouya : confiscation des libertés publiques, absence de Constitution, indisponibilité du fichier électoral, alors que la transition prend fin en 2024, date prévue des prochaines élections.
Des observateurs soulignent, par ailleurs, l’impunité des auteurs du putsch. Malgré la flambée de coups d’État qui traverse l’Afrique de l’Ouest, celui du 5 septembre 2021 est le seul sanglant, avec plusieurs dizaines d’éléments de la garde présidentielle tués. Le gouvernement dirigé par Bernard Goumou a estimé le coût total du processus de transition à environ 600 millions de dollars américains. Cependant, à ce jour, selon le Premier ministre, ‘’seuls 6,67 % de ce montant ont été mobilisés’’. La question du financement ne représente qu’un des nombreux défis auxquels est confrontée la Guinée dans sa quête pour le retour à l’ordre constitutionnel. Il reste encore beaucoup de travail à accomplir, notamment l’élaboration de la nouvelle Constitution, la tenue de scrutins référendaires et électoraux, la mise en place d’institutions nationales conformes à la nouvelle Constitution et, enfin, l’élection présidentielle.
Alsény Sall, activiste, dénonce ‘’la restriction de l’espace civique par l’interdiction systématique du droit de manifestation, le harcèlement judiciaire contre les voix dissidentes, le recours aux forces de défense et de sécurité pour le maintien de l’ordre avec son cortège de morts et de violences’’.
Ce membre de l’Organisation guinéenne de défense des Droits de l’homme (OGDH) dénonce sur sa lancée ‘’la logique de criminalisation du droit de manifestation qui consiste à renvoyer les responsabilités des violations des Droits de l’homme commises aux organisateurs de manifestations, alors que sur le terrain, la plupart ont été tués par balles, sans oublier la privation de libertés prolongée des personnes présumées innocentes poursuivies devant la Crief pour des crimes économiques qui est une des spécificités du régime actuel’’.
Et pour ne pas être en reste, les magistrats ont décidé de faire grève, alors que plusieurs sulfureux dossiers sont une patate chaude pour la junte.
Ainsi, l’Association des magistrats de Guinée a reporté sa marche initialement prévue les 7 et 12 septembre au vendredi 15 septembre 2023. Mais le mot d’ordre de débrayage est maintenu.
Le gouvernement a bien sûr marqué la date en annonçant ‘’des progrès économiques’’. Des infrastructures routières qui s’améliorent, des indicateurs économiques dans le vert comme le franc guinéen qui s’est stabilisé. Dans les rues, aux alentours du palais présidentiel, le culte du chef bat son plein. Face aux passants, un immense poster de Mamadi Doumbouya dans un costume bleu électrique, le regard tourné vers l’horizon. À ses pieds, un lion et une panthère noire…
(CORRESPONDANCE PARTICULIERE)