Ça passe ou ça casse !
Le président de la République va saisir le Conseil constitutionnel, la semaine prochaine, pour recueillir son avis sur les conclusions du dialogue. De la réponse des sept sages dépend en grande partie l’issue de la crise inédite à laquelle est confronté le pays depuis le 3 février, à la suite de la décision du président d’annuler le scrutin du 25 février.
2 juin 2024. C’est la date proposée par le dialogue national pour la tenue de l’élection présidentielle de 2024. Si elle est validée par le président de la République, cette date va passer l’épreuve du feu devant le Conseil constitutionnel. Pour certains comme Thierno Alassane Sall, la haute juridiction ne peut pas valider cette date ‘’sans se renier’’. ‘’Macky Sall et ses complices oublient juste un détail. Si tous les partis politiques du Sénégal, l’ensemble de la société civile, les candidats officiels ou recalés se mettaient d’accord, leur consensus ne saurait prévaloir sur la Constitution’’, indique le candidat de la République des valeurs sur son compte X.
Mais qu’est-ce que le Conseil constitutionnel avait dit sur la date de l’élection ? Dans son considérant 14, dans sa décision du 15 février sur l’inconstitutionnalité de la loi relative au report, le Conseil rappelle : ‘’La durée du mandat du président de la République ne peut être réduite ou allongée au gré des circonstances politiques.’’ En conséquence, compte tenu de cette exigence découlant des articles 27 et 103 de la Constitution, relevait la haute juridiction, ‘’la date de l’élection ne peut être reportée au-delà de la durée du mandat…’’
C’était là l’un des arguments majeurs pour les sages de déclarer la révision constitutionnelle contraire à la charte fondamentale.
L’autre argument, c’est que le projet de réforme introduisait dans la Constitution des dispositions dont ‘’le caractère temporaire et personnel est incompatible avec le caractère permanent et général d’une disposition constitutionnelle’’.
Certains en déduisent que le Conseil ne saurait valider une date au-delà du 2 avril sans opérer un revirement. Pour d’autres, les circonstances dans lesquelles le Conseil constitutionnel s’était prononcé ne sont plus les mêmes. Les sages avaient invoqué l’intangibilité du mandat pour pouvoir écarter la loi constitutionnelle votée par le pouvoir constituant. Dès l’instant que le président de la République prévoie de quitter le 2 avril, cette préoccupation n’existe plus. C’est le point de vue du chef de l’État lui-même.
Face à la presse il y a quelques jours, il disait : ‘’Je veux faire la dichotomie clairement entre l’élection et la fin du mandat. C’est deux choses liées, mais qui sont différentes. Le 2 avril, le président finit son mandat ; c’est clair pour tout le monde, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel. Mais l’élection peut se tenir avant ou après le 2 avril. Tout dépendra de ce que les acteurs décideront à l’issue des concertations. Ou s’il n’y a pas de consensus, de ce que le Conseil, qui est l’arbitre constitutionnel, va décider.’’
Défaut de consensus, décision du Conseil, article 27… Ces mille et un obstacles sur le chemin du président
Commentant toujours la décision des sages, le président de la République a estimé que la haute juridiction ‘’n’a pas écarté la loi parce que l’Assemblée n’a pas le pouvoir’’. Elle l’a plutôt fait ‘’parce que si la loi passait, la conséquence, c’est la prorogation du mandat qui doit finir le 2 avril’’.
À son avis, c’est parce que le Conseil constitutionnel n’a pas pris compte de l’hypothèse où le président partirait, qu’il a pris cette décision. ‘’S’il était clair dès le départ que le président va partir, comme je l’ai annoncé maintenant, il n’y aurait pas eu de violation des articles 27 et 103 de la Constitution’’, a-t-il souligné.
Dans tous les cas, la balle est maintenant dans le camp de la haute juridiction constitutionnelle qui va devoir arbitrer le contentieux. Dans sa précédente décision, celle-ci, après avoir rappelé l’intangibilité de la durée du mandat, avait sommé ‘’l’autorité compétente’’ d’organiser l’élection ‘’dans les meilleurs délais’’.
Pour l’opposition, les meilleurs délais selon leur lecture de la décision, c’est avant le 2 avril. Pour le camp du président et du PDS, l’essentiel est de ne pas violer les dispositions des articles 27 et 103 et ce n’est plus le cas dès que le président s’engage à quitter le 2 avril. Sauf si le Conseil constate le vide autour de la situation actuelle et recourt à l’article 36 alinéa 2 pour maintenir Macky Sall en poste.
À en croire Moubarack Lo, il sera difficile de convaincre les sages de valider l’agenda issu du dialogue. D’autant plus que, selon lui, l’argument du consensus ne pourrait prospérer en l’absence de la participation de l’essentiel des candidats validés. De l’avis de M. Lo, il n’appartient plus au président de prendre des mesures dans le contexte actuel. ‘’La seule possibilité qui semble s’offrir au président de la République serait d’éviter de prendre de nouveaux textes réglementaires relatifs à l’élection présidentielle et de se borner à informer le Conseil constitutionnel des positions des différents acteurs, de proposer une démarche et de laisser le Conseil arbitrer sur les dates à retenir pour la tenue de l’élection.’’
Cette voie, selon Moubarack Lo, ‘’s’imposerait d’autant plus que les autorités compétentes ne maitrisent plus le calendrier depuis le 3 mars, car ayant franchi la limite maximale de 30 jours francs (avant la fin du mandat présidentiel) retenue dans la Constitution pour tenir le premier tour du scrutin’’.
Moubarack Lo : ‘’Les autorités contractantes ne sont plus maitres du calendrier.’’
Il faut noter que le chef de l’État semble déjà s’inscrire dans cette logique. Selon le communiqué du Conseil des ministres d’hier, le président de la République va recevoir le rapport du dialogue le lundi 4 mars. Et conformément à l’article 92 de la Constitution, il va saisir le Conseil ‘’pour recueillir son avis sur les conclusions et recommandations du dialogue national’’.
Si le réalisme peut pousser les uns et les autres à accepter une organisation de l’élection au-delà du 2 avril, la réouverture de la liste des candidats risque d’être un vrai point de crispation.
Selon les candidats validés réunis au sein du FC25, il est hors de question de revenir sur cette liste. Le dernier mot appartient toutefois au Conseil constitutionnel, dont la décision s’impose erga omnes. Pour Moubarack Lo, ‘’toute tentative de réouverture du processus pourrait engendrer une cacophonie (tous les candidats recalés pouvant exiger d’être requalifiés) et fragiliserait pour l’avenir le Conseil constitutionnel dont les décisions sont, selon la Constitution, définitives et s’imposent à tous’’.
Le Conseil, seul maitre du jeu !
Les choses pourraient s’accélérer dans les jours à venir. Dès la semaine prochaine, si l’on se fie au communiqué du Conseil des ministres, le président de la République va demander l’avis du Conseil constitutionnel, conformément à l’article 92 de la Constitution. Aux termes de l’alinéa 2 de cette disposition : ‘’Le Conseil constitutionnel peut être saisi par le président de la République pour avis.’’
De deux choses l’une : la juridiction valide les propositions du président tirées du dialogue national ou lui propose les voies légales pour les matérialiser. Dans ce cas, le processus sera mis en branle, conformément aux indications du dialogue et du Conseil. Dans le cas contraire, si le Conseil désavoue le dialogue et la volonté du chef de l’État, le pays pourrait s’engouffrer dans une autre crise qui risque d’être encore plus inextricable.
Jusque-là, le président a menacé de quitter le pouvoir le 2 avril et de laisser le Conseil prendre des décisions pour la suite. Auquel cas, certains experts estiment qu’il faudrait recourir à l’article 31 alinéa 2,qui dispose : ‘’Si la présidence est vacante, par démission, empêchement définitif ou décès, le scrutin aura lieu dans les soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus, après la constatation de la vacance par le Conseil constitutionnel.’’
En pareil cas, le président de la République pourrait légalement avoir ce qu’il veut, c’est-à-dire une nouvelle procédure de sélection des candidats et une élection dans les 60 jours au minimum et 90 jours au maximum. Il en sera également de même dans l’hypothèse d’une démission du président avant le terme de son mandat.
Dans la première hypothèse, le sort de la liste va dépendre de l’interprétation des sept sages qui peuvent mettre en œuvre les règles de la vacance comme ils peuvent estimer que l’arrivée à terme du mandat ne fait pas partie des conditions prévues par l’article 31 alinéa 2 (démission, empêchement définitif ou décès).
Par ailleurs, le régime pourrait aussi aller dans le sens d’une défiance du Conseil constitutionnel, en essayant un passage en force qui pourrait passer par une nouvelle modification de la Constitution par l’Assemblée nationale – même sans l’avis du Conseil - en contournant les articles 27 et 103, en prévoyant par exemple un départ du chef de l’État le 2 avril.
Comme quoi, on est encore loin de sortir de l’ornière, dans cette crise aux conséquences économiques néfastes pour le Sénégal. Il faudra, dans tous les cas, beaucoup de tact et de dépassement pour sortir de cette crise dans laquelle la décision d’annulation du scrutin du 25 février a plongé le pays. Certains craignent même, si la situation s’enlise, une dissolution du Conseil constitutionnel par le président de la République, avec tout ce que cela pourrait comporter comme conséquences.
MOR AMAR