Diomaye coupe l'herbe sous le pied de Benno
En pleine crise politique, le Sénégal s'apprête à vivre un moment clé de son histoire parlementaire, ce jeudi 5 septembre 2024. Le président Bassirou Diomaye Faye, en déplacement en Chine pour participer au Forum de coopération sino-africaine, a convoqué une session extraordinaire de l'Assemblée nationale, une décision qui met temporairement de côté la motion de censure déposée par l'opposition. Ce développement majeur intervient après que le président Faye a pris des mesures décisives, notamment le limogeage de personnalités influentes du paysage politique sénégalais.
La convocation de cette session extraordinaire par le président Faye, officialisée par le décret n°2024-1880, a été perçue par beaucoup comme une manœuvre politique visant à neutraliser l'opposition. Le décret stipule que l'ordre du jour comprend plusieurs points importants, parmi lesquels la déclaration de politique générale du Premier ministre Ousmane Sonko. Cette déclaration, qui clôturera les travaux de l'Assemblée nationale, est attendue avec impatience, non seulement pour le contenu qu’elle révélera, mais aussi pour la stratégie politique qu’elle dénote.
Un ordre du jour stratégiquement orienté
Le président Diomaye Faye a usé de l'article 84 de la Constitution pour imposer cet ordre du jour prioritaire. Une décision qui, selon plusieurs analystes, renvoie aux calendes grecques la motion de censure déposée par la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY). ‘’Le président Diomaye a saisi l’Assemblée nationale pour l’ouverture d’une session extraordinaire dès demain jeudi, portant sur plusieurs points, dont la déclaration de politique générale’’, a déclaré Amadou Ba, député de Pastef.
Pour lui, cette manœuvre témoigne d'une volonté claire de repousser l'examen de la motion de censure.
Nafissatou Diallo, députée du Parti démocratique sénégalais (PDS), a abondé dans ce sens sur les ondes de la RFM, soulignant que l'introduction d'une session extraordinaire par le président rendrait difficile l'adoption d'une motion de censure avant le 12 septembre. ‘’Du point de vue du temps, d’ici le 12 septembre, il sera difficile de procéder à une motion de censure’’, a-t-elle ajouté.
Pour l'opposition, cette convocation extraordinaire représente donc un coup dur, repoussant la possibilité de faire tomber le gouvernement par la voie parlementaire.
Des déclarations contradictoires et une scène politique en ébullition
Au sein de l’opinion publique, les réactions à cette convocation sont partagées. Certains estiment que le président Faye fait preuve d'une tactique habile, tandis que d'autres y voient une dérive autoritaire.
And-Jëf/PADS, à travers une déclaration officielle, a exprimé son soutien inébranlable au président de la République Bassirou Diomaye Faye ainsi qu'à son Premier ministre Ousmane Sonko, face à la situation politique actuelle. Le parti a rappelé qu'il s'est dès le début engagé aux côtés des nouvelles autorités, par devoir et par principe. Cette alliance repose sur une seule et unique condition : que les dirigeants continuent de maintenir le cap sur les trois objectifs fondamentaux qu'ils ont toujours défendus et qui leur ont permis de remporter une victoire dès le premier tour en mars 2024. Ces objectifs sont les suivants : le combat pour la souveraineté nationale, le combat pour l’émancipation du peuple et le combat pour une Afrique unie.
Pour sa part, Thierno Bocoum, figure de l’opposition sénégalaise, n’a pas manqué d’exprimer son indignation. ‘’Que des enfantillages face à des urgences’’, s’est-il indigné, critiquant le fait que des débats aussi cruciaux soient retardés par des manœuvres politiques.
Thierno Alassane Sall, autre personnalité influente, a également exprimé sa désapprobation, rappelant que les Sénégalais ont confié à Diomaye Faye les moyens d’ouvrir une nouvelle ère démocratique lors de l'élection présidentielle. Pourtant, les actes posés par le président Faye et son gouvernement vont, selon lui, dans le sens contraire en exacerbant les tensions au sein du pays. La motion de censure annoncée par BBY, bien que reportée, reste une épée de Damoclès suspendue au-dessus du gouvernement, signe d'un mécontentement croissant au sein de la population et de la classe politique. Ou peut-être le baroud d’honneur d’une opposition parlementaire qui vit ses derniers jours.
Un contexte de crises multiples
La session extraordinaire intervient dans un climat de tensions politiques extrêmes, marqué par une série de décisions controversées du président Faye. Le lundi 2 septembre, l'Assemblée nationale, dominée par la coalition BBY, a rejeté un projet de loi visant à supprimer le Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT) et le Conseil économique, social et environnemental (Cese). Ces institutions, bien que critiquées pour leur manque d'efficacité, représentent des bastions importants pour de nombreux acteurs politiques.
Face à ce rejet, le président Faye a réagi rapidement en limogeant Aminata Mbengue Ndiaye, présidente du HCCT, et Abdoulaye Daouda Diallo, président du Cese. Ces limogeages, annoncés par Oumar Samba Ba, ministre et secrétaire général de la présidence de la République, exacerbent les tensions politiques, alors que le pays se trouve déjà à un tournant important de son histoire.
L'ordre du jour de la session extraordinaire comprend également des points importants comme le projet de loi de règlement pour la gestion 2022, la ratification de la Convention de l’Union africaine sur la coopération transfrontalière (Convention de Niamey) et un projet de loi relatif à la Commission nationale des Droits de l’homme (CNDH).
Ces questions, bien que cruciales pour le pays, sont pour le moment reléguées au second plan par l'urgence politique de la situation.
Dans le contexte actuel, Théodore Monteil, ancien parlementaire, exprime des doutes quant à la tenue d'une déclaration de politique générale (DPG) durant cette session extraordinaire. Il rappelle que l'article 97 du règlement intérieur de l'Assemblée nationale (RIAN), alinéa 3, stipule que l'Assemblée doit être informée au moins huit jours avant la date retenue pour la DPG. ‘’À ce jour, en ajoutant les huit jours requis, nous serions le 12 septembre’’, souligne-t-il, remettant ainsi en question la possibilité de respecter ce délai dans le cadre de la session en cours.
Ndiaga Sylla : "Les trois questions inscrites à l'ordre du jour découlent du timing."
Pour des observateurs avertis, le président a habilement coupé l'herbe sous les pieds de l'opposition en convoquant cette session extraordinaire qui, selon les dispositions constitutionnelles, ne peut avoir qu'un seul ordre du jour. Ce dernier porte exclusivement sur la déclaration de politique générale (DPG) du Premier ministre Ousmane Sonko. En apparence, cette décision semble mettre de côté la motion de censure, mais la réalité est bien différente.
Cette manœuvre laisse donc l’opposition dans une position délicate, frustrant leurs efforts pour faire tomber le gouvernement à travers une motion de censure, tout en maintenant une apparence de légitimité constitutionnelle.
Pour Ndiaye Sylla, expert électoraliste, la question de savoir s'il est possible de dissoudre l'Assemblée nationale en pleine session extraordinaire, avant que l'ordre du jour ne soit épuisé, suscite des interrogations complexes.
Selon lui, "dans ce cas, il faudrait attendre la clôture de la session que le président a lui-même convoquée". Sylla ajoute également : "Je crains un blocage demain sur la primauté de l'initiative, au-delà de la priorité accordée au président de la République."
Interrogé sur l'avenir de la motion de censure, à la suite de la convocation de la session extraordinaire, il explique que la réponse réside dans le calendrier des événements. ‘’Les trois questions inscrites à l'ordre du jour découlent du timing. C'est un jeu stratégique’’, affirme-t-il, laissant entendre que la motion n'est pas encore enterrée.
Amadou Camara GUEYE