Macky Sall, le dessous des (dernières) cartes
‘’Si vous comprenez la stratégie du président de la République, c’est qu’on vous l’a mal expliquée !’’. Ce trait d’humour d’un vieux routier de la politique prêterait à sourire, si le Sénégal n’était pas dans l’expectative après le gel du processus qui devait conduire à l’élection de son cinquième président. Il y a une grande difficulté à saisir la cohérence de la démarche de Macky Sall. Sauf à assoir l’idée que sa véritable motivation, en interrompant brutalement le processus électoral, était seulement le vote d’une loi d’amnistie pour les faits commis en lien avec des événements politiques entre 2021 et 2024.
Si le désir de pardon et de réconciliation était la seule explication de la crise politique que traverse le Sénégal, on devrait, par conséquent, considérer l’éventuel remodelage de la liste de prétendants au fauteuil présidentiel, désiré par le PDS, agité par les candidats recalés par le parrainage et sublimé par une aile de l’ex-Pastef émoustillée à l’idée de voir son leader, Ousmane Sonko, sortir de prison et prendre part au scrutin, uniquement comme le simple argument d’escorte d’un projet qui devrait faire table rase des morts, des destructions de biens matériels, d’incendies volontaires qui ont tristement jalonné la préparation de l’élection présidentielle. Et même plus loin dans le passé.
Aujourd’hui, deux situations sont à distinguer : là où Macky Sall a toujours des moyens d’action (la signature du décret fixant la date du scrutin et le contrôle d’une majorité parlementaire pour faire adopter la loi d’amnistie) ; et là où il est contraint de… dialoguer avec le Conseil constitutionnel (les délais, la liste des candidats retenus, la gestion de l’après 2 avril). Un premier pas a été franchi hier avec l’adoption en Conseil des ministres du projet de loi d’amnistie qui entre ce jeudi dans le circuit parlementaire.
Reste la question majeure, l’encadrement juridique de la situation inédite que vivront selon toute vraisemblance les Sénégalais à partir du 2 avril.
Mais depuis hier, les choses ont bougé et l’avis du Conseil est seul à même de lever les incertitudes. D’une part, le président Macky Sall fait fi de la recommandation du Conseil constitutionnel visant à tenir le scrutin pour l’élection de son successeur avant la fin de son mandat, et instaure un dialogue à la place. D’autre part, il se tourne vers le même Conseil constitutionnel pour lui demander son avis au sujet des avis et recommandations du dialogue national tenu les lundi 26 et mardi 27 février.
Le communiqué du Conseil des ministres d’hier a révélé dans ses détails le nouvel agenda que le palais compte dérouler, alors qu’un consensus global des candidats à l’élection présidentielle s’est fait autour du rejet de cette initiative qui, si elle a pu réunir le ban et l’arrière-ban de la République, une partie de la société civile et l’establishment religieux n’en a pas moins été lestée par l’absence d’une grande partie de la classe politique.
Le lundi 4 mars, Macky Sall recevra le rapport du dialogue national, document qui devrait être constitué de la synthèse des travaux des deux commissions qui ont siégé deux jours durant au Cicad de Diamniadio. Et conformément à l’article 92 de la Constitution, il saisira le Conseil constitutionnel pour recueillir son avis sur les conclusions du dialogue national dont la recommandation phare est la tenue du scrutin présidentiel le 2 juin 2024, date qui va au-delà de son mandat.
Trois hypothèses
Présageant l’imbroglio institutionnel qui naîtra à partir du 2 avril, avant-veille de la fête de l’indépendance, plusieurs membres de la commission chargée de la question suggèrent l’application de l’article 36 alinéa 2 de la Constitution qui permettrait à Macky Sall de poursuivre son mandat jusqu’à l’installation de son successeur.
En somme, Macky Sall remet le dossier en l’état au Conseil constitutionnel, avec le notable changement que de décembre, il est revenu au mois de juin pour la tenue du scrutin.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la même réponse pourrait lui être adressée par les sept sages. À savoir que l’élection présidentielle doit avoir lieu avant la fin du mandat du président en exercice.
Selon l’expert électoral Ndiaga Sylla, trois cas de figure se présentent. D’abord, celui où le Conseil constitutionnel délègue au président de l’Assemblée nationale les pouvoirs du président de la République à partir du 2 avril suivant les dispositions de l’article 41 de la Constitution.
Amadou Mame Diop, l’actuel titulaire du perchoir de la place Soweto, aurait alors 90 jours pour organiser le scrutin, soit en reprenant totalement le processus électoral, soit en ordonnant la poursuite du processus avec les 19 candidats déjà retenus.
La deuxième hypothèse verrait le Conseil constitutionnel rejeter les conclusions du dialogue national et ordonner la tenue du scrutin avant le 2 avril, ce qui serait matériellement difficile. Dans ce cas, ‘’le Conseil pourrait exiger l’application de la suppléance à partir du 2 avril et la poursuite du processus’’, pense Ndiaga Sylla.
Le troisième cas de figure verrait les sept sages donner une suite favorable aux propositions du dialogue et activer l’article 36 de la Constitution qui permettrait à Macky Sall de rester en fonction jusqu’à l’élection de son successeur. Ce dont il ne veut pas, si l’on a bien compris le sens de ses propos en wolof, lundi dernier à Diamniadio : ‘’J’en ai assez !’’
Beaucoup de ses compatriotes sont dans le même état d’esprit…
Ass Birago DIAGNE