Publié le 9 Jul 2013 - 13:16
En privé avec.. Amadou Lamine Sall, Commissaire du Mémorial de Gorée

«Macky Sall le veut, il le fera»

 

Président de la Maison internationale de la poésie internationale (Mapi), lauréat du grand prix de l’académie française; Amadou Lamine Sall s’est toujours investi dans la mission de servir la culture sénégalaise. Commissaire du Mémorial de Gorée depuis sa création en 1998, le poète continue de travailler pour la réalisation du plus grand projet culturel que notre pays n’ait jamais connu. Enquête l’a rencontré pour vous.

Pour un rappel, pouvez-vous faire une présentation sommaire du Mémorial de Gorée?

Le Mémorial de Gorée est un projet initié par des intellectuels, des artistes et écrivains noirs de tous les continents, en partenariat avec l’État du Sénégal qui en avait fait un projet prioritaire. Il s’inscrit dans une démarche de paix et de solidarité. L’expression de cette élite noire de toutes les diasporas traduit particulièrement l’aspiration des communautés noires d’Amérique qui sont les intermédiaires nécessaires entre tous les peuples impliqués dans cette  période tragique de plus de trois siècles de l’histoire humaine.

Le Mémorial avec lequel l’île de Gorée garde un cordon ombilical, contribuera de manière concrète à l’effort de réanimation et de rénovation de notre île mémoire. Le Gouvernement du Sénégal, afin de traduire tout cela en réalité, a décidé de réaliser une  œuvre architecturale dédiée à l’Afrique et à ses diasporas. Le Sénégal propose ainsi à l’ensemble de la communauté internationale de:

Créer un lieu de souvenir sur la traite négrière pour ne pas perdre la mémoire.
Resserrer les liens entre les Noirs d’Afrique et de la diaspora et renforcer l’identité culturelle des peuples noirs.
Combattre les préjugés de race et de culture.

Élever les défenses de la paix et de la justice dans l’esprit des hommes.

Offrir aux pays d’Afrique noire et aux populations de leur diaspora un projet majeur et mobilisateur.

Pour ses missions et ses objectifs, le Mémorial sera un lieu de recueillement, un centre d’activités de communications, d’activités artistiques et esthétiques, d’éveil scientifique et technologique. Il sera un lieu de socialisation avec le sentiment d’appartenance à une communauté noire forte et ouverte sur le monde. Le Mémorial ne sera pas seulement un monument commémoratif, mais un puissant instrument de promotion et de renaissance culturelle. Il sera un laboratoire de la coopération internationale pour la cause des droits de l’homme. Ce projet a une spécificité fondamentale. En même temps qu’il constitue un puissant projet culturel, il y ajoute une dimension de nouvelle génération de patrimoine architectural, marquant le renouvellement urbain de la ville de Dakar dans une profonde restructuration tenant en compte la cohérence du tissu urbain de notre capitale.

Par ailleurs, un volet économique solide  vient le renforcer, pour en faire un projet total, porteur de croissance et de développement et générant des d’emplois pour les Sénégalais. Le Mémorial participera au désengorgement de la ville de Dakar par son parking et son second embarcadère pour Gorée. D’autres infrastructures comme des salles de cinéma, des salles de spectacles pour la musique, la danse, le théâtre, la peinture, la sculpture, un musée de l’esclavage, une bibliothèque, des salles de prière, des circuits de promenades en plein air, des aires de jeux pour les enfants, des aires de détentes pour les adultes, autant d’espaces  qui feront de Dakar, à travers le Mémorial,  un lieu de visite incontournable.

Pourquoi un si gigantesque projet culturel qu’est le Mémorial de Gorée n’est pas réalisé jusqu’à ce jour?

Parce que la réflexion culturelle a toujours laissé la place à la médiocrité, à la paresse intellectuelle et à la facilité politique. Il y a manqué une volonté politique affirmée et assumée. Douze ans sous Wade, c’est long. Abdou Diouf aurait réalisé le Mémorial avec le Premier ministre Mamadou Lamine Loum, car ils l’avaient prouvé pour leur intérêt éveillé et quotidien pour le projet. Nous avons perdu douze années avec le Président Wade qui a privilégié son horrible et insoutenable monument de la renaissance, sans compter les tireurs d’élite masqués et qui ont fait profondément mal. Parmi eux, le redoutable et toujours maléfique alchimiste des rois. Mais le Mémorial se fera. Macky Sall le veut. Il nous l’a dit. Maintenant il faut travailler et aller vite pour l’offrir à son premier mandat. Ce que nous sommes entrain de faire.

Le financement d‘un si grand projet culturel est-il ouvert à des partenaires privés?

Si vous parlez du projet du Mémorial, oui, en ce sens que des mécènes pouvaient venir prendre part au financement global de sa réalisation. J’utilise ce temps, car le Mémorial a déjà trouvé un financement auprès d’un unique mécène pour sa construction. Ce qui est exceptionnel. C’est une opportunité  rare de nos jours et ce serait inconscient de laisser passer une telle offre. Bien sûr, nous avons pris toutes les dispositions nécessaires pour que tout se déroule bien et que les intérêts de l’État soient sauvegardés.

A combien s'éleve la participation de l’État du Sénégal à ce financement ?

Zéro franc ! Sauf que dans le contrat liant l’État et le mécène, il est spécifié comme dans tout contrat de maitre d’ouvrage et de maitre d’œuvre, les responsabilités à assumer tant soit peu, de part et d’autre. Ce qui est clair et précis, c’est que pas un sou du Sénégal n’est sollicité pour la réalisation du projet, ce qui est important et qui mérite d’être porté à l’attention de tous les Sénégalais. C’est une véritable aubaine pour le projet du Mémorial et cette opportunité ne se présentera pas deux fois.
que peut raporter le Mémorial de Gorée au Sénégal ?

D’abord une immense gratitude des peuples noirs envers notre pays. Ce devoir de mémoire enfin consenti et rempli, restera pour très longtemps inscrit dans les siècles. On se souviendra alors que ce projet si important a été réalisé sous l’ère d’un jeune président de la République qui s’appelait Macky Sall. Je ne vous apprends rien: les grandes œuvres culturelles et architecturales sont toujours le fait du prince. Le Mémorial de Gorée est une décisive et inoubliable réalisation qui grandit les peuples noirs et réconcilie les races et les civilisations.

Le Mémorial apportera également au Sénégal une manne précieuse d’emplois pour sa jeunesse, un réservoir incomparable de plus values dans le domaine touristique. Une étude que nous avons menée fait également ressortir que le complexe du Mémorial nous rapportera des recettes de plus d’un milliard de francs par an. Pour ma part, certes l’argent est utile, mais ce qui est le plus important, c’est ce que l’histoire et les peuples du monde retiendront le nom de notre grand petit pays pour avoir réalisé et abrité ce temple du souvenir contre l’oubli et contre le silence de certains livres d’histoire. Nous offrons au présent et au futur une belle et émouvante maison de l’esprit qui sera éternellement habitée. Il n’existe rien de plus beau et de plus grand que cela.

Récemment, des voix se sont levées pour critiquer la maquette architecturale du Mémorial de Gorée; ont-ils donné raison au président Wade qui trouvait la jeune fille trop belle?

Vous n’avez pas complété la citation du Président Wade. Il faut la citer dans sa totalité: La fille est belle mais je ne l’aime pas. Et moi, je lui avais rétorqué: Notre chance est que la fille est belle. On laisse toujours un œil ouvert sur une femme qui est belle. Wade était maléfiquement génial. Dommage que chez lui le machiavélique et infernal politicien ait pris le dessus et tout le dessus sur le délicieux, provocateur et audacieux intellectuel. Ce chef d’État fut un véritable gâchis. Pourtant, malgré le mal et le sang, l’histoire pourrait ne pas écrire son nom au charbon. J’aime dire qu’avant même Jésus Christ, le projet du Mémorial de Gorée était attaqué.

C’est la liberté de chacun de jeter sa pierre où il le souhaite. Nous avons appris avec ce projet à faire la part des bonnes critiques et des plus risibles. Il faut savoir l’accepter et aller à l’essentiel. Nous sommes entrain d’aller à l’essentiel avec le Président Sall. Il y a un temps pour rire et un temps pour travailler. Je vous renvoie à mon livre publié en 2006 : «Senghor : ma part d’homme». J’y raconte à satiété les multiples, cruelles et injustes attaques portées au projet du Mémorial de Gorée par une race d’hommes que toute initiative culturelle irrite et couvre de boutons.

Votre ambition serait-il de faire du Mémorial de Gorée une énième merveille du monde?

Non, cela n’est pas notre ambition. Notre ambition est que ce Mémorial sorte  enfin de terre, qu’il couvre notre pays de gloire, son peuple de gratitude et son Président de reconnaissance. Qu’il ressuscite notre passé si douloureux et que le futur de l’Afrique et du destin de ses enfants soient désormais et à jamais lumineux. Souvenez-vous toujours des paroles de Mandela : Notre peur la plus profonde n’est pas que nous ne soyons pas à la hauteur. Notre peur la plus profonde est que nous sommes puissants au-delà de toute limite. C’est notre lumière et non pas notre obscurité qui nous effraie le plus. Je termine en affirmant ici que le Mémorial de Gorée que nous allons construire à Dakar sera sans tarder une architecture classée dans le patrimoine mondial de l’humanité.

En votre qualité d’artiste, pensez-vous que remplacer le BSDA par une nouvelle société de gestion des droits collectifs est une aubaine?

J’avoue ne pas maitriser ce dossier qui fait tant de bruit et suscite tant de tempêtes auprès des artistes. Apparemment, la création de cette nouvelle société répond mieux aux attentes de la communauté des artistes et lui donne plus de garantie pour son avenir, en la protégeant des aléas de la vie. Je ne comprends pas d’ailleurs pour quoi ce dossier tarde tant à être définitivement bouclé depuis le temps qu’on y travaille et qu’on en parle. L’éclectique  ministre de la Culture Abdoul Aziz Mbaye attache un intérêt certain à cette nouvelle société.

Par contre, que cela soit bien compris : c’est à chaque artiste d’organiser sa propre vie et de profiter de son temps de gloire pour prendre une assurance qui veillera sur sa vieillesse. Ce n’est pas à l’État de le faire à sa place, mais il peut les accompagner et les encadrer dans cette voie. Il faut achever avant la fin du premier mandat du Président Sall, pour l’aider à faire du résultat, un bon nombre de projets culturels concrets, dont ceux qui rendraient l’avenir moins douloureux aux artistes et acteurs culturels. Je pense particulièrement, outre cette nouvelle société de gestion, à une bonne politique de formation programmée et budgétisée au regard du dépeuplement du ministère de la Culture en cadre formé; la mise en place du musée des arts contemporains dans le superbe bâtiment déjà existant de la gare de Dakar, ce qui constituera un raccourci et fera faire à l’État des économies substantielles; la projection dans un délai connu de la construction de la grande bibliothèque nationale et des archives  du Sénégal; la mise en place de la Fondation publique de la Biennale des arts et des lettres et non pas seulement de l’art africain contemporain.

Les lettres doivent être prises en charge, car elles sont pour l’art ce que l’esprit est pour la vie de la pensée. Souhaiter par ailleurs que la Ville de Dakar réfléchisse à la prise en charge des salles de cinéma, d’un grand théâtre de verdure, d’une commande artistique annuelle pour rendre notre capitale qui jouit d’une grande renommée culturelle plus digne de ce que le monde entier lui prête et souvent fort complaisamment. Souhaiter que Youssou Ndour, l’artiste et le ministre en charge du Tourisme, lance le projet d’un grand « Festival des musiques du monde » à Dakar, une fois l’an. Son aura personnelle ajoutée à ce que sa fonction ministérielle lui permet, peuvent aider à aller vite dans un tel projet qu’il a toutes les chances de réussir mieux que tous. C’est la culture, c’est à dire notre façon d’être au monde par nos propres valeurs de travail, de discipline, de dignité qui nous sortira des angoisses et des peurs qui nous dévorent chaque jour. Nous avons toujours été une société qui s’occupait de près des mots, des gestes, des comportements sociaux. Notre culture, dans ce qu’elle a de meilleur, a toujours formulé les exigences et les conditions d’une existence prospère et d’un épanouissement moral, social et économique de nos peuples. La culture a toujours pensé l’économie.

En mars dernier, un jeune réalisateur a  présenté au public le film-documentaire sur votre combat culturel; qu’est-ce que cela représente pour vous?

Non pas la consécration d’une vie au service des lettres, mais le début d’une vie où chaque jour je dois mériter le respect dû à mon œuvre poétique, à l’affection et à l’admiration que l’on porte à mon humble personne à travers le monde. Je suis fier de pouvoir servir mon pays et de lui donner le rang qui doit être le sien dans la vie littéraire internationale. J’ai appris que la vie éternelle ne commence pas après la mort, qu’elle commence ici, sur terre, à travers ce que l’on aura laissé de solide, de propre, de beau à sa famille, son peuple et au monde.

Le don de création, le travail de l’esprit, la vie de la pensée, sont les plus précieux et les plus merveilleux dons que Dieu puisse nous céder. Il est arrivé et il arrive encore que le verbe soit supérieur à l’action. La littérature n’est pas un vain combat, une illusion lyrique. Les poètes et les écrivains ont beaucoup apporté à leur pays, à leur peuple, à leur continent. Je remercie Karim Ndiaye ce jeune et talentueux réalisateur qui est venu vers moi par amitié et qui a fait cet émouvant film documentaire sur moi. Cela m’a rendu encore plus humble.

Je voudrais remercier et rendre hommage à ces femmes et hommes qui m’ont fait aimer mon pays : Binta Diallo ma maman, la cantatrice nostalgique,  mon papa Dembel qui, toute sa vie, s’est battu pour apprendre à lire, mon épouse, Senghor, Cheikh Anta Diop, Mamadou Dia, Djibril Diop Mambéti, Kéba Mbaye, Ousmane Sembène, Moussa Ka, l’inoubliable Dabakh Malick, le phare et l’étoilé de Touba: Serigne Bamba, Ousmane Sow, et tous ces compatriotes des taudis, entaillés par une tenace pauvreté et qui luttent au quotidien, en trouvant la force de sourire et de partager le peu qu’ils n’ont pas. Ils me rappellent ceux qui «luttaient contre la soif du désert en suçant des cailloux». J’ai écrit dans mes livres ceci : «J’habite un pays infidèle à ses rêves». Mais je suis né dans un grand pays  et je l’aime.

Par Almami Camara

 

 

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