Publié le 30 Jan 2024 - 11:15
ENQUÊTE PARLEMENTAIRE

Vers une crise sans précédent

 

Des députés de la majorité et de l’opposition font bloc pour mettre en place une commission d’enquête parlementaire. Les magistrats font bloc pour défendre le Conseil constitutionnel. L’Exécutif fait semblant de garder une certaine distance et une neutralité trahie par la posture assumée des instances du parti au pouvoir.

 

C’est une situation rarissime, pour ne pas dire inédite. D’habitude, il était reproché au Judiciaire d’être plutôt à la solde des régimes successifs. Depuis quelques jours, la rhétorique est tout autre. Le Législatif soupçonne le Judiciaire de conflit d’intérêts. Et l’Exécutif, même s’il ne se prononce pas, pour le moment, de manière officielle, semble bénir l’initiative portée par un parti de l’opposition, en l’occurrence le Parti démocratique sénégalais.

Hier, un pas décisif a été posé dans ce ‘’Mortal Kombat’’. Malgré les critiques et autres contestations issues des milieux politiques, judiciaires et de la société civile, l’Assemblée nationale refuse de lâcher du lest. À la suite du bureau qui s’est réuni le jeudi 25 janvier, au lendemain de l’annonce de sa saisine par le PDS, de la Conférence des présidents qui s’est réunie le vendredi 26, la Commission des lois s’est réunie hier pour voter le projet de résolution.

Et comme l’on pouvait s’y attendre, la requête est passée comme lettre à La Poste. ‘’Elle a été votée à l’unanimité’’, souligne un député du PDS.  

Sur son compte X, Karim Wade, candidat exclu du parti libéral, n’a pas tardé à réagir. Pour lui, cette étape marque un ‘’progrès vers une plus grande transparence dans notre processus électoral. C'est une avancée significative vers la révélation de la vérité, une étape importante pour dévoiler ce qui s'est réellement passé au sein du Conseil constitutionnel. Je salue ce progrès vers une plus grande transparence dans notre processus électoral’’, s’est-il félicité.

Chez les magistrats, en revanche, l’on ne se réjouit pas du tout de cette procédure qui ne cesse de s’emballer depuis son lancement la semaine dernière. Suite au communiqué publié le week-end par l’Union des magistrats du  Sénégal (UMS), c’est au tour des mis en cause de monter au créneau pour laver leur honneur. Et c’est le juge Cheikh Ndiaye qui lance la contre-offensive en annonçant une saisine du parquet ‘’pour outrage à magistrat, diffamation, discrédit sur une décision de justice, entre autres infractions contre les auteurs non identifiés de la déclaration non signée d’un parti politique évoquant des faits de corruptions et de collusion avec certains hommes politiques’’.

Le magistrat ne compte pas s’en limiter aux auteurs de la déclaration, il annonce également des poursuites contre ‘’toute personne ayant relayé directement ou indirectement ces accusations’’ qu’il qualifie de ‘’diffamatoires et mensongères à son encontre’’, rapporte son avocat Maître Bamba Cissé.

Le Législatif et le Judiciaire se tiennent

Dans un communiqué signé par ses sept membres, le Conseil constitutionnel, jusque-là aphone, s’est prononcé sur les accusations portées contre les juges Ndiaye et Coulibaly. C’est pour apporter cinq précisions qu’il juge importantes. D’abord, rappellent les sages, ‘’le pouvoir Judiciaire est indépendant du pouvoir Législatif et du pouvoir Exécutif’’.

Ensuite, le Conseil constitutionnel, rappellent-ils, prend ses décisions en formation collégiale de sept membres. Aussi, font-ils savoir, le juge n’est soumis qu’à l’autorité de la loi.

Mais tout en réaffirmant leur soutien à leurs pairs et en rappelant les principes, les sages disent prendre ‘’la mesure de la gravité des accusations et tiennent à ce que toute la lumière soit faite dans le respect des procédures constitutionnelles et légales régissant les relations entre les institutions, notamment la séparation des pouvoirs et le statut de ses membres’’.

La haute juridiction termine néanmoins avec des menaces à peine voilées. ‘’Toutes ces accusations, de nature à déstabiliser les institutions et à menacer la paix publique, ne sauraient rester sans conséquence pour leurs auteurs’’, pestent Badio Camara et Cie, tout en soulignant qu’ils vont continuer à exercer leurs missions.

Dans ce bras de fer entre le Législatif et le Judiciaire, l’Exécutif ne s’est pas pour le moment prononcé à travers ses voix officielles.

Toutefois, à l’éclatement du dossier, l’Alliance pour la République (APR, au pouvoir), à travers son Secrétariat exécutif national, a montré ses bonnes dispositions à ne pas entraver l’initiative parlementaire. Dans un communiqué, ils affirment : ‘’Le Sen demande aux députés membre du groupe parlementaire BBY de rester attentifs à l’initiative du PDS pour la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire aux fins d’être édifié sur la non-validation de la candidature de leur leader.’’

Le moins que l’on puisse dire, c’est que jusque-là, le mot d’ordre est strictement respecté. Aussi bien en réunion du bureau que lors de la Conférence des présidents et de la Commission des lois, les membres de la majorité ont fait bloc aux côtés du PDS. Et ils ne sont pas les seuls. Pastef et Taxawu ne montreraient pas non plus une opposition à cette initiative, ce qui est d’ailleurs assez rare au sein de l’hémicycle.

Aliou Sall, frère du président, dévoile les motivations profondes des responsables de l’APR et défie le régime

Alors que certains y voient une volonté visant à combattre Amadou Bâ cité directement par Karim Wade d’être derrière son exclusion, d’autres, y compris des responsables de l’APR, croient savoir que cette attitude du parti présidentiel vise plutôt à montrer aux libéraux leur bonne foi, à les convaincre qu’ils ne sont ni de près ni de loin mêlés à cette affaire de corruption supposée.

Sur Dakaractu, le frère du président, Aliou Sall, explique : ‘’Je comprends ceux qui soutiennent cette initiative. Ils estiment que l’APR doit montrer qu'elle n'est mêlée ni de près ni de loin à des initiatives pour exclure Karim Wade. Cette posture va peut-être faire plaisir au PDS, mais l'opinion, elle, ne peut comprendre cette accélération de la procédure de mise en place d'une commission d'enquête parlementaire. Une procédure qui, de surcroît, peut déboucher sur l'affaiblissement du Conseil constitutionnel…’’

L’ancien maire de Guédiawaye met ainsi en garde contre toute tentative de ternir l’image de cette juridiction. Ce qui pourrait déboucher sur une crise institutionnelle sans précédent.

Pour sa part, le journaliste ami du président, Madiambal Diagne, est allé bien plus loin pour dénoncer cette complicité nouvelle entre l’APR et le PDS. ‘’Pour la première fois, la majorité parlementaire du camp de Macky Sall s’allie officiellement avec le PDS. Une action, sorte de collusion, destinée à jeter le discrédit sur le Conseil constitutionnel, une institution de la République et entacher l’honorabilité de ses membres qui ont tous été nommés par Macky Sall lui-même. Sacrilège !’’, fulmine-t-il, avant de souligner : ‘’Aucun calcul politicien ne devrait autoriser un tel acte.’’

Madiambal Diagne, ami du président Sall : ‘’Le Premier ministre sera le premier client à être entendu… On sait qu’ils vont chercher à l’humilier et l’accuser d’avoir corrompu les magistrats.’’

Le plus absurde, selon le journaliste, est que ‘’la demande du PDS est portée par des membres de l’APR qui sont assez connus pour manifester une hostilité ouverte à l’endroit du Premier ministre Amadou Ba, candidat désigné par Macky Sall’’, ajoute le patron du groupe Avenir Communication qui prédit que le PM risque d’être le premier à être entendu par la commission. ‘’On sait aussi qu’ils se feront un plaisir à mieux lui savonner la planche, en cherchant à l’humilier et l’accuser d’avoir corrompu les magistrats. Le Premier ministre sera le premier client à être entendu par la commission d’enquête. À sa place, je ne répondrais pas à leur convocation, car l’Assemblée nationale n’a pas compétence à enquêter sur des faits délictuels relevant exclusivement de la compétence du Judiciaire. En sa qualité de Premier ministre, il ne doit pas participer à saper les fondements de l’État de droit et de la séparation des pouvoirs’’.

 Il faut le rappeler, tout en assumant son amitié avec le chef de l’État, le journaliste est aussi proche d’Amadou Ba. Il a été l’auteur d’un ouvrage intitulé : ‘’Amadou Ba, la dernière chance’’. Tout le Sénégal sait aussi que ses rapports avec la famille Wade ont souvent été tumultueux.

Dans sa chronique, il s’interroge et se désole : ‘’S’il (Macky Sall) s’est exclu lui-même, contre l’avis de nombre de ses proches, on ne peut pas le croire possédé par un quelconque démon pour chercher à tordre le cou à la légalité et risquer ainsi de s’éclabousser pour chercher à donner le pouvoir à un autre.’’

Encore une fois, a-t-il renchéri, ‘’je ne le crois pas si décevant, en se montrant capable d’une telle forfaiture. Je sais également qu’il ne peut pas préférer Karim Wade à Amadou Ba. Alors, je reste à Abidjan pour encourager l'équipe nationale de football engagée dans la Coupe d’Afrique des nations et encore avoir des raisons d’être toujours fier de mon beau pays, le Sénégal’’.

Mor AMAR

Section: 
Thierno Alassane Sall
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