Publié le 13 Nov 2013 - 17:17
ENTRETIEN AVEC… PR. EL HADJI OMAR DIOP, JURISTE

“Il faut canaliser l'institution présidentielle”

 

Dans votre ouvrage, vous préconisez la démocratisation du système de nomination des juges constitutionnels en faisant en sorte que le barreau, la magistrature, la société civile, la majorité et l’opposition puissent nommer les membres de cette institution. Est-ce suffisant pour garantir l’indépendance du Conseil constitutionnel ?

 

Il faut partir ici de l’histoire politique du Sénégal. Quand on a mis en place le Conseil constitutionnel en 1992, c’était un choix politique de permettre au président de la République de désigner l’ensemble de ses membres. L’expérience a montré que ces derniers ont souvent été critiqués, et l’institution violemment prise à partie. Or, ce n’est pas parce qu’on est nommé par le président de la République qu’on n’est pas indépendant. Pour couper court à cela, je propose qu’on casse le monopole du président dans la nomination de ses membres. Ce qui m’intéresse, dans ma réflexion globale, c’est que je suis partisan d’un régime présidentiel qui confère au Président le pouvoir exécutif. A côté du pouvoir exécutif, il faut un contre-pouvoir assez fort. Et ce contre-pouvoir ne peut être assuré que par une juridiction constitutionnelle.

Beaucoup pensent au contraire que le problème du Sénégal, c’est le régime présidentiel.

Au Sénégal, nous avons sur le papier un régime parlementaire rationalisé. Mais dans la pratique, ça dévie toujours vers le régime présidentiel, parfois même vers le présidentialisme. A mon avis, c’est le résultat de la culture politique dominante dans notre pays. Dans notre imaginaire collectif, on vénère le chef. Il y a une mystification de l’autorité du chef. Quel que soit le problème, on va directement vers le président de la République. La Constitution organise la domination présidentielle en lui donnant une définition de sa fonction et des prérogatives importantes. Comme la pratique populaire va dans ce sens-là, on n'a qu’à en tirer les conséquences et lui donner le pouvoir exécutif. A côté, il faut être imaginatif et poser les garde-fous qui pourront empêcher certaines dérives présidentielles. On a essayé d’autres régimes, cela n’a pas marché. Il y a toujours une domination de l’institution présidentielle. Puisque l’institution présidentielle est apparue comme un monstre, il faut la canaliser.

Vous dites que la méconnaissance du rôle du Conseil constitutionnel et l’impact négatif de ses décisions sur son image auprès de l’opinion ont fini par accréditer la thèse d’une juridiction au service de l’exécutif. Comment les juges du Conseil peuvent-ils ignorer les textes ?

Le problème est que le juge constitutionnel a des compétences qui sont définies dans les textes. Et comme tout juge, lorsqu’il est saisi, il vérifie d’abord s’il est compétent pour cette affaire. S’il statue juridiquement, les décisions peuvent être défavorables. Ensuite, les populations peuvent ne pas comprendre le sens de cette décision et sa technicité. Cela veut dire qu’il y a un problème de communication au niveau de l’activité du Conseil constitutionnel. Or, à force d’être saisi et de se déclarer incompétent alors que ses décisions sont valables et défendables sur le plan juridique, il a en quelque sorte construit sa propre image. On est allé jusqu’à déclarer dans la presse : “Qui sont ces cinq incompétents ? Pourquoi on les appelle les cinq sages ?‘’ Quand on s’attaque comme ça à cette institution, il y a une méconnaissance de son rôle. D’où la nécessité pour le Conseil constitutionnel de développer une campagne de communication. L’image que renvoie le Conseil constitutionnel à l’opinion est une image négative. C’est pourquoi, on a parlé à un moment donné de légitimation de l’institution.

C’est-à-dire ?

Quand l’institution prend des actes qui vont dans le sens du renforcement de la démocratie, les populations se retrouvent en elle et seront prêtes à la défendre au cas où le pouvoir s’attaquerait à elle. Si le Conseil continue à se déclarer incompétent, à juste titre, alors que les populations ne comprennent pas, ces dernières ont tendance, avec la manipulation de l’information par les hommes politiques, à croire que cette institution n’est là que pour faire plaisir à l’exécutif ou au Prince-Président.

Justement, le Conseil constitutionnel a été à l’origine des tensions préélectorales de 2012 pour avoir validé la candidature de Me Wade contestée par l’opposition et la société civile. Que pouvons-nous tirer de ces événements ?

Il faut intégrer ce qui s’est passé dans l’évolution normale d’une démocratie. Il y a des moments de forte tension et des périodes d’accalmie. Chaque société est confrontée à ce qu’on appelle un conflit entre les acteurs politiques de l’opposition et du pouvoir. L’important, c’est que cette crise soit institutionnalisée; c’est-à-dire qu’elle se déroule dans les canaux prévus par la loi. Les leçons que l’on peut en tirer, c’est qu’il faut que la classe politique prenne conscience de la nécessité de définir les règles du jeu de façon très claire. Quand on confère des compétences à une juridiction, il faut définir ses compétences de façon nette. On ne peut la critiquer et demain vouloir qu’elle ait une interprétation élastique et dynamique de ses compétences pour vous faire plaisir. Ce sont les socialistes qui étaient au pouvoir quand le Conseil a été créé ; ils savaient ses compétences. A partir de 2012, ils ont tapé sur le Conseil parce qu’ils ne voulaient pas qu’il rende une décision qui ne leur était pas favorable. Quand on est dans la majorité, il faut intégrer que demain, on peut être dans l’opposition et les textes que l’on prend peuvent nous protéger demain. C’est-àdire que l’opposition doit être intégrée dans le jeu politique... 

 

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